DJ Snake fait siffler le rock
Les noms dévoilés vendredi soir ont donné une première indication de la couleur du festival Rock In Évreux by GHF qui aura lieu les 29, 30 juin et 1er juillet sur l’hippodrome de Navarre.
Cessons, là, toute comparaison. Rock In Évreux by GHF (Green Horse Festival) n’a plus rien à voir avec le Rock dans tous ses États, ni même avec Rock In Évreux et son Uchronie à deux bals (jeu de mots). Nous sommes passés dans une autre dimension, un autre temps que les plus de 20 ans ne peuvent pas comprendre. Lorsqu’on m’a dit que DJ Snake venait à Évreux cet été, ma première réaction fut assez simple, elle tenait en trois lettres et un point d’interrogation : QUI ? DJ Snake ? - Sans déconner ? La réaction de notre jeune journaliste stagiaire tenait aussi en trois lettres : PLS. La position latérale de sécurité dans laquelle on dut l’immobiliser alors qu’il était pris de spasmes, chahuté par la joie et l’incrédulité. Snake à Évreux. Sans déconner ? La veille, nous avions été atterrés de découvrir qu’il ne connaissait pas Pierre Desproges. Sans déconner ? Là, c’était lui qui était atterré. Tu ne connais pas DJ Snake ? Il remplit Bercy, me dit-il, tout en passant des coups de fils pour annuler ses vacances derechef et réserver sa soirée du 29 juin à Évreux.
«Si sé vrai J V, O bli G»
Quand on a lâché l’info sur les réseaux sociaux (on peut ne pas connaître ce monsieur Snake et être un MoJo, mobile journaliste 2.0), on a vu aussitôt le flux s’accélérer sur le mode : Snake à Évreux, la blague. Impossible. Si sé vrai J V, O bli G (suivi de trois smileys ébouriffés). A chaque commentaire, le jeune con que j’étais se sentais un peu plus vieux. Restait encore à obtenir la confirmation que DJ Snake viendrait à Évreux. Pour cela, il fallait se transporter dans les sous-sols de l’ancien hôpital d’Évreux, vendredi soir, pour la révélation des premiers noms d’artistes qui constitueront l’affiche du festival*. Enfin, la confirmation des noms que nous, petit chenapan, avions livrée en avant-première, quelques heures avant, après avoir tourné et retourné le net, tout entier.
Des feux brûlaient l’antre de deux tonneaux de chantier sur lesquels avaient été ajourés les mots : Rock, avec la main en V, sur l’un, et Punk avec un doigt d’honneur, sur l’autre. Cliché, pensais-je, en m’engouffrant dans le vortex de la soirée. Ce qui allait suivre n’était pas du tout rock’n’roll, c’était bien mieux. Beaucoup mieux. Deux longs couloirs désaffectés, tagués, étaient plongés dans la pénombre. Pour progresser, il fallait suivre un goutte-à-goutte de lumière, plonger dans les veines du bâtiment. Et plus on avançait, plus le dépaysement était total. On pouvait tout aussi bien être à Paris, Londres ou Berlin. Il y avait un petit quelque chose du Tacheles berlinois, le célèbre squat d’artistes.
Une idée de Jean-Claude
Ce dédale de coins et de recoins, sombres et enfumés, desservait le coeur de la soirée, le club le plus incroyable qu’Évreux ait connu ses vingt dernières années. À la fois underground et branché, beau et sans fautes de goût (ou alors assumées), l’ancienne cuisine de l’hôpital. Un lieu juste génial avec ses alcôves : ici, les chambres froides transformées en salon polaire. Là, la morgue ou les machineries, pour s’extraire du monde. Le maire n’était pas peu fier de sa prise de risques. Et il pouvait l’être. «C’est une idée de JeanClaude», reconnaissait-il. Une putain de bonne idée, JeanClaude ! «J’ai envie de dire», comme on dit, aujourd’hui. C’est le lieu qui manque depuis toujours à Évreux. Avec une âme, la patine arty et les bosses destroy. Tout ce qui manque, à ce jour, au bâtiment coûteux du boulevard de Normandie. On s’enthousiasme. Hélas, le maire d’Évreux aurait pris un extincteur et aspergé la foule qu’il n’aurait pas plus refroidi notre enthousiasme. Le tout est éphémère. Il sera détruit en juin. C’est trop bête. C’est exactement le lieu dont on avait rêvé pour Évreux dans un long papier écrit dans ces colonnes, il y a quelques années. Guy Lefrand tente de sauver les meubles, et la face. Il entend retrouver cette ambiance urbaine dans les anciennes Usines de Navarre, promet-il pour consoler ceux qui, comme moi, sont déjà inconsolables.
On en oubliait presque la raison de notre présence ici, dans ce club hype d’Évreux. La farandole des discours allait interrompre le beat lourd du DJ set et nous ramener à la réalité. Rock In Évreux by GHF. Les présentations. L’auto-congratulation. Les remerciements. L’appel aux partenaires locaux et aux bénévoles. Et bla et bla. Rien de très fonky, dans ce contexte, sinon la vanne de Guy Lefrand sur la chambre mortuaire où il dit être allé vérifier et ne pas y avoir trouvé le macchabée du festival rock d’Évreux.
La base du journalisme
On sera plusieurs à relever chez les orateurs cette fascination du moment pour le chiffre numérique, ce nouveau maîtreétalon, cette religion. Un partenaire, iPhone greffé à la main et diffusant la soirée en direct sur sa page Facebook affiche plus de 23 000 membres. Les chanteurs observés par le prisme de leurs vues sur YouTube, DJ Snake comptabilise plus de 4 milliards de vues, à lui seul. Bien sûr, une chanson commerciale n’est pas forcément une merde. Tout comme un nombre, si grand soit-il, n’est en aucun cas une garantie de quoi que ce soit. Si une vue équivalait à une entrée payée en soirée, ça se saurait. Plongé dans ces considérations, on pouvait alors concentrer les piques et les scuds des organisateurs vénères contre les punks (nous étions passés, à ce stade, de chenapan à punk) qui avaient dévoilé les noms quelques heures avant l’annonce officielle, arguant que ce n’était pas très sport, que ça fragilisait l’événement, en mettant en danger même la venue des artistes, que l’un d’entre eux, de renom international, s’était rétracté en lisant le journal, toussa. C’est le jeu, la base du journalisme, on nous cache un truc (ici, une série de noms ultra-confidentiels), on va essayer de le trouver. Et tant pis pour le plan com’. On avait eu affaire aux mêmes rodomontades avec le Rock dans tous ses États. Parce qu’on peut être rock, faire des doigts d’honneur pour la galerie, mais tout ça n’en reste pas moins une question de business et de gros sous, de contrats et de timing à respecter. Il ne faut pas dire trop tôt qu’untel jouera par ci, parce qu’il jouera par là avant. Et bla et bla. Si, par malchance, le festival devait être une foirade (ce qu’on ne souhaite en aucun cas), la victime expiatoire semblait déjà toute trouvée, vendredi soir…
Clap your hands
Ces piques auront eu la vertu de nous renvoyer à un autre papier que nous avions écrit il y a quelques années, aussi - le temps file. Il était déjà question de la fin du rock, des jeunes qui lui préféraient les DJs pour se retourner la tête. On avançait alors que le modèle du Rock dans tous ses États et ses guitares était peut-être épuisé, qu’il fallait se tourner vers une espèce de Spring break à l’Américaine pour satisfaire les kids. Un moment de fête à la sauce électro, son et lumière où ils marqueraient la fin de leur année scolaire avant de partir en vacances, la fin de l’adolescence ou son entrée. Ce Green Horse Festival Évreux, oups, pardon :(Rock In Évreux by GHF, préfigure ce Spring break à l’ébroïcienne. Beaucoup de gamins se déchaîneront sur le son de DJ Snake, peut-être embrasseront-ils pour la première fois, peut-être boiront-ils déraisonnablement, peut-être que sais-je ? Pendant que leurs parents, du haut de la terrasse VIP qui surplombera la régie et leurs quinze ans, se dandineront sur Marcia Baïla (DJ Snake n’était pas encore né en 1984) ou Senior, le nouveau single de Catherine Ringer, des Rita Mitsouko. Le rock est un truc de vieux, vive le Spring break, clap your hands et say faites du brrrrrruuiiiiit (jusqu’à la prochaine génération qui trouvera tout ça sans doute un poil vieux jeu et voudra qu’on passe à autre chose, peut-être un truc avec de vraies guitares, qui sait, la mode est un éternel recommencement…). Texte et photos : David Chapelle * DJ Snake, No One Is Innocent et Tarrus Riley vendredi 29 juin ; Catherine Ringer, Asaf Avidan, Synapson et Pleymo samedi 30 juin ; Kyo et Malo’, dimanche 1er juillet. 28 artistes seront programmés à raison de neuf vendredi et dimanche et dix le samedi. La programmation sera entièrement connue fin mars. Trois artistes locaux ouvriront les concerts, en partenariat avec le Tangram.