À l’école des mousses
Une association pour faire sa bière
Parce qu’ils ont un jour goûté au « vrai goût » d’une bière artisanale, brassée hors des circuits traditionnels des bières industrielles, Christophe, Geoffrey et Théo se sont lancés dans le brassage amateur de bière, encadrés par Simon, « notre caution morale », brasseur professionnel à Paris et bientôt à son compte à Rouen. Une envie « d’authenticité » qui les a même poussés à créer leur association, Evreux Craft Beer, dans le but de « montrer aux gens que brasser, c’est pas compliqué, leur donner envie de se lancer eux-mêmes ».
Do it yourself
Une tendance très en vogue, qui flirte avec la mode du DIY (do it yourself) en ce contexte international de crise économique. Mais pas que. « Ça va aussi avec l’envie de consommer autrement, plus équitablement, plus localement, savoir ce que l’on boit, à l’image de ce qui se passe pour la nourriture ». Franchir le Rubicon de ce que l’industrie et la grande distribution proposent.
« Pour la bière, aux ÉtatsUnis, cela fait 20-30 ans que des amateurs se sont mis au micro-brassage. Aujourd’hui, le pays compterait un million de brasseurs amateurs ! » s’enthousiasme Christophe. En France, « l’intérêt pour les bières IPA, houblonnées, très parfumées, à base de pale ales, ne fait que commencer » renchérit Geoffrey.
Dans la pico-brasserie de Christophe, installée dans la mezzanine de son garage, tout est fait maison. « On a bricolé pour installer un vrai plan de travail, avec arrivée d’eau, électricité », et même un ingénieux système de tuyaux pour relier les cuves. Ici, en solo ou avec ses camarades, il lance deux brassins par mois, pour une consommation « qui reste en cercle privé ». Pas question de mettre en vente les 20 litres minutieusement préparés par séance. Les 50 à 60 bouteilles, une fois encapsulées, sont proposées aux amis, à la famille. « Mais cela nous permet de tester des recettes, d’en comprendre les subtilités. »
Comme la cuisine
Et des recettes, « comme en cuisine » il y en a plein ! « Avec les quatre ingrédients de base de la bière - l’eau, le malt, le houblon et la levure - on peut confectionner autant de bières différentes que de dosages de chaque élément ! »
Le malt, tout d’abord, est « une graine, d’orge, de blé voire de seigle, qui a très peu germé. Elle est touraillée, c’est-à-dire séchée après avoir germé dans l’eau. C’est la durée de cette torréfaction qui va lui donner sa saveur : du biscuit si elle n’a pas beaucoup chauffé à chocolat si elle est restée longtemps au chaud » décrypte Christophe. « Pour l’instant, nous ne nous lançons pas encore dans la fabrication de notre malt, c’est beaucoup de travail, nous préférons l’acheter tout prêt, en général sur des sites internet belges de matières premières » précise Geoffrey.
Vient ensuite le houblon, « une plante sauvage qui pousse de préférence le long des berges, des cours d’eau. Grimpante, elle est traitée comme une mauvaise herbe. Il y en a partout ! » affirment les brasseurs amateurs. Les fleurs de cette plante-liane de la famille du chanvre sont conditionnées en pellets, au congélateur. « Pareil, on les achète aux ÉtatsUnis, où il existe davantage de variétés de houblon intéressantes ».
Enfin, la levure, matière vivante « qui va transformer le sucre des grains en alcool et fabriquer du gaz carbonique pendant la fermentation », est aussi diverse qu’elle est unique.
Concassage, empâtage, etc.
En une demi-journée, seul dans son antre, Christophe ne perd pas de temps. Grâce à un logiciel adéquat, il construit sa recette, dose ses matières. « Le brassin d’aujourd’hui, je ne le voulais pas trop amer, mais très aromatique ». Du coup, ses grains d’orge sont très blonds et la dose de houblon légère - « c’est lui qui amène l’amertume ».
Dans un premier temps, il faut « concasser les grains » et tout mettre dans la cuve d’empâtage. « Là, on ajoute l’eau chaude et on fait infuser à 65° pendant une heure ». Le jus extrait est gorgé de sucre. Il est transféré dans la cuve d’ébullition pendant une autre heure. « C’est à ce moment que l’on va rajouter le houblon, tôt pour rajouter de l’amertume, plus tard si l’on veut une bière plus aromatique ».
Ensuite, « on fait refroidir la bière, on redescend de 100° à 20° tout doucement, en ajoutant la levure » et on rechange encore de cuve. « On passe au fermenteur ». Dans ce contenant hermétique et stérile, la bière reste stockée 10 jours à deux semaines. Mieux, Christophe a même installé dans son garage une chambre de fermentation thermorégulée pour que la bière mûrisse dans des conditions optimales.
La soif et l’envie de goûter le résultat du labeur doivent encore attendre : il faut embouteiller ou mettre en fût la bière, la regazéifier au gaz carbonique, avant de pouvoir déguster, avec modération selon le degré d’alcool révélé par le réfractomètre. Un travail de patience pour enfin pouvoir trinquer.
Casser les codes
Ainsi, ce samedi 2 décembre, au Riff de la MJC Bel-Ebat, puis le samedi 16 décembre, à l’Office de tourisme d’Évreux, les apprentis-brasseurs vont devoir patienter avant de pouvoir goûter le produit de leur journée d’initiation. Ils devront d’abord passer par toutes les étapes de
la fabrication agrémentée de dégustations de plusieurs recettes
de bières artisanales. « Il nous faudra leur apprendre que les couleurs ne font pas les bières, qu’on peut avoir, par exemple, une blonde amère ou aromatique avec beaucoup ou pas d’alcool… Il nous faudra casser les codes ».
Un plaisir pour les zythologues d’Évreux Craft Beer, bien décidés à partager leurs expériences et leur passion pour l’IPA. Et, pourquoi pas, susciter des vocations parmi les biérophiles !