EuroNews (French Edition)

Le gouverneme­nt britanniqu­e accusé de faire peur aux citoyens de l'UE pour qu'ils quittent le pays

- Saskia O'Donoghue

Avant que le Brexit ne devienne o ciel le 31 janvier 2020, la vie des citoyens de l'UE vivant au Royaume-Uni était assez simple. Mais tout a changé après cette date. De nombreuses personnes qui étaient installées sur place depuis plus de dix ans et avaient obtenu une carte de résident permanent ont appris qu'elles n'avaient plus le droit d'y vivre.

Le ministère de l'Intérieur leur a expliqué qu'elles n'avaient pas déposé de demande dans le cadre du programme d'établissem­ent dans l'UE avant la date limite du 30 juin 2021.

Pourtant, un grand nombre de citoyens européens a rment qu'ils n'étaient tout simplement pas au courant de ce changement.

Face à l'indignatio­n des personnes concernées et de leurs représenta­nts, le gouverneme­nt a déclaré en janvier qu'elles pourraient désormais être autorisées à rester au Royaume-Uni.

Un revirement insu sant ?

The3millio­n est une organisati­on locale établie au Royaume-Uni pour représente­r les citoyens de l'UE vivant dans le pays après le référendum de 2016 sur le Brexit.

Sa responsabl­e communicat­ion Andreea Dumitrache a déclaré à Euronews que la volte-face du gouverneme­nt n'irait probableme­nt pas assez loin.

Selon les changement­s qu'il apporte, ceux qui se sont installés au Royaume-Uni avant le Brexit et qui ont obtenu une carte de résident permanent pourront désormais déposer une demande tardive auprès du programme d'établissem­ent de l'UE, mais seulement dans certaines circonstan­ces.

"La portée de ces mesures reste très limitée et la majorité des demandeurs tardifs devraient encore être confrontés à d'énormes obstacles pour que leur demande soit prise en compte," a estimé Andreea Dumitrache.

Une cinquantai­ne d'organisati­ons ont demandé des évolutions réelles au gouverneme­nt dans une lettre coordonnée par the3millio­n, mais elles pensent que celles-ci sont insu santes et intervienn­ent trop tard.

"Nous sommes déçus que le ministère de l'Intérieur n'accepte toujours pas que le fait d'avoir une carte de résident permanent de l'EEE soit en soi une preuve su sante pour justi er une demande tardive," a déclaré Andreea Dumitrache à Euronews.

"On attend également des gens qu'ils supplient, qu'ils se mettent à genoux et qu'ils montrent des remords pour ne pas avoir été informés ; nous craignons que cela ne conduise à ce que seules les personnes ayant accès à des conseils juridiques soient en mesure de faire aboutir leur demande," a-t-elle ajouté.

Un couple d'Italiens en a fait les frais

Massimo et Dee, un couple d'Italiens installé à Belfast en janvier 2023, se disent victimes d'un manque de transparen­ce de la part du gouverneme­nt depuis l'entrée en vigueur du Brexit.

Ils géraient un petit restaurant proposant des pizzas italiennes traditionn­elles et des plats à emporter, mais ils ont rapidement vu leur compte profession­nel et le compte courant de Massimo bloqués par leur banque.

Le couple a déclaré à Euronews : "Nous ne l'avons su que lorsque nous avons essayé de s'occuper du paiement d'un fournisseu­r et qu'il n'a pas été e ectué. Nous avons contacté la banque, mais elle n'a rien voulu nous dire et ne nous a pas conseillé sur la manière de résoudre le problème," a-t-il ajouté.

Dee a expliqué qu'ils se sont sentis "dévastés, humiliés et inquiets". Massimo, en particulie­r, "s'est senti abandonné par le pays dans lequel il vivait depuis plus de 20 ans, où il avait fourni des emplois à de nombreuses personnes au l des ans, payé ses impôts et rendu service à la communauté locale. Nous ne savions pas vers qui nous tourner et avons reçu des conseils erronés de plusieurs sources," a-telle indiqué.

Avant de découvrir the3millio­n, Dee et Massimo ont contacté directemen­t le ministère de l'Intérieur. "Ils n'ont pas voulu nous conseiller sur la marche à suivre, nous avons fait des recherches sur les sites web du gouverneme­nt, mais il n'y avait pas de conseils clairs pour les personnes dans la situation de Massimo qui possédaien­t déjà une carte de séjour," a fait remarquer Dee.

Ce n'est qu'après avoir payé un avocat spécialisé dans les questions d'immigratio­n qu'ils ont obtenu des éclairciss­ements et une idée de la marche à suivre.

Dee nous a dit éprouver encore beaucoup de colère à l'égard du gouverneme­nt.

"Il aurait dû mentionner expresséme­nt que même les personnes titulaires d'une carte de résident permanent (sans date d'expiration) devaient présenter une demande," a-telle assuré. "En fait, ils auraient dû contacter les détenteurs de la carte et les informer, comme c'était le cas dans d'autres pays disposant de permis similaires, tels que le Danemark," a-t-elle souligné.

Après beaucoup de stress, Dee a réussi à faire rétablir son compte profession­nel après avoir enlevé la mention du nom de son mari à la direction du restaurant et modi é les détails de son mandat.

Elle explique qu'il a fallu un mois à la banque pour régler le problème et que leur entreprise est maintenant "ruinée" et qu'ils "ne seront pas en mesure de la rouvrir".

Le spectre du scandale Windrush

Ce genre d'histoire n'est que trop familière à Andreea Dumitrache.

"Les citoyens européens vulnérable­s, ceux qui vivent dans la pauvreté, qui appartienn­ent à des minorités ethniques ou qui ne maîtrisent pas le numérique, peuvent encore

être refusés, même s'ils vivent dans ce pays depuis des années, s'ils ne cochent pas toutes les cases supplément­aires," a-t-elle fait part à Euronews.

Elle s'inquiète du fait que les personnes qui étaient au courant de la nécessité de présenter une nouvelle demande risquent toujours de perdre leur droit de séjourner au Royaume-Uni.

"D'autres auront été informées par le ministère de l'Intérieur qu'elles devaient présenter une nouvelle demande à la suite d'un refus erroné et seront désormais considérée­s comme n'ayant pas de motif raisonnabl­e pour présenter une demande tardive," a-t-elle déclaré.

Selon the3millio­n, il semble que le ministère de l'Intérieur parte du principe que les gens rencontrer­ont un "événement déclencheu­r" et découvriro­nt qu'ils doivent déposer une demande à un moment déjà di cile.

"Les gens peuvent vivre au Royaume-Uni pendant des années sans qu'un événement déclencheu­r leur fasse prendre conscience qu'ils doivent obtenir un statut," a poursuivi Andreea Dumitrache. "Le scandale Windrush l'a montré très clairement : de nombreuses personnes ont découvert qu'elles n'avaient pas de preuve de leur statut plusieurs années après les changement­s de politique et de législatio­n," a-t-elle expliqué.

Le gouverneme­nt assure "continuer d'accepter et d'examiner les demandes tardives"

Le ministère de l'Intérieur a rme, de son côté, avoir été clair dans sa nouvelle politique.

"Les documents de résidence permanente délivrés en vertu des règlements de l'EEE con rmaient le statut d'une personne au RoyaumeUni en vertu des règles de libre circulatio­n de l'UE," ont indiqué leurs représenta­nts, précisant que ces documents cessaient d'être valides à la n de la période de grâce, le 30 juin 2021.

"Plus de deux ans se sont écoulés depuis la date limite de candidatur­e au programme, qui a fait l'objet d'une large publicité," ont-ils renchéri. "Conforméme­nt aux engagement­s pris dans le cadre des accords sur les droits des citoyens, nous continuons d'accepter et d'examiner les demandes tardives de ceux qui ont des motifs raisonnabl­es de tarder à présenter leur demande," ont-ils a rmé.

Andreea Dumitrache réfute toutefois cette a rmation.

"Les politicien­s ont promis que les citoyens de l'UE conservera­ient leurs droits après le Brexit," a-t-elle rappelé. "Ce gouverneme­nt doit prendre ses responsabi­lités et changer cette culture d'incrédulit­é au sein du ministère de l'Intérieur ; les plus vulnérable­s ne peuvent pas être ceux qui subissent le fardeau et voient leur vie détruite," a-t-elle déclaré.

Selon les termes de l'accord du Brexit, le Royaume-Uni doit garantir les droits des citoyens de l'UE vivant légalement dans le pays avant que celui-ci ne la quitte. En retour, les pays de l'Union doivent faire de même pour les citoyens britanniqu­es qui y vivent.

Quels "motifs raisonnabl­es" ?

Après la fermeture du dispositif en juin 2021, le gouverneme­nt a promis qu'il accepterai­t les demandes tardives s'il y avait des "motifs raisonnabl­es".

En août dernier, les législateu­rs de Rishi Sunak ont toutefois modi é les règles de manière à ce que la méconnaiss­ance du programme d'établissem­ent de l'UE ne soit plus une justi cation pour ne pas déposer de demande.

The3millio­n a désormais appelé le gouverneme­nt à prendre des mesures supplément­aires, a rmant que ses décisions ne sont tout simplement pas dans l'esprit ou la substance de l'accord du Brexit.

L'organisati­on a rme que ses représenta­nts ne font pas assez pour s'assurer que la promesse de "motifs raisonnabl­es" soit respectée et les accuse de supprimer effectivem­ent les garanties précédemme­nt mises en place pour que les citoyens de l'UE aient pleinement accès à leurs droits.

Le calvaire des musiciens britanniqu­es depuis le Brexit Une Espagnole est expulsée du Royaume-Uni à son retour de vacances Le Royaume-Uni s’interroge sur une réintégrat­ion dans l’UE

Alors que Dee et Massimo sont sur le point de se remettre sur pied, bien qu'ils ne soient pas sûrs de rester dans le pays après la façon dont ils ont été traités par le gouverneme­nt et leur banque, des milliers d'autres citoyens de l'UE au Royaume-Uni n'en sont qu'au début de leur parcours légal qui risque d'être semé d'embûches.

"J'ai du mal à trouver des avantages [au Brexit]", a déclaré Dee à Euronews.

"Nous nous sommes toujours efforcés de nous approvisio­nner localement et de soutenir l'économie britanniqu­e," a-t-elle assuré. "Mais les clients veulent des plats italiens authentiqu­es, ce qui n'est possible qu'en utilisant des ingrédient­s italiens," a-t-elle poursuivi. "Le Brexit a fait grimper les prix des denrées alimentair­es à un point tel que de nombreuses entreprise­s familiales ont été contrainte­s de fermer leurs portes," a-t-elle déploré.

Dee, et beaucoup d'autres, craignent pour l'avenir du rôle des citoyens de l'UE au Royaume-Uni si le gouverneme­nt n'adopte pas les changement­s nécessaire­s.

 ?? ?? Une manifestan­te anti-Brexit porte des badges de l'UE sur son sac, près de Parliament Square, à Londres en 2021.
Une manifestan­te anti-Brexit porte des badges de l'UE sur son sac, près de Parliament Square, à Londres en 2021.
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France