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« C’est une routine de se faire voler des vannes »

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C’est tout pour moi sort sur les écrans mercredi. La réalisatri­ce et comédienne Nawell Madani l’avait présenté en avant-première au mois d’octobre à Évreux. Accompagné­e de Mimoun Benabderah­mane - qui incarne son père à l’écran. On avait réalisé cette interview en public, à l’issue de la projection. Extraits. Ce film, c’est votre histoire. Quelle est la part de réalité et de fiction ? Est-ce que tout est vécu ?

Nawell Madani : Ce n’est pas ma vie. Déjà, je me serais appelée Nawell et non pas Nina (le personnage du film). C’est un récit fictionné qui est inspiré de certains éléments de ma vie. Je n’ai pas hésité à puiser dans ma vie, au lieu d’avoir des événements artificiel­s et oublier tout ce que j’ai vécu de près ou de loin. Mais tout ce que j’ai retranscri­t à l’image, ce sont des choses que j’ai pu observer.

L’accident du départ (enfant, elle s’est ébouillant­ée gravement).

À deux ans et demi, je me suis brûlée, pas à l’âge de 6 ans - donc ce n’est pas ma vie. Et c’était beaucoup plus dur que ce qu’on voit à l’écran. Comme on ne voulait pas, après 3 minutes de film, refroidir le public… Oui, ça a été très dur. Il y a beaucoup d’événements qui sont édulcorés pour ne pas passer à côté de la comédie.

Donc, ce n’est pas une autobiogra­phie. Pourquoi ce choix ?

C’était compliqué de mettre tout ce qui m’est arrivé. Je ne voulais pas choisir certaines étapes de ma vie plus que d’autres. Il y avait certaines choses auxquelles j’étais attachée et, pour m’en détacher, il a fallu que je m’éloigne du personnage. Autre élément, celle qui devait interpréte­r le rôle de ma mère, Akela Sari, est décédée pendant la préparatio­n. Ça faisait 7 ans qu’on se fréquentai­t. On avait écrit les premières lignes du scénario ensemble. On a appris qu’elle avait un cancer pendant la prépa du film. J’ai préféré ne pas choisir une autre actrice. Et ma mère est toujours en vie. Donc, ce n’est pas mon histoire. Pour tous ces choix-là, j’ai préféré m’éloigner de ma propre histoire.

On voit aussi l’envers du décor du monde du standup.

Ça aussi, c’est édulcoré. C’est beaucoup plus dur, en réalité. Le one-man, c’est un métier d’égocentriq­ues. C’est le oneman ! On veut briller tout seul. Donc, quand on monte sur des plateaux d’humoristes où on se succède les uns après les autres, souvent il y a dans la salle des gens qui viennent faire leur « shopping ». Je parle de producteur­s. Ils viennent recruter leurs prochains chroniqueu­rs, que ce soit radio ou télé, on a forcément envie de sortir son épingle du jeu, donc on joue des coudes, c’est « normal ». C’est un métier de compétitio­n. Ceux qui étaient les numéros un il y a 20 ans, sont toujours les numéros un.

« Ce n’est pas mon histoire » Tous les coups sont permis, comme on le voit dans le film ? On peut se voler des gags, des vannes ?

Coluche disait : le premier qui le met en télé, ça lui appartient. Donc, ça existe déjà depuis des années. C’est une routine de se faire voler des vannes, ça arrive tout le temps. Faut vraiment préserver son matériel. Quand on fait des présentati­ons, on essaie de donner les morceaux de ses sketches les moins efficaces, comme ça, on ne se fait pas voler les pépites.

On ne le voit pas dans le film, mais votre envie de faire du cinéma est venue en cours de route ?

C’est un producteur qui est venu me voir, je n’étais pas du tout attirée par le cinéma, c’était en 2014, j’étais sur scène. Un monsieur est venu me chercher pour faire du cinéma.

Vous auriez pu vous contenter de jouer, d’écrire le scénario ; là, vous le coréalisez [avec Ludovic Colbeau-Justin, ndlr].

Je le coréalise parce que c’est venu des équipes. J’étais tellement précise dans les demandes. Il y a très peu de gens qui savent filmer la danse, comme je le voulais, qui connaissen­t la danse pour avoir des chorégraph­ies aussi tip top à l’image. Savoir comment je voulais filmer le stand-up. J’étais tellement exigeante que, finalement, on m’a dit vaut mieux que tu coréalises sinon tu ne vas pas être contente. Et puis, je dirigeais les acteurs qui, à 90 %, sont des amateurs.

C’était une volonté de ne pas avoir de têtes connues ?

Oui. Déjà, je voulais donner leur chance à plusieurs nouveaux acteurs. Et trouver un papa d’origine maghrébine de plus de 60 ans dans une agence d’acteurs, c’est compliqué. Il y avait tellement de difficulté­s pour aller au bout de ce film que j’ai dû aller chercher les gens un peu partout. Mimoun [Benabderah­mane] était mon chauffeur VTC, c’est lui qui venait me chercher pendant la tournée…

Ah oui, lorsque vous dites des amateurs, ce n’était même pas dans des cours de théâtre ou de comédie.

Mimoun n’a jamais joué de sa vie. D’ailleurs, il n’a pas voulu faire le film. C’était très dur. Son fils travaille avec nous sur la tournée. Je lui ai dit, j’aimerais vraiment avoir quelqu’un de confiance avec moi quand je rentre à 4 heures du matin. Ce n’est pas tu t’endors la bouche ouverte et le mec fait un snap. J’ai déjà eu ça avec un chauffeur Uber. Il me dit : Écoute, mon père, il ne te connaît pas, il s’en fout de toi. J’ai dit : Cool ! Il est venu me chercher. Et il avait ce phrasé comme mon père - qui est d’origine oranaise. Ils aiment bien mélanger le français et l’arabe. Il me parlait comme ça, et il était d’une bienveilla­nce. Quand il sortait mes valises, je me disais : Il ferait trop bien ton papa ! Je lui ai demandé. Il a refusé au début. Pendant un mois, je suis passé par son fils, sa femme. Il est venu un jour, pour me chercher. Je lui ai dit : Vous ne voulez pas venir jouer avec moi ? - Jouer à quoi ? - Ben, je ne sais pas, on se donne la réplique. Il est venu, on a fait les répétition­s. À un moment, je lui dis : ça joue faux. Il y avait sa femme à côté qui a dit : Comment ça joue faux ? (rire). Je me suis dit que ça allait bien se passer. On a préparé le film. Ça a été très très compliqué parce qu’on a tourné le film en 5 semaines. On a fait rentrer 7 minutes de film par jour, ce qui est énorme. Avec 90 % d’acteurs amateurs. Moi à l’image. Moi à la direction. Heureuseme­nt que j’avais un coréal qui est un chef-opérateur de 20 ans d’expérience. Il m’a beaucoup aidée pour me libérer du cadre et de la lumière.

Il y a aussi le rôle incarné par François Berléand.

J’ai vraiment rencontré un Pygmalion et je l’ai toujours dans ma vie. Il m’aide à évoluer au quotidien, à trouver du fond dans mon écriture. Je suis quand même une jeune humoriste. J’ai commencé ce métier il y a 5 ans. Mon premier one-man date d’il y a 3 ans. J’ai encore tout à apprendre. J’ai eu la chance de faire des bonnes rencontres dans ce métier. Et Berléand, il a été Pygmalion à l’écran et sur le plateau aussi. Il nous a beaucoup, beaucoup aidés. Parce que c’était très compliqué, on faisait des journées de 14 heures.

C’est plus compliqué sur un plateau de cinéma que sur une scène de one-manshow ?

Bien sûr. Surtout pour moi qui ai du mal à déléguer. Quand je suis sur scène, c’est moi. Moi et mon public. Sur un tournage, on a 50 ou 60 technicien­s. Beaucoup d’hommes. Tu viens avec un premier film. T’es une comique à la base. Faut y aller pour qu’on vous écoute. Déjà ça, et puis j’avais plein de contrainte­s financière­s. Et de temps. Il fallait tout faire rentrer en 5 semaines. Oui, c’est plus facile de monter sur scène. Entretien et photo : D.CH. L’histoire : Depuis toute petite, Lila veut devenir danseuse, n’en déplaise à son père. Elle débarque à Paris pour réaliser son rêve… Mais de galères en désillusio­ns, elle découvre la réalité d’un monde qui n’est pas prêt à lui ouvrir ses portes. À force d’y croire, Lila se lance dans une carrière d’humoriste. Elle n’a plus qu’une idée en tête : voir son nom en haut de l’affiche, et surtout retrouver la fierté de son père.

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