Eure Infos

Ces agents municipaux victimes de l’amiante

Depuis 2014, Elisabeth Delaporte préside aux destinées de l’ADEVA 27 (*). Mais chaque année, le nombre de personnes contaminée­s par l’amiante augmente de manière spectacula­ire, notamment chez les Agents Territoria­ux d’Évreux…

-

Voici trois ans, vous avez pris la succession de M. Noury à la tête de l’ADEVA. Pour quelles raisons ?

En 2006, j’ai poussé les portes de l’associatio­n. Mon mari, qui travaillai­t comme mécanicien automobile au LRBA de Vernon et qui a passé toute sa vie au contact de l’amiante, est tombé malade. Il est décédé un an plus tard, et il a fallu constituer un dossier pour prouver la relation de cause à effet et prétendre à des indemnités. Depuis, je n’ai plus quitté l’ADEVA.

Cinq décès en juin

Fin juin, le parquet de Paris a requis la fin des investigat­ions dans plusieurs enquêtes ouvertes dans le scandale de l’amiante. Qu’en pensezvous ?

Les trois magistrats en charge du dossier ont estimé qu’il était impossible de dater l’exposition et la contaminat­ion. Cette décision fait mal au coeur dans la mesure où les victimes ont travaillé pour gagner leur vie, et non pour mourir. Du coup, l’ANDEVA et ses deux cabinets d’avocats vont, le 15 septembre, faire appel. Nous sommes solidaires, même si le départemen­t n’est pas concerné par ce type de dossiers. Les non-lieux qui pourraient être prononcés concernent la société Eternit, l’ancienne usine Ferodo à Condé-sur-Noireau, les anciens chantiers navals de la Normed à Dunkerque, et le campus de Jussieu.

Vous disiez que le départemen­t de l’Eure n’était pas touché.

Pas par des scandales de cette ampleur. Mais plusieurs usines ont porté gravement atteinte à la santé de leurs ouvriers. Je pense, notamment, à Manoir Industries (Alizay), Costil (PontAudeme­r), Acor (Louviers), Holophane (Louviers) et aux Fonderies de Vernon. Avec leurs fours en plaques d’amiante, elles ont causé beaucoup de dégâts. La problémati­que concerne, en règle générale, des personnes retraitées qui ont développé la maladie, parfois 40 ans après la cessation de leur activité.

Justement, combien de dossiers êtes-vous amenée à traiter ?

C’est très variable. En 2014, par exemple, nous avons enregistré 37 dossiers et 15 décès. Et depuis le début de l’année, nous avons ouvert 9 nouveaux dossiers et déploré, déjà, 7 disparitio­ns dont 5 pour le seul mois de juin. Est-ce dû aux fortes chaleurs ? Je ne saurai vous dire…

« La faute inexcusabl­e de l’employeur »

On évoque plusieurs régimes spéciaux : la Défense Nationale, l’EDF, la Marine Marchande, les Artisans. Mais les Agents Territoria­ux ne sont pas épargnés.

Depuis ma prise de fonction, l’associatio­n a traité cinq dossiers qui concernaie­nt des Agents Territoria­ux d’Évreux. Deux sont terminés et ont donné lieu à des indemnisat­ions, un est en cours depuis février 2016. Le quatrième a été constitué en avril de la même année. Hélas, l’agent vient de décéder, en juin très exactement. Il s’agissait d’une personne âgée de 60 ans et sur le point de partir en retraite. Il était chauffeur de poids-lourd et multipliai­t les allers et retours dans les déchetteri­es. C’est peut-être là qu’il a contracté la maladie. Enfin, le cinquième et dernier dossier a été déclaré en mars 2017.

Pourquoi, à votre avis, les agents sont-ils aussi exposés ?

À Évreux, nombre d’entre eux ont été amenés à travailler dans les HLM construits dans les années 60 ou 70, c’est-àdire bien avant l’interdicti­on de l’amiante promulguée en 1997. C’est notamment le cas de M. Hannoteaux (voir encadré, N.D.L.R.) qui travaillai­t comme électricie­n au service de la Ville d’Évreux. Dans son cas, la faute inexcusabl­e de l’employeur a été reconnue. Mais au préalable, il a fallu apporter la preuve par des témoignage­s de collègues, des témoignage­s souvent très détaillés. Car il importe de savoir si les agents, exposés à l’amiante, étaient prévenus du risque qu’ils encourraie­nt. La remarque vaut pour les travailleu­rs appelés à intervenir dans les écoles et les collèges.

Les établissem­ents scolaires ébroïciens seraient particuliè­rement exposés ?

Il n’y a aucune possibilit­é de le savoir. Les municipali­tés rechignent, souvent, à effectuer les travaux nécessaire­s, car très coûteux. Au risque de transforme­r les élèves en «futurs» malades !

Maladies plus graves

Régulièrem­ent, les victimes évoquent des procédures longues et pénibles.

Le dossier, constitué en février 2016, vient juste d’être signé à la mairie d’Évreux. C’est le préambule à toute demande d’indemnisat­ion. Ensuite, effectivem­ent, les délais peuvent varier selon les régimes d’affiliatio­n. Avec l’EDF, par exemple, la procédure prend, parfois, plusieurs années.

Avec, à l’arrivée, des indemnisat­ions de nature très différente­s !

Elles varient selon l’âge et le taux d’IPP (Incapacité Permanente Partielle). Par exemple, une personne de 59 ans victime de plaques pleurales percevra, en moyenne, 17 500 euros. Elle bénéficier­a, également, du préjudice physique, moral et d’agrément, mais pas celui d’incapacité fonctionne­lle.

À vos yeux, la situation n’est pas près de s’améliorer ?

Malgré les quelques progrès enregistré­s en chimios combinées, je pense qu’on tend vers des situations de plus en plus douloureus­es et des maladies de plus en plus graves. Je songe, notamment, aux cancers (avec ou sans nodules), aux asbestoses - les poumons sont abîmés en interne - et aux mésothélio­mes qui signifient que la plèvre est touchée… Propos recueillis

par A.Guillard

(*) Forte de 139 adhérents, l’associatio­n a ouvert, entre 2005 et 2015, la bagatelle de 218 dossiers. Dans le même laps de temps, 56 personnes sont décédées.

 ?? suppose Elisabeth Delaporte. ?? « Je pense que les maladies vont devenir de plus en plus graves »
suppose Elisabeth Delaporte. « Je pense que les maladies vont devenir de plus en plus graves »

Newspapers in French

Newspapers from France