Après-coup
DELERM GAGNE ÊTRE VU.
Delerm tel qu’en lui-même, fidèle à son personnage. Sur la scène du Cadran, le bobo cher à Renaud a convoqué Fanny Ardant, Jean-Louis Trintignant, Shakespeare, Tracy Chapman, sa prof du lycée Fresnel et les filles nées en 1973. Le temps d’un spectacle tantôt intimiste, tantôt paré d’accents ragtime… mais jamais dénué d’autodérision. Car l’artiste sait échapper à sa caricature, celle de l’intello sérieux qui plonge aux sources de l’enfance et de l’adolescence pour se bâtir un répertoire. « La vie devant soi » a-t-il murmuré aux oreilles de ses parents, venus en voisins de Beaumont-le-Roger ; les traumas des amours évaporées a-t-il pianoté, accompagné de son fidèle trompettiste. Pourtant, son dernier album s’intitule Comme s’il voulait définitivement tourner le dos à la mélancolie et la nostalgie, deux états d’âme scénarisés en noir et blanc : sur l’écran des souvenirs, défilent les anniversaires dans la neige de Beaumont, les coupures de journaux relatant les premières envolées sportives sous les couleurs du CS Beaumontais, les leçons de piano sous le toit familial. Puis l’émancipation du côté de la fac de Rouen, avec un jeune homme partagé entre musique, tendance new-wave, et théâtre. Ces chroniques de la vie ordinaire, dont on devine qu’elles recèlent leur lot de «trahisons» amoureuses, Vincent Delerm les détourne à la manière d’un Modiano ou d’un Truffaut : avec pudeur et discrétion. Mais la réserve n’exclut pas la fantaisie ou la complicité. « C’est le feu au Cadran » ou l’art de se mettre le public dans la poche. Car il suffit d’un clin d’oeil ou d’un trait d’esprit pour relancer une partition parfois somnolente, comme une tisane au coin de l’âtre. Le feu crépite, l’auteur-compositeur-interprète souffle sur les braises, la chaleur gagne les premiers rangs… et la magie opère à nouveau. Toujours en équilibre sur le fil du partage, de la tendresse et de la mélancolie, ce grand sentimental qu’est Vincent Delerm gagne à être vu… A.G.