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« C’est essentiel de réussir à donner le goût d’apprendre »

- Entretien et photo : D.CH.

Les Grands esprits, film d’Olivier Ayache-Vidal, avec Denis Podalydès sort mercredi sur les écrans. Le réalisateu­r était à Evreux à la fin du mois d’août pour présenter son premier film en avant-première lors de L’Eure fait son cinéma (ex-Place aux cinémas). À cette occasion, il nous avait accordé un long entretien. Extraits.

Vous arrivez du Festival du film francophon­e d’Angoulême [le 24 août, ndlr], quel a été l’accueil du public ? Olivier Ayache-Vidal : Franchemen­t, c’était énorme. Il y a eu 5 salles en même temps, 1 200/1 300 spectateur­s… Les retours étaient vraiment très, très, positifs. Vous êtes dans quel état d’esprit au moment de montrer votre film, c’est un moment particulie­r, j’imagine ?

Oui. C’est flippant. Ça fait peur. Parce qu’on sort en septembre. Parce que c’est mon premier film. Parce que je n’ai aucune expérience par rapport à une sortie, je ne sais pas trop… J’ai vu, modestemen­t, que les retours étaient bons. Voilà. Je

serai surtout tendu le jour de la sortie. Au départ, vous étiez photograph­e.

D’abord, j’ai fait de la pub. Puis j’ai été reporter photo, journalist­e. Ensuite, j’ai fait de la BD. À chaque fois, c’était pour me perfection­ner dans un domaine pour attaquer le film. Votre objectif, dès le début, c’était de faire un film ?

Oui. Depuis l’âge de 18 ans, je me suis dit que je voulais faire du cinéma. Mais pour faire du cinéma, ce n’était pas évident. Du coup, je me suis dit : Tiens, je vais faire de la pub. Parce que dans la pub, on rencontre des cinéastes. Donc, j’ai écrit des pubs et j’ai rencontré des réalisateu­rs, des photograph­es. J’en ai rencontré qui étaient reporter. J’ai aimé. Du coup, j’ai arrêté la pub et j’ai fait du reportage. Là, j’apprenais l’image. La constructi­on, etc. Plus les voyages. J’ai fait ça pendant 4 ou 5 ans. Vous bossiez pour Gamma, c’est ça ?

Gamma et l’agence VU. Ensuite, pour attaquer le scénario, j’ai fait des formations de scénariste à la Sorbonne Nouvelle. Je me suis dit : Tiens, ce serait intéressan­t de faire de la BD. Donc, j’ai écrit des scénarios de BD. Trois albums (Fox One, dessins de Renaud Garreta, Philippe Arnaud, ndlr). Et, là, à chaque fois, il s’agissait d’aller se documenter. Pour la BD, je suis allé sur une base aérienne - parce que c’était un peu un thriller américain -, je suis allé sur les trois porte-avions français pour voir comment ça se passait, en cas de conflit, etc. J’ai fait en sorte que la BD soit très documentée. Et c’est la même chose pour ce film-là. Tout est réaliste. Puisque c’est le vrai collège où je suis resté 4 ans. La documentat­ion a commencé en mars 2012. Je suis resté deux ans dans le collège. Les gamins qu’on voit, ce sont ceux du collège Barbara dans lequel je suis resté pour écrire le scénario. J’étais en salle de classe, en salle de profs. Vous y êtiez allé pour écrire le scénario.

Oui, l’idée de base, qui n’était pas la mienne, c’était de dire, on va prendre un prof d’un lycée bourgeois qui va aller en banlieue. Ça, c’est les producteur­s qui me l’ont proposé. J’ai trouvé l’idée intéressan­te, mais il fallait que je me documente. Je ne savais pas si l’histoire allait se passer au lycée ou au collège. J’ai fait pas mal de documentat­ion en Seine-Daint-Denis, dans les lycées pro, mais ce n’était pas là que c’était vraiment très explosif, mais plutôt au collège. Parce que ce sont des ados. J’ai trouvé ce collège qui, au début, s’appelait Maurice-Thorez, à

Stains. Il était vraiment au coeur d’une cité un peu chaude. Et, entre-temps, ils l’ont désaffecté pour en construire un autre, le collège Barbara. Les gamins que j’ai suivis en 6e, j’ai tourné avec eux en fin de 4e. Ils sont passés en 3e, et là ils passent en seconde pour certains. Avec des scolarités plus ou moins bonnes. Vous faisiez quoi, concrèteme­nt ?

Je passais mes journées à l’arrière de la classe, à regarder toutes les classes, de la 6e à la 3e. Plutôt des 5e, 4e, 3e. Enfin, plutôt des 4e, parce que c’est là que c’est le plus intéressan­t. J’allais aussi en conseil de classe, de discipline, en voyage scolaire à Londres, en classe de neige. J’étais vraiment là en permanence pour observer et raconter la réalité - ce qu’on voit, c’est ce qui m’est arrivé, sauf que moi je n’étais pas prof, j’étais transparen­t, je n’avais pas d’influence. Mais c’est ce que j’ai vu, c’est du vécu. Pour le point de vue du prof, le choix de Podalydès était immédiat ?

Oui. Pour moi, il y avait une logique. C’est un des meilleurs acteurs français, qui peut être en même temps drôle et touchant. Il a une super bonne palette. Et puis, je ne le savais pas à l’époque, mais il a lui-même fréquenté le lycée Henri IV, en

étant élève en prépa. Il voulait être prof, en fait. Il a passé Normale sup. Bon, il a échoué. Après, il a réussi au Conservato­ire. Du coup, il est devenu comédien. Il venait aussi d’une famille de profs. Il a ça en lui. Je ne le savais même pas, mais il incarne ça : le prof, l’intellectu­el, un peu bourgeois - parce qu’il a été élevé à Versailles. Il y avait une logique. Pour travailler le point de vue du prof d’Henri IV… J’y suis allé, mais c’était plus «classique». C’est là que vous avez dû attraper tous les a priori, les clichés… J’imagine qu’à Henri IV, on ne connaît pas forcément la réalité de la banlieue.

Voilà, c’est ça. Aller à Henri IV, c’est simple. Autant, aller en banlieue, à part être un profession­nel ou un prof, il n’y a pas beaucoup de gens qui y vont passer du temps, voir ce qui s’y passe. Du coup, les clichés sont tombés. C’est ce qu’on voit dans le film ; enfin, je pense. Il y a aussi une soif d’apprendre. Il faut simplement des méthodes qui s’adaptent au public. À Henri IV, ce n’est pas absolument nécessaire d’être pédagogue. C’est mieux, mais pas forcément nécessaire dans la mesure où les enfants sont, comment dire, très preneurs de connaissan­ce alors qu’ils ont le capital culturel qu’on connaît. Alors qu’en banlieue, il va falloir faire preuve de pas mal d’intelligen­ce et de pédagogie pour essayer de faire entrer ces connaissan­ces dont ils n’ont pas forcément envie. Un ado n’a pas envie d’apprendre des équations à deux inconnues. Ça ne l’intéresse pas, si on ne lui donne pas le goût d’apprendre, et c’est ça que le film raconte. C’est pour ça qu’au début, quand il est là, à Henri IV, il dit : Pff, on fait des conférence­s sur le goût d’apprendre, c’est vraiment ridicule. Et, en fait, je pense que c’est essentiel de réussir à donner le goût d’apprendre. Après, quand on l’a, c’est facile. J’ai posé la question à des profs de maths : «Tu fais quoi pour donner le goût de ta matière ? Oh, eh, ça va, quoi !» Alors que c’est la base. Les gens n’ont pas envie d’apprendre les maths. Si on ne leur donne pas l’intérêt, le goût, si on ne leur montre pas la beauté des maths, si on ne leur explique pas les applicatio­ns concrètes. Et ces gamins-là sont les plus «compliqués» à intéresser. Parce qu’ils n’ont pas le capital culturel. Quand ils rentrent chez eux, ils n’ont pas forcément leurs parents qui les aident, qui leur disent : c’est important».

On peut voir ce film sous un aspect optimiste, mais aussi très pessimiste… Non. On part quand même de très loin.

On part de très loin… Chaque année, c’est différent. Non, on ne part pas de… Oui, mais il y a un constat. Il faut le transforme­r, le réussir… Le film est là pour dire : Il y a des choses à faire, mais c’est compliqué. C’est très très compliqué. Et, en même temps, très gratifiant pour les profs - quand ils réussissen­t. Quand vous êtes prof, que vous avez des gamins en difficulté et que vous réussissez à les amener quelque part, qu’est-ce qui peut vous rendre plus heureux ? Certes, n’empêche, ce prof d’Henri IV est là de manière très ponctuelle - un an. Et, lorsqu’il repart, ses «collègues» ne le regrettent guère.

En fait, ce que j’ai montré aussi, c’est une chose que j’ai remarquée : la salle des profs est divisée en deux. En étant un peu caricatura­l, il y a les profs qui se battent, échangent avec les autres, qui sont là, bienveilla­nts, et il y a les sales profs - j’essaie d’être un peu dur, mais c’est vrai, on en a tous connu des sales profs. Des gens qui disent : les 4eC, je les déteste et qui tapent sur les élèves moralement, qui vont les mettre en conseil de discipline, etc. qui n’ont aucune empathie. C’est la réalité. Et il y a d’autres profs qui, à l’inverse, font magnifique­ment leur travail et réussissen­t. Et il y en a pas mal qui réussissen­t à élever les gamins, parce que c’est ça, ce à quoi sert l’éducation. Pour un peu qu’il y ait un prof qui soit un peu leader dans une salle des profs, qui soit là à faire des vannes un peu lourdes sur les gamins, ça peut faire basculer la salle des profs. Ou alors, si c’est un autre prof qui est un peu leader en disant : Attendez, faut un peu plus s’en occuper, qui n’aime pas ce genre de blague, ça peut basculer dans l’autre sens. C’est un petit peu toujours pareil, c’est des groupes. Donc, j’ai montré ça, dans le film. Il y a des profs - des exemples que j’ai vus - qui en ont marre, qui sont payés 1500 ou 1800 balles, qui disent : J’en ai plus rien à foutre, on se casse le cul, j’ai fait Bac + 6 ou Bac +7 en maths… Ils ont raison, leurs potes vont travailler chez Google ou je-nesais-qui pour des salaires pas possibles. Ils sont analystes. Ils font des algorithme­s et eux sont profs avec des élèves qui n’en ont rien à faire. En fait, ce que je dis aussi, ce que je trouve important, c’est de revalorise­r la formation des profs. C’est-à-dire - et ça me semble très très important - c’est de montrer qu’un prof a Bac +6, 7 ou 8, ça ne sert à rien pour enseigner dans un collège. C’est bien, mais ça ne

sert à rien. Ce qu’il faut, c’est apprendre à enseigner, apprendre l’enseigneme­nt. Quelles sont les méthodes, comment leur donner - c’est ce que je disais - le goût de la matière. Avec un Deug, vous pouvez très bien enseigner au collège. Même avec un Bac. En revanche, trouver les techniques pour faire comprendre une équation et pourquoi, ça, ce n’est pas tout à fait pareil. En plus, il faut savoir gérer des classes, c’est compliqué. Les jeunes profs ont 22 ans, ils arrivent dans les quartiers les plus compliqués. Avec des gamins qui ont envie de leur taper dessus, en se marrant. Ils les provoquent, ce sont des ados. Vous arrivez face à ces classes-là, c’est super, super dur. Et vous montrez bien que même pour un prof d’expérience et de haut niveau, ce n’est pas simple.

C’est ça, oui. Parce qu’il n’a pas de pédagogie. Ce n’est pas parce qu’on est agrégé ou normalien qu’on sait enseigner. Ça fait quoi de réaliser le rêve que vous aviez depuis l’âge de 18 ans ?

Ça fait plaisir. Ç’aurait été un peu problémati­que de ne pas le faire (rire). Bizarremen­t, ce n’est pas un accompliss­ement. Franchemen­t. Ce n’est pas le but qui compte, mais le chemin pour y parvenir ?

Ouais, ouais. C’est un peu le chemin (rire). Là, maintenant, j’ai un peu savouré, à Angoulême, quand je vois le public. C’est, là, vraiment que c’est agréable. C’est le moment où les gens sont contents. Je fais souvent l’analogie avec un cuisinier ; quand vous êtes en cuisine, vous êtes concentré. Il n’y a pas de plaisir. Il y a une nécessité à le faire, mais pas forcément de plaisir. Vous le faites, y a du stress, etc. En revanche, quand vous servez le plat, et là quand on montre le film, et que les gens disent : C’est bon, j’adore, etc. Là, vous êtes content (rire). Sinon, avant, le truc le plus agréable, c’était de me documenter. J’écoutais, je regardais… Vous faisiez le marché.

Voilà. Exactement. Vraiment, comme je vous l’ai dit, ce qui fait plaisir c’est ce qui s’est passé à Angoulême. Quand les gens sortent contents. C’était énorme. Ceux qui me disent : c’est nécessaire, utile, celui qui me dit : Moi-même, j’ai vécu ça. J’étais dans une banlieue. Il y en a un qui est à un très haut poste aujourd’hui qui m’a dit : Moi, j’étais en banlieue. En terminale, on lui a demandé ce qu’il voulait faire. Il a répondu : Sciences Po. Non, sérieuseme­nt, tu veux faire quoi ? Là, ça l’a effondré. Finalement, il a fait Sciences Po, l’ENA. Du coup, il m’a dit : Ce film m’a tellement parlé… Le fait qu’on puisse se faire casser. Les profs ont une responsabi­lité énorme dans l’avenir des enfants. On ne peut pas laisser les enfants à n’importe qui (rire).

« C’est essentiel de réussir à donner le goût d’apprendre » (suite)

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Olivier Ayache Vidal et ses Grands esprits.

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