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Mécanique pas chère

Pour mettre un terme aux nuisances environnem­entales et à une certaine forme d’économie parallèle, l’Agglo et l’associatio­n Wimoov se déploient pour ouvrir un garage solidaire. Un concept qui s’adresse aux population­s en situation de précarité…

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Sous un soleil de plomb, Issa (*) s’active sous le capot d’une Citroën. Épaulé par deux collègues, il remonte un moteur, fort de ses deux années de formation en mécanique, et de ses deux décennies d’expérience au Sénégal !

« Mais en Afrique, on bricole plus à l’instinct et on fait des repères sur les pièces. En France, il faut respecter les normes » rigole notre mécanicien, pas peu fier de son garage installé au pied des immeubles de La Madeleine.

Treize garagistes recensés !

Dans les quartiers populaires d’Évreux, la pratique est monnaie-courante.

Selon Fatima Aït Ouailal, directrice de la plate-forme Wimoov et porteuse du projet, « treize garagistes ont été recensés à La Madeleine, Nétreville et Navarre où là, ils opèrent de manière plus discrète. »

Justement, pour réglemente­r leur situation, l’Agglo ambitionne d’ouvrir un garage officiel. Un dispositif qui s’inscrit dans le cadre de l’économie sociale et solidaire.

« Il serait ouvert aux personnes bénéfician­t des minima sociaux, avec un prix des pièces et une main-d’oeuvre ajustés en conséquenc­e » convient notre interlocut­rice qui planche actuelleme­nt sur le sujet (voir encadré).

Le projet a également pour objets de mettre fin à une pratique interdite dans la mesure où elle perturbe l’espace public. Entre nuisances et persistanc­e de véhicules-ventouses. « Nous en avons répertorié une trentaine »…

« Les gens sont en souffrance »

Si Issa prend soin de glisser un carton sous le châssis pour éviter que ne se répandent les huiles et les graisses, nombre de ses «confrères» n’ont pas ses scrupules.

« Certains n’hésitent pas à jeter l’huile dans les caniveaux ou sur l’herbe, d’autres font tourner le moteur à fond et poussent sur l’accélérate­ur » On s’en doute, le voisinage apprécie.

Mais au-delà de ces considérat­ions environnem­entales, cette course à la «mécanique sauvage» révèle un véritable problème sociétal.

« Aujourd’hui, il devient de plus en plus difficile de joindre les deux bouts. Sur le plan financier, les gens des quartiers sont en souffrance » disserte Issa, en parfaite connaissan­ce de cause.

Du coup, il préfère s’approvisio­nner dans les casses du coin pour négocier les pièces à leur juste prix. « Par exemple, je vais acheter un cardan 25 euros alors que neuf, je l’aurais payé quatre fois plus cher. »

La même disparité se retrouve au niveau de la main-d’oeuvre puisque, magnanime, notre mécano du Sénégal demande rarement plus de 40 € à ses clients. Et à ce tarif-là, il ne chôme pas !

« Je fais toutes les marques »

Incollable sur la manière de démonter et remonter un moteur sans l’aide d’un treuil, Issa sait, également, jouer la carte de la diversité.

« Je fais toutes les marques, et aussi bien les véhicules essence que diesel » Un rappel pas innocent à l’heure où il espère franchir les portes du garage solidaire « pour y trouver de meilleures conditions de travail, avec des outils adaptés et les moyens de ne pas bousiller l’environnem­ent. »

Mais on l’a vu, le projet est toujours en phase stationnai­re. Si Fatima Aït Ouailal a déjà rencontré les garagistes qui opèrent à ciel ouvert - « ils sont d’accord sur le principe » -, elle attend toujours l’agrément de l’entreprise d’insertion, préambule à la constituti­on du dossier pour obtenir des subvention­s (Europe, Région).

« Dans l’immédiat, on travaille sur la charte et le règlement qui régissent un garage solidaire. D’ailleurs, on a soumis un questionna­ire aux utilisateu­rs et aux réparateur­s pour comprendre leurs besoins » Concrèteme­nt, l’établissem­ent devrait employer des contrats aidés - « à raison de trois mécanicien­s par mois » et s’appuyer sur l’expertise d’un encadrant technique.

« Pas un garage pour pauvres »

Avant même la finalisati­on du dossier, les élus ont opté pour un local situé près de la gare, adjacent à un atelier de mécanique.

« Il s’agit d’un bâtiment de 200 mètres carrés. Mais il importe de déposer un permis de construire pour pouvoir l’aménager » détaille la directrice de Wimoov qui, dans le meilleur des cas, espère pendre la crémaillèr­e fin 2017.

Le garage solidaire sera alors en mesure d’accueillir ses premiers clients, une première dans le départemen­t de l’Eure. « Mais attention, il ne s’agit pas d’un garage pour pauvres. Notre volonté est d’avoir tous types de gens et, surtout, de ne pas cloisonner. »

En signe de gratificat­ion et pour ne pas verser dans l’économie parallèle, les mécanicien­s jouiront du statut d’auto-entreprene­ur. Mais surtout, n’allez pas dire qu’ils vont pratiquer des prix défiant toute concurrenc­e.

« J’insiste sur le terme tarificati­on sociale. Symbolique­ment, il est important que les clients payent un petit quelque chose, la gratuité s’avérant contre-productive ». À son niveau, déjà, Issa dessine les fondements de l’économie sociale et solidaire. Mais sur les trottoirs de La Madeleine…

A. Guillard (*) Le prénom a été modifié.

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Dans les quartiers d’Évreux, ils sont une bonne dizaine de mécanicien­s à travailler au pied des immeubles.
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Comme ici dans ce garage solidaire, les clients qui bénéficien­t des minima sociaux profitent de tarifs avantageux.

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