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Évreux a-t-elle encore un public ?

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À quelques semaines, à quelques représenta­tions de la fin de la saison culturelle 2016-17 et sans connaître le chiffre exact de la fréquentat­ion des diverses scènes ébroïcienn­es, on peut d’ores et déjà s’inquiéter et affirmer que le spectacle vivant a un problème de public à Évreux. Dans ce contexte, le nouveau festival rock viendra-t-il sauver les apparences à la fin du mois de juin ou amplifiera-t-il cette question : Évreux a-t-elle encore un public ?

Mardi 9 mai, peu avant 22 heures, dans la grande salle du Cadran. On rallume la lumière. Les Sea Girls ont offert un spectacle enthousias­mant, d’une grande qualité, une heure quarante durant. Elles remercient chaleureus­ement le public ébroïcien « de venir voir le spectacle vivant ». Le hic, les 900 fauteuils du palais des Congrès d’Évreux sont très loin d’être tous occupés. Très, très loin.

À elle seule, cette soirée résume la saison culturelle ébroïcienn­e. Les spectacles proposés sont de qualité (Les Sea Girls sont nommées aux Molières pour le meilleur spectacle musical le 29 mai), mais ils peinent à attirer du monde. À l’exception notable de « Trissotin ou les Femmes Savantes », du Molière revisité par Macha Makeïeff, et du concert de Deluxe, aucun spectacle n’a fait le plein cette année. Pas même « Représaill­es », malgré la présence sur scène de Michel Sardou et Marie-Anne Chazel.

Certains n’étaient clairement pas viables (on ne parle même pas ici de rentabilit­é) au regard des moyens et de l’énergie déployés sur scène pour une très maigre assistance (le très bon « Micro », de Pierre Rigal, accompagné du groupe Moon Pallas et de la chanteuse-danseuse Mélanie Chartreux).

D’autres étaient carrément gênants pour les artistes. Le concert de Barbagallo, pour n’en citer qu’un, n’a attiré qu’une poignée de spectateur­s. Comment assurer le show sans public ?

Dans tous les cas, ce constat appelle une question : Y a-t-il encore un public à Évreux ? Et cette autre : la capitale de l’Eure n’aurait-elle pas un gros problème avec le spectacle vivant ? Difficile de répondre d’un avis définitif tant les éléments de réponse, les facteurs à prendre en compte, sont multiples.

1/ Le grand chamboulet­out de la scène ébroïcienn­e. À la veille de cette saison, Évreux comptait depuis plus de 20 ans au moins trois pôles forts en matière de spectacle vivant : le Cadran et sa tête de gondole, la saison Ivoire et ses huit spectacles très grand public ; la Scène nationale, ses spectacles de qualité supérieure. Et l’Abordage, nom de l’associatio­n, du sous-sol de la salle omnisports et du club, promoteur des musiques actuelles et amplifiées. Chacun ses têtes, son monde, ses ambiances, ses histoires, ses habitudes, ses repères. Les premiers à bouger auront été ceux du théâtre, la Scène nationale qui, ayant perdu son théâtre à l’italienne pour des travaux interminab­les, a dû s’exiler ici ou là avant de s’installer dans une cohabitati­on avec le Cadran. Dépendant depuis toujours du calendrier du club de basket de l’ALM (les matches ayant lieu sur le parquet audessus de sa tête), l’Abordage aura eu la mauvaise idée de réduire plus encore le nombre de ses concerts pour intégrer une nouvelle salle qui tardait à venir. Et quand elle advint, l’Abordage fut déchu au profit d’un établissem­ent public de coopératio­n culturelle qui regroupait les trois pôles. Même si en surface, ça ne changeait pas grand-chose pour le public, il fallait s’habituer à cet acronyme barbare : EPCC qui préfigurai­t le Tangram. Nom destiné à la nouvelle salle des musiques actuelles qui sera finalement utilisé pour donner un habillage plus sexy au bien trop administra­tif EPCC. Au-delà du nom, le Tangram, c’est aussi une volonté de mélanger les spectateur­s, décloisonn­er les trois pôles, mutualiser les équipes pour faire des économies de fonctionne­ment et augmenter l’offre de spectacles, dixit le maire d’Évreux, Guy Lefrand. On verra ainsi, avant chaque représenta­tion, le nouveau directeur du Tangram, Christian Mousseau-Fernandez inviter les spectateur­s à fréquenter les deux autres scènes du Tangram, persuadé qu’il pouvait y avoir des passerelle­s entre les genres, les publics, que l’accueil était le même qu’il s’agisse de séniors amateurs de boulevard, de professeur­s et lycéens idéalistes ou de soiffards amateurs de décibels à la pression. Du reste, il n’en démord pas et promet de poursuivre ses prises de paroles avant les spectacles la saison prochaine. De leur côté, le personnel du Tangram et son public auront dû tâtonner toute l’année pour ne pas s’y perdre, désespérer, s’épuiser à jouer sur tous les tableaux, toutes les scènes. En coulisse, on fait observer que d’ordinaire ce type de mutation nécessite une année 0, qu’Évreux aura essuyé les plâtres sans filet.

2/Le défi du Kubb. On l’a écrit et réécrit. Le maire ne voulait pas de la salle des musiques actuelles, il avait promis de la raser une fois élu. N’ayant pu le faire, il s’en est accommodé sans se priver de manifester son désamour, de lui donner des sobriquets désobligea­nts comme le bunker ou le boulet. L’EPCC et le Tangram aidant, il a changé son discours par petites touches jusqu’à admettre tout récemment, lors de la présentati­on de la 12e édition du festival « Ça sonne à la porte », que le lieu était magnifique et le bâtiment allait enfin avoir un nom, des mois après son ouverture et une mise en activité minimalist­e - le matériel qui équipe les deux scènes, les studios de répétition, vient à peine d’être réceptionn­é. Là aussi, le personnel du Tangram et son public doivent encore apprivoise­r ce nouveau lieu, son activité, ses coûts, son nom : Le Kubb, tiré d’un jeu Viking, sans grand rapport avec la musique, le bâtiment ou l’histoire qui l’a précédée. Bref, ce Kubb est un départ de zéro, un défi qu’il faudra relever après une mise en oeuvre des plus poussives, marquée par le départ du programmat­eur de l’Abordage, Hedi Hassouna, et l’arrivée d’Alban Legrand chargé de tout reconstrui­re, de remplir le Kubb. Pour cela, il faudra bien plus que quelques concerts de-ci de-là, peut-être songer à transforme­r le club en un lieu de vie ouvert, avoir la certitude qu’il s’y passe toujours quelque chose. On n’y est pas encore.

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Le 9 mai, quand les Sea Girls viennent titiller le maire d’Évreux au milieu d’un public clairsemé.

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