Stop aux chaussettes garnies !
Ravitaillement aérien à la prison
C’est devenu un rituel. Chaque week-end, moins en semaine, des «livreurs» se relayent le long des murs de la maison d’arrêt d’Évreux pour faire entrer clandestinement toutes sorte de produits. Souvent de l’alcool, de la résine de cannabis, des téléphones, des kebabs et même du dentifrice ou encore du produit contre les verrues…
« Ça va très vite », explique Michel Gosselin, représentant Force ouvrière des surveillants pénitentiaires. « Le complice descend de voiture, se signale parfois par un sifflement, un cri, jette sa chaussette et file. »
Une mêlée comme au rugby
De l’autre côté du mur d’enceinte, les détenus attendent leurs commandes dans la cour de promenade. Chacun a le droit de s’y promener une heure le matin et une heure l’après-midi.
Les horaires ont beau changer, le trafic est bien organisé : « Les chaussettes sont lestées par des pommes de terre », poursuit Michel Gosselin. « Dessus, il y a un nom, un numéro ou un code pour identifier le destinataire. Aussitôt qu’il y a la projection, le surveillant en place dans le mirador avertit les collègues. Mais le temps d’intervenir, les détenus font une mêlée, comme au rugby, et se dispatchent tout. »
Ça, c’est surtout pour les produits qui ne sonnent pas au portique. Pour les autres, comme les téléphones, ils ont mis au point une autre technique : les «livreurs» expédient leur commande sur le terrain de sport.
À la nuit tombée, les détenus se lancent alors dans une pêche miraculeuse : à l’aide de grappins «faits maison», ils remontent leurs petits colis.
Pendant un temps, la direction de l’établissement avait fait installer un filet horizontal, en kevlar. « C’était efficace », se souvient Michel Gosselin.
Mais un hiver trop rude a eu raison du filet. « L’administration ne veut plus le remettre, il y aurait danger pour les détenus… »
On n’en saura pas plus sur les projets de la direction pour mettre fin à ces livraisons clandestines. Elle ne souhaite pas commenter.
La possibilité de faire entrer clandestinement des objets en détention pose pourtant un grave problème de sécurité. Sans oublier les quelques intoxications alimentaires provoquées par de la viande restée trop longtemps au soleil avant d’être consommée ou l’introduction d’objets pouvant alimenter les trafics internes.
C’est l’une des raisons pour lesquelles le Procureur de la République a décidé d’être intraitable sur le sujet comme l’expose Éric Neveu, son adjoint : « On ne peut pas exclure que ce soit des tests pour faire rentrer des armes. Notre objectif consiste, en moins de 48 heures, d’avoir une décision judiciaire avec comparution immédiate devant le tribunal et le risque d’être écroué ».
C’est ce qui est arrivé la semaine dernière. En un weekend, les samedi 22 et dimanche 23 avril, huit personnes ont été interpellées aux abords de la maison d’arrêt.
Immédiatement placées en garde à vue et déférées, elles ont écopé de peines allant de deux mois de prison avec sursis à huit mois ferme avec mandat de dépôt, c’est-à-dire avec incarcération immédiate.
À chaque interpellation, les enquêteurs tentent de savoir s’il s’agit de commandes isolées, ou si un véritable business de la chaussette a été mis en place
au sein de la maison d’arrêt mais « les interpellés ne parlent pas ».
Michel Gosselin, dont le syndicat demande l’installation de brouilleurs de réseaux téléphoniques, soupire : « S’ils ne pouvaient pas téléphoner, il n’y aurait pas de chaussettes, ça réglerait le problème ».