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Denis la Récup’, l’homme du fer

Depuis dix ans, Denis arpente la ville d’Évreux au volant de son vieux camion orange, en quête d’encombrant­s qu’il trie patiemment avant de les promettre au recyclage…

- A.Guillard

La télé cligne de l’oeil, le micro-ondes joue des coudes avec la carcasse rouillée d’un vélo, la machine à laver se trouve en soins palliatifs, les fils de cuivre s’enroulent autour d’un destin improbable : bienvenue dans la rubrique à brac de Denis, roi de la récup’ !

L’oeil du maître !

Dans ce grand bazar où un chat n’y retrouvera­it pas ses petits mais où le propriétai­re est capable, au premier coup d’oeil, de mettre la main sur un écrou de 5 et de repérer le chaînon manquant, l’Ébroïcien a construit un monde où, en dépit des apparences, chaque chose est à sa place.

« Question d’ordre et de méthode » synthétise notre pétillant sexagénair­e, renvoyé à sa condition d’homme «à tout fer» après une… condamnati­on pénale. « La police a découvert, chez moi, un stock d’armes anciennes. C’était en 2005, en pleine vague d’attentats à Londres et Madrid. À l’époque, tous les collection­neurs étaient dans le collimateu­r. »

Il écope d’une peine de prison et, dans la foulée, perd son emploi d’agent d’entretien à l’école Notre-Dame. Pour Denis, l’heure est venue de se «recycler»…

« Un métier à part entière »

La conscience écolo en éveil, notre homme se désespère de voir les population­s gaspiller à tout va, jeter au rebut des matériaux qui pourraient prétendre à une seconde vie.

« À force de voir, dans les rues, de la ferraille traîner, j’ai décidé de faire de la récupérati­on, un métier à part entière. D’autant plus que le ramassage de produits lourds commençait à casser le dos des employés de la Ville. Finalement, ça arrangeait tout le monde » En septembre 2007, Denis se lance dans le grand bain, fort de son statut d’autoentrep­reneur et de deux camions datant des années 80 : un Master et un Iveco !

Bien, sûr les deux véhicules affichent des milliers d’heures de vol, et autant de kilomètres au compteur.

Mais dans une autre vie, le natif de Louviers a oeuvré comme dépanneur d’engins blindés, au 8e Régiment des Hussards d’Altkirch. « Ça va, question mécanique, je me débrouille ! »

Trouvaille­s insolites

À arpenter les quartiers ébroïciens au volant de son camion orange équipé d’un gyrophare, Denis s’est constitué un solide réseau. Et bien sûr, il a appris à «flairer» les bons coins.

« Chaque secteur a sa particular­ité. Mais le plus surprenant, ce sont les objets que l’on peut récupérer au pied des immeubles. Ainsi, à La Madeleine, plutôt que de la descendre dans la cave, un particulie­r a préféré balancer sa machine à laver du balcon du 3e étage » Autres découverte­s insolites : un couteau, un fleuret ou cette épée dotée d’une lame de 80 centimètre­s.

Déclaré au Tribunal de Commerce, notre ferrailleu­r a plusieurs cordes à son arc. Pour le compte du Conseil départemen­tal, il vide les salles encombrées de vieux matériels (chaises, tables, etc.) ; pour celui de la Sécomile, les caves, les coursives et les balcons.

« Vous n’avez pas idée de ce que les gens abandonnen­t » se désole l’intéressé qui a toujours rêvé d’ouvrir une école de recyclage pour, précisémen­t, « apprendre aux citoyens à trier »…

Le «patin» ne rapporte pas

Dans sa caverne d’Ali Baba, capharnaüm de cuivre et de fer, Denis dévisse, trie, démonte ; sépare les câbles du cuivre et des batteries.

« Je ne prends plus les télés, uniquement les écrans plats car il y a plus d’acier à récupérer » Sans faire de pub’ dans les journaux ou à la radio, simplement sur la foi du boucheà-oreille - « les femmes seules ou les personnes handicapée­s font régulièrem­ent appel à mes services » - il se retrouve aujourd’hui assis, non pas sur un tas d’or, mais sur un monticule de pièces détachées à la valeur toute relative.

« En effet, le «patin», comprenez l’électromén­ager, ne rapporte pas des mille et des cents » Selon les derniers cours de la Bourse, le kilo de cuivre se monnaie 3,80 €, la tonne de «patin» 20 € et celle d’aluminium 200 € !

« Il faut savoir que le cuivre reste un produit très rare. Chaque année, j’en récupère environ 50 kg contre une à deux tonnes d’électromén­ager par semaine » détaille l’Ébroïcien, premier maillon de la chaîne.

Car rapidement, il perd de vue ses objets désossés, passés d’un grossiste à l’autre avant d’échouer en Inde ou en Chine. Là où les fondeurs se font des barres en or…

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Bienvenue chez Denis, cet Ébroïcien ferrailleu­r qui rêve d’un monde « où les gens apprendrai­ent à trier leurs déchets ! »

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