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Le cas des Roussel

Après plus de 30 années sur les rings, LAURENT ROUSSEL est passé par toutes les émotions. Mais l’entraîneur du Boxing Club d’Évreux (BCE) garde une passion et une générosité indéfectib­les pour son sport.

- S. E.

« Je m’étais dit avant de venir qu’il fallait que je prenne du recul, mais le naturel revient au galop (sic). Quand on me parle de boxe, on appuie sur un bouton et hop, c’est parti. » Quoi de mieux pour démarrer ce portrait que la conclusion de LAURENT ROUSSEL luimême, après 1 h 30 d’une interview captivante, réalisée mi-novembre dans un café du centre-ville. TEL PÈRE, TEL FILS

« Mon père avait fait plusieurs combats à la fin des années 50, une époque où la discipline était la plus reconnue au monde. J’ai toujours voulu faire comme lui, mais ma mère ne voulait pas revivre ce qu’elle avait connu en le suivant. Quand mes parents se sont séparés en 1985, alors que j’avais 15 ans, je suis resté avec lui et j’ai directemen­t voulu aller à la salle.

Je n’étais pas un gros encaisseur, je suis tombé trois fois KO pendant ma carrière. Mais j’étais endurant et je frappais dur, j’ai eu plusieurs victoires avant la limite. En amateurs, j’ai remporté plusieurs titres de Champion de Normandie en catégorie « Super-légers » (63,5 kg), et été classé numéro 2 national. Quand je suis passé profession­nel, j’ai dû quitter le club d’Évreux qui n’avait plus assez de moyens, et je suis parti quatre années à Saint-Étiennedu-Rouvray. Chez les pros, en « Mi-moyen » (66,678 kg), j’ai surtout remporté le Tournoi de France. Comme Lionel Jean, Jean-Claude Pilon ou encore Jean-Pierre Guyomarch l’avaient fait avant moi.

Pendant ma dernière année, en 2001, j’ai passé simultaném­ent le concours d’aide-soignant à l’IFSI de Saint-Michel. J’avais 32 ans et n’avais plus les mêmes capacités physiques. J’étais marié, j’avais un enfant et il fallait que je fasse un choix. »

« J’ai ressenti un manque énorme »

UNE PASSION DÉBORDANTE

« Quand j’ai arrêté la boxe, j’ai fait une coupure pendant un an et demi. Mais j’ai ressenti un manque énorme. En plus, mon neveu Maxime (Roussel) n’arrêtait pas de me tanner pour que je vienne le coacher. Je suis finalement revenu en 2003. Raymond Pierre, mon ancien coach, était toujours là. On a vécu énormément de choses ensemble durant ma carrière, de longs week-ends à traverser la France. Sans qu’il le sache, il m’a aidé à combattre la souffrance, suite à la mort de mon père en 1985. Le seul endroit où je me sentais vraiment bien à cette époque, c’était à la salle omnisports.

Depuis mon retour en 2003, je me suis investi à fond dans le club, même parfois au détriment de ma vie familiale. Mais j’ai la chance que ma femme comprenne ma passion. Je travaille au nouvel Hôpital de Navarre et il m’est souvent arrivé de poser des congés pour être présent aux entraîneme­nts et aux combats. Je passe du temps pour aller chercher des sponsors, entretenir les relations avec la mairie, trouver des adversaire­s… Alors, lorsque les subvention­s baissent, j’ai parfois des moments de découragem­ent et l’envie de tout arrêter. Mais j’ai 47 ans et n’ai passé que quinze années de ma vie sans la boxe. Je ne sais pas comment on fait pour vivre sans !

Je vis chaque combat officiel avec mes athlètes comme si je devais encore enfiler les gants. Je ressens la même adrénaline. Mais je suis surtout là pour les transcende­r, pour les aider à évacuer le stress. J’aime leur rappeler toutes les souffrance­s qu’ils ont endurées pour en arriver là. Et quand ils montent sur le ring, ils sont prêts à exploser. »

LA CHEVILLE OUVRIÈRE DU BCE

« Par manque de temps, je ne peux pas individual­iser les séances pour nos 60 licenciés, et suis obligé parfois d’en délaisser certains. Tout le monde est mélangé : les enfants qui font de la boxe éducative, les amateurs, les boxeurs loisirs… Si j’avais la possibilit­é à Évreux d’en faire un métier, je me lancerais à 100%. Je pourrais être présent à la salle tous les jours pour accompagne­r notamment nos trois profession­nels : Maxime Roussel, Raphaël Boquet et Jonathan Profichet.

Mon premier objectif d’entraîneur était que les boxeurs ébroïciens combattent devant leur public. En 120 combats et vingt ans de carrière, je n’ai pu boxer que trois fois dans ma ville et j’en ai beaucoup souffert. Depuis 2004, on organise au moins un gala chaque année et ça plaît au public. Comme le 22 octobre dernier où j’ai pris mon pied en voyant le gymnase Senghor complèteme­nt plein. Devant ces superbes ambiances, j’ai parfois l’impression d’être un artiste qui contemple son oeuvre. Pendant quinze jours, j’étais sur un petit nuage en constatant les retombées de notre travail.

Mais tout n’est pas toujours aussi rose. Avec Manu Heraud, l’autre entraîneur du club, on a pris Jonathan Profichet en main depuis ses débuts jusqu’à ses plus grands succès (Champion Méditerran­éen WBC en 2012 et Champion d’Europe WBO en 2013). On souhaitait que ses défenses de titre soient organisées à Évreux, mais ça n’a jamais pu se faire, faute d’argent, et il a été destitué sans combattre. Une grande déception. »

« Exorciser ses peurs »

L’ÉCOLE DE LA VIE

« J’ai appris avec le temps et l’expérience à me concentrer sur les qualités des sportifs, et pas sur leurs défauts. Chaque boxeur est différent. On doit combattre avec ce que l’on est. Quelqu’un qui va au-devant des choses dans la vie aura davantage le profil d’un bagarreur, qui va rentrer dedans. D’autre préfèrent analyser, laisser venir pour mieux contrer.

Il ne faut pas penser que sur un ring, les choses se passent comme dans une bataille de rue qui dure 20 secondes, il y a deux ou trois coups échangés et c’est fini. La boxe, c’est à la loyale, il y a des règles. Cela nécessite de la rigueur, une hygiène de vie… Il y a un travail psychologi­que énorme à faire sur soi. On cherche à exorciser ses peurs, parce qu’on est face à quelqu’un qui veut vous cogner ! Au fil du temps, on prend confiance et on évacue cette boule au ventre. Les gens qui ont la volonté de changer et de s’affirmer s’en servent aussi dans la vie quotidienn­e. »

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Laurent Roussel (à droite), un entraîneur qui s’intéresse autant à ses trois profession­nels qu’aux jeunes et aux amateurs.
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Laurent Roussel (à droite), avec son neveu Maxime.

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