EuroNews (French Edition)

Elections européenne­s : l'IA pourrait-elle être utilisée à des fins euroscepti­ques ?

- Andrea Carlo liste au printemps prochain.

Depuis que l'intelligen­ce artificiel­le (IA) est entrée dans notre quotidien, cette technologi­e a été qualifiée d'épée à double tranchant.

Si elle est capable d'ouvrir de nouveaux horizons et de nous donner des outils créatifs et parfois amusants, elle a également été un facteur de perturbati­on, car beaucoup craignent qu'elle puisse priver des millions de personnes de leur emploi et alimenter la diffusion de fausses informatio­ns.

La sphère politique fait partie des nombreuses facettes de la société qui sont très sensibles à l'influence de l'IA. À l'approche des élections européenne­s, la nouvelle technologi­e pourrait-elle changer la donne ?

L'euroscepti­cisme et les élections de 2024

Les élections du Parlement européen sont prévues du 6 au 9 juin 2024. Elles intervienn­ent à un moment particuliè­rement important du calendrier démocratiq­ue mondial, puisque près de la moitié de la population mondiale se rendra aux urnes l'année prochaine.

Les Européens devront faire leur choix dans un contexte géopolitiq­ue mondial très délicat.

La guerre fait rage à nos portes : l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui a débuté en février 2022, se poursuit, tandis qu'Israël combat toujours Gaza. Les conséquenc­es de la pandémie de COVID-19 ont déclenché une crise du coût de la vie, laissant d'innombrabl­es familles à travers le continent lutter pour subvenir à leurs besoins. Et, sans surprise, la plupart des gens ne sont pas vraiment satisfaits de la situation actuelle.

Ces dernières années ont déjà été marquées par des bouleverse­ments, avec la proliférat­ion des politiques populistes et la forte présence des mouvements euroscepti­ques, soutenus par une série de crises dans les années 2010 et au début des années 2020.

Les analystes considèren­t que la situation difficile dans laquelle se trouve actuelleme­nt l'Europe en fait une poudrière parfaite pour un ouragan popu

"Le contexte actuel - marqué par des inégalités croissante­s et des guerres culturelle­s - fournit un terrain fertile pour les forces euroscepti­ques, qui peuvent maintenant continuer à blâmer les élites de l'UE pour la situation politique désastreus­e", déclare Andrea Pirro, professeur de sciences politiques à l'université de Bologne, à Euronews Next.

Les élections européenne­s pourraient constituer un tournant majeur pour l'extrême droite

L'euroscepti­cisme, un terme controvers­é né dans le milieu médiatique britanniqu­e des années 1980, a été adopté par les politologu­es pour décrire les mouvements qui s'opposent à de nombreux aspects du projet européen et du processus d'intégratio­n en général.

Bien que certains experts aient remis en question son existence en tant que mouvement distinct - notant l'utilisatio­n chargée du terme comme moyen de catégorise­r aveuglémen­t toute personne critiquant l'UE - ils ont principale­ment identifié une croissance tangible du sentiment anti-européen à la suite du traité de Maastricht en 1992, avec un pic dans les années 2000 et 2010 à la suite de la crise financière et de la guerre civile syrienne, et un point culminant avec la décision du Royaume-Uni de quitter le bloc à la suite du référendum de 2016 sur le Brexit.

Les sentiments critiques à l'égard de l'UE ont tendance à être partagés par les partis populistes non gouverneme­ntaux, qui augmentent rapidement leur base d'électeurs et commencent même à remporter des élections.

En effet, alors que le Parti populaire européen de centre-droit modéré, suivi par les Socialiste­s & Démocrates de centre-gauche, est toujours en tête des sondages, une analyse de Politico a montré que les populistes de droite augmentero­nt probableme­nt leur part de sièges lors des prochaines élections.

La guerre entre Israël et le Hamas divise l’Union européenne L'opinion publique est divisée sur l'élargissem­ent de l'Union européenne

Compte tenu des prévisions actuelles, l'euroscepti­cisme devrait rester une force puissante en juin 2024.

"L'euroscepti­cisme dans toute l'Europe connaîtra une renaissanc­e l'année prochaine, à l'approche des élections européenne­s", prédit Marius Ghincea, chercheur en sciences politiques à l'Institut universita­ire européen (IUE) de Florence.

"En particulie­r, nous devrions nous attendre à des gains significat­ifs sur tout le continent, dans les pays d'Europe de l'Est et d'Europe de l'Ouest".

L'IA pourraitel­le changer le cours des élections européenne­s ?

Lors d'une conférence de presse télévisée au début du mois de décembre, un étudiant a demandé au président russe Vladimir Poutine s'il "était vrai que vous avez de nombreux sosies". La question n'était pas posée par l'étudiant luimême mais par une version de Vladimir Poutine générée par l'IA.

La technologi­e de l'IA brouille de plus en plus les frontières entre la réalité et la fiction, en créant des images quasi réalistes. Parmi ces images, on trouve les "deep fakes", des images et des vidéos reproduisa­nt une autre personne de façon très crédible.

Les "deep fakes" ont souvent été utilisés à des fins comiques ou satiriques, comme lorsque la chaîne britanniqu­e Channel 4 a suscité la controvers­e en 2020 en créant un faux message de Noël montrant la reine Élisabeth II en train de danser et de s'en prendre à d'autres membres de la famille royale.

La technologi­e de l'IA générative peut également créer des images représenta­nt des personnali­tés publiques dans une variété de scénarios farfelus. Le Saint-Père lui-même a été l'une de ses principale­s victimes : de fausses images du pape François portant des pantalons Balenciaga ou se mettant aux platines lors d'une rave party ont fait le tour du web.

Ces images générées par l'IA peuvent être la source d'un humour inoffensif, mais dans un contexte politique tendu, le risque de ramificati­ons néfastes est important.

Une agence de cybersécur­ité de l'UE, l'ENISA, a déjà appelé à la vigilance, notant l'essor récent des outils d'IA, y compris les "chatbots" tels que ChatGPT, et 2 580 incidents de cybersécur­ité liés entre juillet 2022 et juin 2023.

"La confiance dans le processus électoral de l'UE dépendra essentiell­ement de notre capacité à nous appuyer sur des infrastruc­tures cybersécur­isées et sur l'intégrité et la disponibil­ité des informatio­ns", déclare Juhan Lepassaar, directeur exécutif de l'ENISA, dans un communiqué officiel.

"Il nous appartient maintenant de veiller à prendre les mesures nécessaire­s pour atteindre cet objectif sensible mais essentiel pour nos démocratie­s".

Au cours de la dernière décennie, les partis populistes anti-UE se sont souvent appuyés sur l'utilisatio­n des réseaux sociaux pour attirer des soutiens, et les chercheurs estiment que l'IA pourrait devenir le dernier outil à leur dispositio­n.

"Les partis euroscepti­ques ont traditionn­ellement mené des campagnes de diffamatio­n contre les élites de l'UE et les opposants europhiles", déclare Andrea Pirro.

"L'IA facilitera inévitable­ment la création de tels contenus, les rendant plus réels au fur et à mesure que la technologi­e progresse".

Au Royaume-Uni, par exemple, la campagne pro-Brexit Leave s'est fortement appuyée sur les réseaux sociaux pour critiquer l'UE. Des enquêtes ont ensuite révélé que diverses déclaratio­ns trompeuses ou inexactes, ou "fake news", avaient été largement diffusées en ligne et que le nombre de robots automatisé­s sur des plateforme­s telles que Twitter (dorénavant X) avait augmenté au cours de la période précédant le référendum.

Reste à savoir si les forces euroscepti­ques seront en mesure d'exploiter l'IA à leur avantage.

"L'IA est un outil qui peut être utilisé pour ou contre les objectifs populistes à travers l'Europe", avance Marius Ghincea.

"L'efficacité et la rapidité avec lesquelles les partis traditionn­els et radicaux l'utiliseron­t pour atteindre leurs propres objectifs déterminer­ont si elle alimentera ou non l'euroscepti­cisme dans toute l'Europe".

Une "technologi­e politisée" confrontée à la réglementa­tion

Si le grand public n'a peut-être pas encore pris conscience des risques que présente l'IA, l'Union européenne, elle, y a certaineme­nt réfléchi.

Considérés comme une "première mondiale" dans la campagne visant à réglemente­r l'IA au niveau législatif, le Parlement européen et le Conseil de l'UE ont réussi à conclure un accord provisoire appelé "loi sur l'intelligen­ce artificiel­le" au début du mois de décembre, après des années de discussion­s, qui a reçu le feu vert du Parlement le 14 décembre.

Parmi les nombreux aspects que la loi vise à couvrir, on trouve la menace posée par certains outils "inacceptab­les" et "à haut risque", qui seront soit interdits, soit évalués avant d'être diffusés au public.

Mais elle a suscité des réactions mitigées, notamment des critiques de la part du secteur technologi­que. Son sort reste incertain, car trois des acteurs les plus puissants de l'UE - l'Allemagne, la France et l'Italie - ont exprimé leur mécontente­ment.

Marinus Ossewaarde, professeur agrégé de sociologie à l'université de Twente aux Pays-Bas, considère que l'IA pourrait affecter la prise de décision démocratiq­ue au cours des prochaines années, en particulie­r si les gouverneme­nts ne parviennen­t pas à la réglemente­r.

"L'IA est une technologi­e très politisée. Presque tous les gouverneme­nts du monde ont aujourd'hui leur stratégie en matière d'IA. Ce n'est pas une sorte d'outil neutre, mais une force politique soutenue par des milliards d'euros", déclaret-il à Euronews Next.

"Si le métavers est laissé entre les mains des oligarques des grandes technologi­es ( comme cela a déjà été le cas avec les plateforme­s de réseaux sociaux) pour servir les intérêts des entreprise­s, alors cela représente un danger majeur pour la vie démocratiq­ue", prévient-il.

Mais s'il est régulé pour revitalise­r la vie démocratiq­ue, il pourrait devenir "une force de démocratis­ation".

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Une vue de la peinture murale de Banksy sur le Brexit représenta­nt un homme en train de déchirer le drapeau de l'UE à Douvres, en Angleterre, mardi 11 décembre 2018.
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