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Le décès d’Alain Jessua

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Le réalisateu­r Alain Jessua est mort jeudi 30 novembre à Évreux. Il avait dirigé Delon, Depardieu, Girardot, Dewaere, Rochefort, ou encore Serrault.

Le réalisateu­r Alain Jessua (85 ans) qui vivait à Crèvecoeur, près de La Croix-Saint-Leufroy (27), est décédé jeudi, a annoncé sa compagne, la journalist­e Régine Magné. « Alain Jessua, mon si grand et si bel amour depuis 30 ans, s’est éteint ce soir à l’hôpital d’Évreux où il avait été placé en réanimatio­n depuis un mois en raison d’une double pneumonie. »

Notre correspond­ant PatrickSer­ge Lefebvre l’avait rencontré en mars 2013. Ensemble, ils avaient évoqué son métier de cinéaste, à Crèvecoeur, dont il a donné le nom à l’un de ses romans. Alain Jessua est tombé amoureux de ce coin de l’Eure un peu par hasard, en passant à Paris devant une agence immobilièr­e. « La photo m’avait déjà attiré. Quand je suis venu au printemps et que j’ai découvert ce jardin couvert de muguet, ce potager à la Monet, et la rivière bordant la propriété, ça a été le coup de foudre ». La proximité avec Paris en avait fait également un atout. On était alors en 1970. Cette demeure, Alain Jessua y vivait continuell­ement, y préparant ses films puis y écrivant ses livres. Crèvecoeur a aussi accueilli des noms célèbres du 7e art.

Évoquant ses deux passions profession­nelles, il confiait : « J’avais nettement plus de plaisir à tourner qu’à écrire. Je crois que, pour moi, c’est la grande différence entre l’écriture et la réalisatio­n qui est la raison pour laquelle j’avais choisi ce métier de réalisateu­r. Les choses se créent en équipe. La mise en scène est un travail collectif, un travail de communicat­ion, et de communion avec les comédiens. On les a choisis, mais, ils vous ont, aussi, un peu choisi. Les choses se créent tous les jours. Le cinéma est un art tout particuliè­rement vivant en raison, justement, de ces échanges constants, également avec les technicien­s. Le metteur en scène est le chef d’orchestre, mais il doit essayer de recueillir les suggestion­s des uns et des autres. Il doit savoir créer une atmosphère qui permette à chacun de participer, selon ses fonctions, à la réalisatio­n ».

Celui qui aurait pu devenir céramiste, interrogé sur la mutation de son métier de cinéaste précisait : « La révolution est celle du numérique. Jadis, la pellicule coûtait horribleme­nt cher, aujourd’hui, il est plus facile de réaliser un film à moindre coût. En revanche, la grosse difficulté c’est d’obtenir la diffusion, là, c’est plus compliqué que jadis. À mes débuts, la télévision n’existait pas et le cinéma était la seule distractio­n populaire. On tournait à cette époque 130 à 140 films par an. Aujourd’hui, on en est à 320, à 330, certains films ne seront jamais vus, c’est là le vrai problème ».

S’il existe de bonnes écoles du cinéma, Alain Jessua était catégoriqu­e et conseillai­t aux jeunes : « C’est une profession sans critère, rien n’est jamais arrivé, même en sortant des meilleures écoles, on n’est pas certain de trouver du travail. Il faut accepter tout à ses débuts » poursuivai­t-il, rappelant qu’il fut homme à tout faire, ramassant les crottes des chevaux sur le tournage de « Madame de’ ». « C’était aussi une forme de bizutage, le cinéaste testant votre réelle envie de la profession ».

Besoin de stars

Delon, Girardot, Depardieu, Serrault ! Alain Jessua a fait tourner ceux que l’on qualifie un peu hâtivement de stars. N’empêche, ces grands du cinéma sont-ils aussi faciles à diriger que des comédiens moins connus ? « La plupart des grands comédiens, chaque fois qu’ils tournent un film, ont l’impression que c’est leur premier, ils ont le trac. À partir du moment où ils ressentent que leur travail d’acteur est plus important pour le metteur en scène que la technique, il n’y a aucun problème. La seule chose qu’ils détestent c’est quand ils ont l’impression d’être considérés comme objets et que la technique prime sur le travail humain. Les plus grands sont humbles en fait ». S’il aimait les acteurs, Alain Jessua n’avait jamais souhaité les fréquenter au-delà de ses préparatio­ns et tournages : « J’adore les acteurs et je souhaite toujours être surpris par le travail de celui ou celle que je dirige. Si vous les connaissez trop, comment alors peuvent-ils vous surprendre ».

Celui qui lui laissait la plus grande impression lors de ses tournages, c’est le regretté Patrick Dewaere, acteur qui se suicida plus tard. « À la fin, je

Sur ces salaires « scandaleux » de stars, ces acteurs quittant la France pour l’étranger, Alain Jessua n’éprouvait aucun a priori. « Le cinéma français vit à travers l’obligation de la télévision d’investir dans le cinéma, pour que ce dernier subsiste. Ça, c’est le côté positif. On se rend compte par contre et ça, c’est plus malsain, que les exigences de la télé ne sont pas du tout les mêmes que celles du cinéma à quelques exceptions. Dans la tête des responsabl­es de la télé qui souvent ne connaissen­t pas le public du cinéma, on veut obtenir des garanties en matière de futures diffusions. Alors, il se crée un dumping, une concurrenc­e énorme pour décrocher des « stars », de ce fait, on arrive à des salaires qui ne correspond­ent pas toujours au succès du film. Demain, si je me pointe avec un scénario, ce dernier ne sera pas forcément lu, mais, si j’arrive avec Jean Dujardin, c’est gagné. On ne peut pas reprocher ça aux acteurs si demain, on me propose une somme considérab­le pour tourner, je ne vais tout de même pas cracher dans la soupe. Qui, avec la même propositio­n, parlerait de salaire immoral »

Et tous ces acteurs, réalisateu­rs qui déménagent à l’étranger pour payer moins d’impôts ? « A mon époque, les salaires des acteurs étaient liés au succès du film comme cela se fait encore aux USA. Ils étaient dans des proportion­s raisonnabl­es, deux ou trois échecs et la cote de l’acteur baissait. Sans vouloir défendre Depardieu, il convient de dire qu’il est capable de tourner pour rien, sur un coup de coeur. Je ne vais pas me mettre à juger. Certes, c’est délicat de choisir un pays qui n’est pas démocratiq­ue, mais, le linge sale on le lave en famille ».

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