« Je déconseille Le Bon Coin »
On l’a vu, Le Bon Coin regorge de débits de tabac à vendre. Tout en déplorant le recours au site spécialisé, le «patron» des buralistes eurois, Fabrice Lefèvre, avance d’autres pistes pour relancer l’activité…
Quel regard porte, sur la profession, le président des buralistes de l’Eure ?
Dans le département, on recense environ 280 buralistes. Mais pour nombre d’entre eux, la mise en vente des paquets neutres est synonyme de coup de grâce après, notamment, l’apparition de la cigarette électronique. Nous sommes là pour encaisser 80 % de taxes pour l’État. En retour, ce dernier ne nous fait pas de cadeaux.
« À peine le SMIC ! »
Le métier est en souffrance ?
Je ne pleure pas sur mon sort. La preuve, je suis dans le commerce depuis dix-huit ans et je ne pense pas que le paquet neutre va signifier la fin de mon activité. Mais pour gagner à peine le SMIC, il faut travailler entre 80 et 90 heures par semaine. Là-dessus, viennent se greffer les loyers, les collaborateurs, les factures, le RSI (Régime Social des Indépendants). Et la «proximité» de la frontière belge renforce le caractère déloyal de la concurrence : en France, le pot de 100 grammes de tabac est vendu 24,60 € ; en Belgique, celui de 10 kg s’achète 40 €.
C’est la fin de la parenthèse enchantée ?
Le commerce est encore viable, mais on aimerait que ça se calme pour arrêter de broyer du noir. Car lorsqu’on signe avec les Douanes, on s’engage, au minimum, pour 3 ans.
Comment, dès lors, sortir la tête de l’eau ?
En diversifiant ses activités. Il faut se spécialiser et aller chercher d’autres relais de croissance. À titre personnel, je travaille avec Internet, je monte sur Paris pour obtenir les meilleurs tarifs, je fais dans la carterie, je propose des services comme le compte Nickel, je vends des cigarettes électroniques, ce qui m’a permis d’augmenter ma marge. Aujourd’hui, je me range clairement dans la catégorie des buralistes/commerçants alors que mon collègue, exclusivement débitant de tabac, prend de plein fouet les nouvelles réglementations. C’est d’ailleurs une «espèce» en voie de disparition…
« Evreux, une ville spécifique »
Pourquoi, à votre avis, tant de commerces sont à vendre ?
Pour certains, ce peut-être la solution de facilité. Pour d’autres, l’opportunité, dans un système fiscal très compliqué, de revendre dès qu’il y a une petite plus-value. Enfin, restent les personnes qui vendent pour raisons de santé ou qui souhaitent prendre leur retraite.
À Évreux, précisément, six buralistes veulent céder leur activité.
Je connais bien la problématique ébroïcienne. C’est une ville très «spécifique», dans la mesure où Carrefour va s’agrandir et capter une partie de la clientèle qui effectuait ses achats chez les petits buralistes. Mais certains d’entre eux anticipent déjà, victimes de la double peine : le manque de visibilité sur le tabac et la peur du lendemain !
Que pensez-vous du recours au Bon Coin pour vendre un débit de tabac ?
Ceux qui passent par un marchand de biens estiment, à tort ou à raison, que l’agent mandaté n’effectue pas correctement son travail. Pourtant, il a l’expérience requise pour négocier tous les contrats. On vend de la presse, de la fiscalité, de la Française des Jeux, etc. Moi, par exemple, je signe une vingtaine de contrats !
Mais pour en revenir à la question posée ?
Les affaires conclues sur Le Bon Coin restent un phénomène marginal. Et puis, le fait de brasser pas mal d’argent peut générer des convoitises. C’est limite dangereux. Imaginez que je fasse visiter mon commerce à quelqu’un soi-disant intéressé, qu’il me demande où se situe la caisse ou s’il y a un signal d’alarme. Je ne vous fais pas un dessin. C’est pourquoi, personnellement, je ne m’aventurerais jamais sur Le Bon Coin…