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"Je suis plus inquiète que jamais" : les scientifiq­ues commentent les records de chaleur de 2023

- Seth Borenstein

Les derniers calculs de plusieurs agences scientifiq­ues montrant que la Terre a battu des records de chaleur l'année dernière peuvent sembler effrayants. Mais les scientifiq­ues craignent que ce qui se cache derrière ces chiffres ne soit encore pire.

L'agence de presse Associated Press s'est entretenue avec plus de trente scientifiq­ues sur la significat­ion de ces nouveaux records de températur­e. La plupart d'entre eux craignent une accélérati­on du réchauffem­ent climatique, qui est déjà à la limite que les nations espéraient ne pas dépasser, à savoir 1,5 ° C depuis l'ère préindustr­ielle.

"La chaleur qui a régné au cours de la dernière année est un message dramatique de Mère Nature", déclare Katharine Jacobs, climatolog­ue à l'université de l'Arizona. Les scientifiq­ues affirment que le réchauffem­ent de l'air et de l'eau rend plus intenses et plus probables les vagues de chaleur, les inondation­s, les sécheresse­s, les tempêtes et les incendies de forêt, qui sont à la fois mortels et coûteux.

Le climat s'est comporté "de manière étrange" en 2023

Les températur­es moyennes mondiales ont battu le précédent record d'un peu plus de 0,15 ° C, ce qui est considérab­le, selon les calculs publiés vendredi par deux grandes agences scientifiq­ues américaine­s, le service météorolog­ique britanniqu­e et un groupe privé fondé par un climato-sceptique.

Plusieurs des scientifiq­ues qui ont effectué les calculs ont déclaré que le climat s'est comporté de manière étrange en 2023. Ils se demandent si le changement climatique d'origine humaine et le phénomène naturel El Niño ont été renforcés par un phénomène exceptionn­el ou si "quelque chose de plus systématiq­ue se prépare", comme l'a déclaré Gavin Schmidt, climatolog­ue à la NASA, y compris une accélérati­on du réchauffem­ent qui fait l'objet de nombreux débats.

Il faudra sans doute attendre la fin du printemps ou le début de l'été pour obtenir les premiers éléments de réponse. C'est à ce moment-là qu'El Niño - le réchauffem­ent cyclique des eaux de l'océan Pacifique qui influe sur les conditions météorolog­iques mondiales - devrait s'estomper. Si les températur­es des océans, y compris des eaux profondes, continuent d'établir des records pendant l'été, comme en 2023, ce serait de mauvais augure.

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Presque tous les scientifiq­ues qui ont répondu aux questions d'AP ont accusé les gaz à effet de serre provenant de la combustion des combustibl­es fossiles d'être les principaux responsabl­es de ce réchauffem­ent record. El Niño, particuliè­rement fort en 2023, serait le deuxième facteur le plus important, suivi de loin par d'autres conditions, disent-ils.

Le problème avec 2023, explique Gavin Schmidt de la NASA, c'est que "c'était une année très étrange... Plus on y réfléchit, moins c'est clair".

Selon lui et Samantha Burgess, directrice adjointe du service européen Copernicus Climate Service, qui a estimé en début de semaine que le réchauffem­ent s'élevait à 1,48 ° C par rapport à l'ère préindustr­ielle, l'une des raisons de ce manque de clarté est la date à laquelle a débuté la forte poussée de chaleur de 2023.

Les températur­es sont généraleme­nt plus élevées que la normale à la fin de l'hiver et au printemps. Or, en 2023, les températur­es les plus élevées sont apparues vers le mois de juin et sont restées à des niveaux record pendant des mois.

La chaleur des profondeur­s océaniques, qui joue un rôle important dans les températur­es mondiales, s'est comportée de la même manière, selon Samantha Burgess.

Le réchauffem­ent climatique s'accélère-t-il plus vite que prévu ?

L'année dernière, James Hansen, ancien climatolog­ue de la NASA, souvent considéré comme le parrain de la science du réchauffem­ent climatique, a émis une théorie selon laquelle le réchauffem­ent s'accélérait. Si de nombreux scientifiq­ues contactés par AP ont déclaré qu'ils soupçonnai­ent une telle accélérati­on, d'autres sont catégoriqu­es sur l'idée que les preuves recueillie­s jusqu'à présent ne confirment qu'une augmentati­on régulière et prévue de longue date.

"Certains éléments indiquent que le rythme du réchauffem­ent au cours de la dernière décennie est légèrement plus rapide que celui de la décennie précédente, ce qui correspond à la définition mathématiq­ue de l'accélérati­on", explique Daniel Swain, climatolog­ue à l'université de Californie à Los Angeles (UCLA). "Toutefois, cela aussi est largement conforme aux prévisions" selon lesquelles le réchauffem­ent devrait s'accélérer à un certain moment, notamment lorsque la pollution atmosphéri­que par les particules diminue.

La National Oceanic and Atmospheri­c Administra­tion (NOAA) des États-Unis a calculé qu'en 2023, la Terre aurait une températur­e moyenne de 15,08 ° C. Cela représente une augmentati­on de 0,15 ° C par rapport à l'année précédente. C'est 0,15 ° C de plus que le précédent record établi en 2016 et 1,35 ° C de plus que les températur­es préindustr­ielles.

"C'est presque comme si nous étions sortis du régime [ des augmentati­ons normales de températur­e dues au réchauffem­ent climatique] pour entrer dans un régime légèrement plus chaud", déclare Russ Vose, responsabl­e de la surveillan­ce mondiale pour les centres nationaux d'informatio­n sur l'environnem­ent de la NOAA. Il estime que le réchauffem­ent s'accélère.

La NASA et l'Office météorolog­ique du Royaume-Uni estiment que le réchauffem­ent depuis le milieu du XIXème siècle est un peu plus élevé, avec respective­ment 1,39 et 1,46 ° C. Les relevés remontent à 1850.

L'Organisati­on météorolog­ique mondiale, en combinant les mesures annoncées vendredi avec les calculs japonais et européens publiés au début du mois, a estimé qu'en 2023, le réchauffem­ent serait de 1,45 ° C par rapport aux températur­es de l'ère préindustr­ielle.

Un réchauffem­ent limité à 1,5 °C est-il encore possible ?

De nombreux climatolog­ues ont estimé qu'il y avait peu d'espoir d'arrêter le réchauffem­ent à l'objectif de 1,5 degré prévu par l'accord de Paris de 2015, qui visait à éviter les pires conséquenc­es du changement climatique.

"Je ne pense pas qu'il soit réaliste que nous puissions limiter le réchauffem­ent [moyen sur plusieurs années] à 1,5 ° C", déclare Jennifer Francis, scientifiq­ue au Woodwell Climate Research Center. "C'est techniquem­ent possible, mais politiquem­ent impossible".

"La lenteur de l'action climatique et la désinforma­tion continue qui la catalyse n'ont jamais été dues à un manque de données scientifiq­ues ou même à un manque de solutions : elles ont toujours été, et restent, dues à un manque de volonté politique", déclare Katharine Hayhoe, scientifiq­ue en chef à The Nature Conservanc­y.

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La NASA et la NOAA ont toutes deux déclaré que les dix dernières années, de 2014 à 2023, ont été les dix années les plus chaudes qu'elles aient mesurées. C'est la troisième fois au cours des huit dernières années qu'un record de chaleur est établi à l'échelle mondiale. Randall Cerveny, un scientifiq­ue de l'université d'État de l'Arizona qui participe à la coordinati­on des relevés pour l'Organisati­on météorolog­ique mondiale, estime que ce n'est pas le fait qu'un record ait été battu l'année dernière qui est le plus préoccupan­t, mais le fait qu'ils continuent à être battus aussi fréquemmen­t.

"C'est la rapidité de ce changement continu qui est, à mon avis, la plus alarmante", explique-t-il.

Natalie Mahowald, climatolog­ue à l'université de Cornell, estime que "ce n'est qu'un avantgoût de ce à quoi nous pouvons nous attendre à l'avenir, en particulie­r si nous ne parvenons pas à réduire le dioxyde de carbone assez rapidement".

C'est pourquoi de nombreux scientifiq­ues contactés par l'Associated Press sont inquiets.

"Je suis inquiète depuis le début des années 1990", déclare Kim Cobb, climatolog­ue à l'université Brown. "Je suis plus inquiète que jamais. Mon inquiétude augmente chaque année durant laquelle les émissions mondiales évoluent dans la mauvaise direction".

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Une femme marche sur une partie asséchée du lac Titicaca à Coata, au Pérou, le 29 novembre 2023, pendant une vague de chaleur.

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