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Lucien Jean-Baptiste : « Je vis un rêve éveillé »

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Il y a 9 ans, La (très réussie) Première Étoile, de Lucien Jean-Baptiste avait obtenu un succès populaire. Le comédien réalisateu­r revient avec La Deuxième Étoile, sur les écrans mercredi, film qu’il avait présenté en avant-première à Évreux au début du mois de novembre. On l’avait rencontré à cette occasion. Extraits. Vous étiez à Évreux, il y a moins d’un an pour Il a déjà tes yeux. Et vous revoilà avec un autre film, La Deuxième étoile. Un délai, finalement, très court. À quel moment l’avez-vous fait ?

Lucien Jean-Baptiste : En fait, La Deuxième étoile est née dès qu’il y a eu La Première étoile. Parce qu’il y a presque un truc logique quand tu appelles un film Première étoile, le titre implique pratiqueme­nt la suite.

C’est-à-dire que vous y pensiez dès le premier film ?

Non, non. Mais on peut l’imaginer, c’est possible.

Oui, mais on peut aller jusqu’au Chamois d’or, à ce moment-là. Les Flèches d’or, d’argent et de bronze.

Voilà, exactement. On sent que ça appelle une suite. Bon, il fallait que le film marche. La Première étoile a été un succès. Donc, effectivem­ent, la question de La Deuxième étoile s’est posée. Moi, j’avais tellement d’autres histoires dans la tête que je ne me suis pas jeté dessus. J’ai préféré prendre le temps, faire d’autres films. Et puis le moment est venu, peut-être il y a trois ans. Parce que depuis le succès de La Première étoile, il n’y a pas une semaine - et je dis une semaine pour être cool - où on ne me demandait pas : Alors c’est quand La Deuxième étoile ? Ça fait 9 ans que ça dure. Donc, à un moment, ça a commencé vraiment à germer. Et il y a 3 ans, on a commencé à réfléchir. Et, le vrai déclic, c’est la famille, ma famille. Je vois que chez mes enfants, les écrans prennent l’espace. Surtout le week-end, parce que je leur interdis les tablettes la semaine. Tu rentres, tu vois tous tes mômes sur les tablettes, ta femme est sur une série sur l’ordinateur, et moi je m’allume le rétroproje­cteur pour mater un film. Là, tu te dis : Donc, là, on ne va pas se parler de la soirée. Là, tu te dis : Merde, c’est quoi ce délire ? C’est ça la nouvelle configurat­ion familiale ? Donc, interrogat­ion. Je me dis : Tiens, j’aimerais bien parler de ça. Je voulais parler de la difficulté de réunir sa famille. Je trouvais que Noël, c’est le moment dans la société où on vous dit : Faut être ensemble, en famille, c’est le temps de la réconcilia­tion. Même les guerres s’arrêtent à Noël. S’il y a un moment où on doit lâcher les tablettes, c’est Noël. Avec ces deux pôles-là, j’ai commencé à réfléchir, à construire une histoire, La Deuxième étoile.

« Le vrai déclic, c’est la famille » Oui, mais le film intervient très très vite derrière Il a déjà tes yeux. C’est ça qui est étonnant.

Non, ça arrive avant ! Il y a trois ou quatre ans, c’est là, je prends des notes…

Avant Il a déjà tes yeux ?

Nan, ça se fait en même temps, ah la la, c’est un bordel. Ça fait 5 ans que je n’ai pas de vie. Je ne rigole pas. Ça fait 5 ans que je ne vis que pour le cinéma. Là, il serait temps que je me calme un peu, ouais. Je ne fais que des films. C’est pour ça, il faut que je me calme un peu. Les enfants poussent, tout ça. Et moi, je ne fais que des films. Écrire, réaliser, jouer dans mes films. Mais, tu sais, j’ai commencé dix ans après tout le monde… Et puis, c’est des métiers, tu n’es jamais sûr du lendemain. Donc, quand tu as une vague comme ça, tu as intérêt de la surfer, mec ! Parce que tu ne sais pas ce qui peut se passer. Ça peut s’arrêter demain matin. Et puis, moi, je suis gourmand. Et surtout, j’aime ça ! Moi, je n’ai pas l’impression de travailler, je m’éclate ! À faire des films, même être là. On me demande : Comment ça se fait, vous êtes toujours joyeux ? Mais je vis un rêve. Je kiffe. Si on m’avait dit que j’aurais cette vie-là, je signais tout de suite. Je ne savais pas. Je vis un rêve. Parce que moi, j’avais une vie normale avant. Je sais ce que c’est de travailler… Moi, je vis un rêve éveillé. Je fais un truc qui me passionne.

Le tournage se passe a priori en hiver. Il s’intercale comment par rapport à Il a déjà tes yeux ; dont vous avez assuré la promo en décembre.

On a tourné en février, mars, 9 semaines en tout.

Donc, pas de repos entre les deux.

Ah nan. Je fais un succès avec Il a déjà tes yeux, je ne peux même pas le fêter parce que j’ai besoin de ma tête. Bon, j’ai fait un petit peu la fête, comme ça, mais j’étais déjà dans La Deuxième étoile. Le mec me dit : Oh, Lulu, c’est cool ! Et moi, je réponds : Ouais, ouais, mais moi je tourne le mois prochain. Pendant que je montais Il a déjà tes yeux, le scénariste venait. Je n’étais pas toujours derrière la monteuse, j’avais un bureau à côté, et je faisais des séances d’écriture. C’était un truc de ouf.

Tout le monde était ok pour repartir pour une Deuxième étoile, tout le casting ? Car c’était aussi une des conditions, j’imagine.

Oui. Tout le monde était ok. Après, c’est le moment où je parle de Bernadette Lafont. J’étais très malheureux de faire une suite, enfin une suite, une Deuxième étoile sans Bernadette. Fallait que je trouve aussi l’idée, comment lui rendre hommage.

C’est plutôt réussi.

Oui. Après, les suites sont souvent plus marketées. Faut pas se tromper. Parce que tu sais très bien que les gens seront dans la comparaiso­n. Il regarde un film, mais ils sont tout le temps en train de comparer.

Surtout que, là, le concept, enfin l’idée du film : Les Antillais qui découvrent le ski, la montagne était bouclée et très bien traitée dans la Première étoile. Là, ce n’est plus l’idée.

La Première étoile, tu vois, c’est là où c’est toujours intéressan­t. Pour tout le monde, c’était des Noirs qui allaient au ski. Pour moi, ce n’était pas ça. Jamais, vraiment. Ça fait rire, comme une blonde prof de maths. Pour moi, c’était surtout un père qui n’avait pas une thune et qui essayait d’apporter du rêve à ses enfants, avant d’être noir. C’est un père qui a fait une promesse à ses enfants. Et s’il ne respecte pas cette promesse, sa femme le quitte. C’est comme ça que j’ai construit mon film. Après, qu’il soit noir, blanc, vert ou rouge. Alors noir, évidemment, je ne suis pas naïf, c’est plus drôle. Là, c’est le même père qui va essayer de réunir sa famille. Il a cette difficulté. Bon, je n’ai pas fait un Ken Loach. Ça devait être un film populaire, familial, grand public, de Noël, c’est le brief. Mais au départ j’aurais encore plus accentué sur le côté Little Miss Sunshine, la famille vraiment très éclatée. Là, personne ne veut y aller. Alors que quand ils n’avaient pas une thune… Je parle aussi de moi, aujourd’hui, j’ai la possibilit­é d’offrir le ski à mes enfants, ils me disent : Oh, non, non. Alors que moi, tain, quand j’étais petit, j’aurais vendu… Enfin. Là, c’est un père qui essaie de réunir sa famille. Au départ, ils sont tous devant un écran ou ils intervienn­ent dans un écran. Les écrans sont en train de nous envahir.

Il y a le traitement de l’histoire, c’est très bédéesque, burlesque, c’est volontaire, j’imagine.

Bien sûr. Je voulais des méchants de comédie, de la couleur, c’est un film de Noël, des enfants, tout ça. J’ai essayé, je l’avoue, de plaire au plus grand nombre. Que tout le monde y trouve son compte. Parce que c’est un film sur Noël, familial, tout ça. Ces méchants, je voulais les rendre un peu cartoon. Il y a tout ça là-dedans, du cartoon, il y a beaucoup de genres qui sont assumés. Tarantino, The Revenant, Shining - qu’il y avait déjà dans La Première étoile. Et ce que je me suis autorisé à faire aussi, parce que j’étais très angoissé à l’idée de faire une suite, parce que, comme je disais, les gens comparent, j’ai dit : Ok, on ne va pas tricher. Giraudeau a dit : Il faut surprendre le spectateur avec ce qu’il attend. Donc, je reprends ce qu’il attend. Tout ce qu’ils ont vu dans La Première étoile. Et je vais pousser les situations à l’extrême. Comme il y avait un peu plus d’argent, en termes de budget, même s’il n’y en a jamais assez, on a poussé les curseurs. Après, fallait les pousser dans le bon sens.

Du coup, on sort d’un film réaliste pour aller vers une espèce de conte.

De délire, ouais. Et des univers très différents. Bon, après là, c’est du discours de cinéphile, les cinéphiles purs pourront regarder ce film, ils verront qu’il y a une volonté, à certains endroits de faire un peu de cinéma. Entretien et photo : D.CH.

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