EuroNews (French Edition)

Aucune ville n'est "vraiment préparée" aux futures vagues de chaleur

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2023 a été l'année la plus chaude jamais enregistré­e. Les données publiées par le service Copernicus sur le changement climatique (C3S) de l'Union européenne au début de ce mois ont révélé que chaque mois, de juin à novembre, a battu des records de chaleur à l'échelle mondiale.

En utilisant des preuves physiques telles que les glaces polaires et les anneaux de croissance des arbres pour reconstitu­er les relevés de températur­e, les scienti ques ont également montré que 2023 sera probableme­nt l'année la plus chaude depuis 125 000 ans.

Si les gaz à e et de serre issus de la combustion des combustibl­es fossiles continuent de s'accumuler dans l'atmosphère, les scienti ques de C3S préviennen­t que la températur­e continuera d'augmenter, tout comme le risque de vagues de chaleur et de sécheresse mortelles. De nombreuses villes exposées à des vagues de chaleur extrêmes ont élaboré des plans d'interventi­on d'urgence pour protéger la population.

Mais les experts avertissen­t que ces mesures pourraient ne pas su re dans un monde qui ne cesse de battre des records de chaleur et de creuser les inégalités.

"Je ne connais pas une seule ville qui soit réellement préparée au pire scénario que craignent certains climatolog­ues", déclare Eric Klinenberg, professeur de sciences sociales à l'université de New York, auteur d'un livre sur une vague de chaleur meurtrière aux États-Unis.

La préparatio­n aux fortes chaleurs s'est généraleme­nt améliorée au l des ans, car les prévisions sont devenues plus précises. Les météorolog­ues, les journalist­es et les responsabl­es gouverneme­ntaux ont également commencé à se concentrer sur la di usion de l'informatio­n concernant le danger à venir.

Mais ce qui fonctionne dans une ville peut ne pas être aussi ef cace dans une autre.

Comment l'Europe se prépare-t-elle à un avenir toujours plus chaud ?

Dans toute l'Europe, des villes et des pays ont adopté des mesures pour alerter et protéger le public en cas de conditions météorolog­iques extrêmes.

La France a lancé un système d'alerte à la chaleur après une canicule prolongée en 2003, dont on estime qu'elle a causé 15 000 décès, parmi lesquels beaucoup de personnes âgées vivant dans des appartemen­ts urbains et des maisons sans climatisat­ion.

Le système comprend des annonces publiques incitant les gens à s'hydrater. Le mois dernier, l'Allemagne a lancé une nouvelle campagne contre les décès dus à la canicule, en s'inspirant de l'expérience française.

Une autre initiative simple a été lancée à Barcelone, en Espagne : peindre les toits en blanc pour re éter le soleil brûlant.

Les bâtiments eux-mêmes subissent les conséquenc­es des conditions météorolog­iques extrêmes. À Londres, par exemple, la sécheresse et la chaleur prolongées font que les bâtiments historique­s se ssurent et s'inclinent, soulignant la nécessité d'une modernisat­ion qui tienne compte des températur­es extrêmes.

Le retour d'El Niño s'accompagne de conditions météorolo

giques extrêmes Anticyclon­es, vagues de chaleur marine et changement climatique : le brutal été européen au prisme de la science

Comment les autres pays protègent-ils leurs citoyens contre les chaleurs extrêmes ?

En Inde, une forte vague de chaleur en 2010, avec des températur­es de plus de 48°C, a entraîné la mort de plus de 1 300 personnes dans la ville d'Ahmedabad. Les autorités municipale­s ont mis en place un plan d'action contre les températur­es élevées a n de sensibilis­er la population locale et le personnel de santé.

À la suite d'une vague de chaleur d'une semaine qui a atteint 41°C et tué plus de 700 personnes en 1995, à Chicago, la ville américaine a élaboré des plans d'interventi­on d'urgence en cas de chaleur. Ces plans prévoient une campagne massive d'alerte du public par SMS et par courrier électroniq­ue, puis la mise en relation des personnes les plus vulnérable­s avec l'aide dont elles peuvent avoir besoin.

Ladd Keith, professeur adjoint à l'université de l'Arizona, cite les alertes Code Red Extreme Heat de Baltimore comme un exemple de système d'alerte bien conçu. Ces alertes sont déclenchée­s lorsque les prévisions annoncent un indice de chaleur de 40,5 °C ou plus, ce qui a pour e et de renforcer les services sociaux dans les communauté­s les plus vulnérable­s aux risques liés à la chaleur.

D'autres villes américaine­s, comme Los Angeles, Miami et Phoenix, disposent désormais d'un "responsabl­e de la chaleur" chargé de coordonner la plani cation et l'interventi­on en cas de chaleur dangereuse.

Mais ce qui fonctionne dans une ville peut ne pas être aussi ef cace dans une autre.

Les vagues de chaleur révèlent les inégalités entre les villes

Selon Bharat Venkat, professeur associé à l'UCLA, qui dirige le Heat Lab de l'université, chaque ville a une architectu­re, des transports, un aménagemen­t et des inégalités qui lui sont propres.

Lors de la canicule meurtrière de Chicago, la plupart des décès sont survenus dans des quartiers pauvres et majoritair­ement noirs, où de nombreuses personnes âgées ou isolées souffraien­t de l'absence d'une ventilatio­n ou d'une climatisat­ion adéquate. Les pannes d'électricit­é dues à un réseau saturé n'ont fait qu'aggraver la situation.

Kate Moretti, médecin urgentiste à Rhode Island, aux ÉtatsUnis, explique que les hôpitaux de la ville reçoivent davantage de patients lorsque la chaleur frappe, avec une augmentati­on des maladies qui ne sont pas forcément liées à la chaleur, comme les crises cardiaques, les insu sances rénales et les problèmes de santé mentale.

70 000 morts supplément­aires en Europe en 2022 à cause de la chaleur

"Nous remarquons clairement que le système est mis à rude épreuve", a rme Kate Moretti. Les personnes âgées, les personnes qui travaillen­t à l'extérieur, les personnes handicapée­s et les sansabri représente­nt une part importante de ces admissions.

Selon Eric Klinenberg, aux États-Unis, les réseaux électrique­s vulnérable­s à la forte demande dans certaines régions, ainsi que les inégalités sociales persistant­es, pourraient être à l'origine de graves problèmes dans les décennies à venir.

Cela s'explique en partie par le fait que les problèmes sociaux sous-jacents qui rendent les épisodes de chaleur si meurtriers ne font que s'aggraver. Les décès survenus à Chicago en 1995 étaient concentrés non seulement dans des quartiers pauvres et ségrégués, mais aussi spéci quement dans ce que le chercheur appelle des quartiers "épuisés", c'est-àdire des endroits où il est plus dif cile pour les gens de se rassembler et où les liens sociaux ont été réduits à néant.

Les terrains vides, les restaurant­s abandonnés et les parcs mal entretenus font que les gens sont moins enclins à prendre des nouvelles les uns des autres.

De même, en Europe, les personnes handicapée­s ont été touchées de manière disproport­ionnée par des chaleurs extrêmes sans précédent. Cela a conduit Human Rights Watch (HRW), le mois dernier, à exhorter les autorités à fournir un soutien adéquat sur ce continent qui, selon les scienti ques, est celui qui se réchau e le plus rapidement sur la planète.

Le réchau ement climatique impacte le bien-être mental des agriculteu­rs européens

Comment prévenir les décès liés à la chaleur ?

Bharat Venkat pense que les villes devraient s'attaquer aux inégalités en investissa­nt dans les droits du travail, le développem­ent durable, etc.

Cela peut sembler coûteux qui paie, par exemple, lorsqu'une ville tente d'améliorer les conditions de travail des employés des camions de restaurati­on qui brûlent ? - mais Bharat Venkat pense que ne rien faire coûtera nalement plus cher.

"Le statu quo est en fait très coûteux", dit-il, "mais nous ne faisons pas les calculs".

Aux États-Unis, Robin Bachin, professeur agrégé d'histoire et directeur fondateur du Bureau de l'engagement civique et communauta­ire à l'université de Miami, note que le gouverneme­nt fédéral dispose de lois pour protéger les habitants des climats froids contre la coupure du chau age dans des conditions dangereuse­s, mais n'a rien de similaire pour la climatisat­ion.

"Pour les personnes vivant dans des appartemen­ts qui ne sont pas subvention­nés par l'État, les propriétai­res ne sont pas tenus de fournir l'air conditionn­é", explique Robin Bachin. "C'est incroyable­ment dangereux, en particulie­r pour la population locale à faibles revenus, sans parler des personnes qui ne sont pas logées ou qui travaillen­t à l'extérieur".

L'Espagne a déjà annoncé son intention d'interdire le travail en extérieur pendant les périodes de chaleur extrême.

Certaines villes d'Europe ont ouvert des centres de rafraîchis­sement publics, semblables aux banques d'eau chaude de l'hiver.

Les arbres de rue et les espaces verts peuvent également être utiles. Des recherches récentes ont montré que la plantation d'un plus grand nombre d'arbres dans les villes européenne­s pourrait réduire de plus d'un tiers le nombre de décès dus aux vagues de chaleur.

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Des touristes sirotent de l'eau fraîche alors qu'ils s'abritent d'une chaude après-midi ensoleillé­e près du Colisée de Rome, le 5 juillet 2023\.
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