« La situation ne s’améliore pas »
En poste à Évreux depuis dix-sept ans, le docteur Jean-Paul Pathé suit, au plus près, l’évolution du VIH. Ses propos n’invitent guère à l’optimisme…
Vous revenez de Milan où s’est déroulé le congrès européen du sida. Quelle a été la teneur des débats ?
Ce congrès a permis de faire le point sur la maladie et de défendre l’idée, thérapeutique, qu’on a les moyens de contrôler le VIH là où il se reproduit. Encore faut-il le faire sortir de ces fameux réservoirs où se niche la primo-infection, pour ensuite le neutraliser. Mais là, les résultats sont extrêmement décevants : les produits utilisés, lors des essais cliniques, n’ont pas eu l’effet escompté.
Peut-on évoquer un constat d’échec ?
On avait énormément investi, avec l’espoir et l’ambition d’aller au bout de la cure du VIH. Avec les outils technologiques dont on dispose, on peut voir le VIH jusqu’à l’atome et, à partir de là, faire du design de molécule. Et aujourd’hui, force est d’admettre que le vaccin s’éloigne, qu’il n’en existe pas de préventif. Autant être franc : il s’agit là d’une véritable déception !
« Laisser les gens respirer »
Lors d’une dernière rencontre, vous insistiez sur la nécessité de dépister les gens qui ne se savent pas porteurs du VIH.
Effectivement, le but, c’est d’avoir le moins de gens qui s’ignorent et, donc, de les diagnostiquer. Je pense, notamment, aux travailleurs du sexe croisés dans les pays à vocation «touristique sexuelle». Ou aux personnes en situation précaire et qui n’ont pas accès aux soins, voire aux migrants qui ont peur des contrôles et de la police, et passent donc entre les mailles de la prévention. Ce sont des populations difficiles à gérer.
Vous disiez, également, que les homosexuels étaient réfractaires aux «diktats» hétérosexuels !
La communauté s’est trouvé raccord avec les incitations à la prévention dès lors que le corps médical acceptait de mettre à sa disposition la PrEP, préparation médicamenteuse. Mais subsistent des réticences et des questionnements car le produit n’est pas anodin, il génère des complications rénales et osseuses.
Justement, où en sommesnous des traitements ?
Encore une fois, les expériences menées nous indiquent que les traitements pris hypertôt n’empêchent pas les traitements anti-viraux à vie. Par ailleurs, on essaie de voir si les malades peuvent observer des pauses dans la semaine, à savoir suivre leur traitement cinq jours sur sept, voire quatre jours sur sept. Il faut laisser aux gens le temps de respirer. On envisage, également, la mise à disposition prochaine d’un traitement par voie intra-musculaire avec, dans le meilleur des cas, une seule injection par mois.
Quid du Truvada, produit annoncé «miracle» ?
Le Truvada et son «petit frère», le Genvoya, offrent une bien meilleure tolérance rénale et osseuse. Et d’après les essais français, ils garantissent 85 % de réussite…
« Je soigne 250 personnes »
De quelles statistiques dispose-t-on à l’échelle nationale ?
En France, on recense un peu plus de 150 000 séropositifs. Mais notre pays fait encore figure de mauvais élève, notamment dans le cadre du plan 90/90/90 qui veut que dans trois ans, 90 % des personnes recevant un traitement anti-rétroviral aient une charge virale doublement supprimée. Là, nous accusons du retard par rapport aux Scandinaves et aux Suisses, plutôt en pointe sur le sujet. Il faut dire qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes flux migratoires, et aux mêmes prises en charge.
Et dans le département de l’Eure ?
Je trouve que la situation ne s’améliore pas. D’une année sur l’autre, j’ai enregistré 30 nouveaux cas. Auparavant, la moyenne se situait plutôt entre 10 et 15. Mais l’Eure se trouve dans un couloir de migration, coincé entre la région parisienne et Le Havre, si bien que de nombreuses personnes transitent par notre département. Au final, je traite 250 patients, dont plusieurs qui viennent d’Ile-de-France ou de Rouen. Ils apprécient la discrétion et la confidentialité qui prévalent à Évreux.
Comment se compose votre patientèle ?
À 55 % d’hétérosexuels et 25 % d’homosexuels. Ils devancent les vieux toxicomanes qui rechignent à répondre aux essais thérapeutiques. Les hommes représentent 60 % de ma patientèle, pour une moyenne d’âge de 50/55 ans, contre 40/45 ans aux femmes.
« Des slogans moins porteurs »
En matière de prévention, les plus jeunes semblent se «relâcher» !
C’est un phénomène constaté depuis de nombreuses années, comme si le VIH était dépassé. Les jeunes pensent que s’ils contractent l’infection, « ce n’est pas si grave, ça se soigne ! ». Et puis les slogans invitant à la prévention sont nettement moins porteurs qu’à l’époque de Freddy Mercury ou Cyril Collard.
Le 29 novembre, à l’issue de la projection du film «120 battements par minute» (*), vous animerez un débat, notamment aux côtés de l’association l’Abri.
Plutôt que d’opter pour une conférence classique, nous avons choisi un film qui a fait le buzz. C’est un film sur l’activisme, très branché contre les laboratoires. Il relate les actions menées par Act Up pour lutter contre l’indifférence générale face au fléau qu’est le sida. À l’époque, ces militants étaient plus dans le conflit. Aujourd’hui, les relations sont nettement plus apaisées.
Vous avez connu cette période ?
Bien sûr. D’ailleurs, quand j’ai commencé à exercer, en 2000, on recensait une douzaine d’actions militantes à Évreux et aux alentours. Aujourd’hui, signe des temps, elles ont presque toutes disparu…
Propos recueillis par A.Guillard
(*) Mercredi 29 novembre, au cinéma Pathé (20 h). Entrée : 6 €.