La banalité du mal

Le lundi 22 avril 2002, l’Eure s’est réveillée avec la gueule de bois. Après l’incroyable séisme politique du dimanche soir, la réaction est immédiate. Étudiants, politiques, syndicats se mobilisent pour faire face au Front National. Des centaines de personnes défilent dans la rue pour appeler à voter Jacques Chirac. Pour sauver la démocratie. L’évêque d’Évreux sort de sa réserve, Ras l’Front monte au créneau. Les Unions syndicales consacrent la manif’ du 1er mai à la lutte contre le FN.

15 ans après, plus rien. La rue est déserte. Les appels se limitent à quelques tweets sur la toile, quelques lignes vite oubliées sur Facebook, les résistants ont baissé la garde, les Insoumis ont choisi le ni-ni.

Banalisée, l’extrême droite est aux portes du pouvoir. Elle partage, dans l’indifférence, le même temps d’antenne que les démocrates sur les chaînes d’info. « C’est pas possible ! Incroyable ! C’est comme en Allemagne en 33 » s’inquiétait en 2002, une électrice au bord des larmes, en découvrant les résultats dans le hall de la mairie. « Nos hommes politiques seront peut-être désormais un peu moins déconnectés de la réalité du quidam moyen » espérait un autre. Depuis, rien ne s’est produit.

Les affaires ont succédé aux affaires. La classe politique avait compris. Les promesses d’éthique, de moralisation, de renouvellement, de jours meilleurs ont fusé. Pendant ce temps-là, la France s’est installée confortablement dans la haine. Elle est là, banale, installée dans les plis du drapeau national. Et regarde, souriante, notre indifférence.

1er mai 2002, au second tour face à Chirac, le FN fait descendre des milliers d’Ébroïciens dans la rue. L’extrême droite venait de faire 19,58 % dans l’Eure. 15 ans après, alors que Marine Le Pen flirte avec les 30 %, rien ne se passe.