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La mode est-elle prête à dire adieu au cuir ?

- Saskia O'Donoghue

La fabricatio­n du cuir à partir de peaux d'animaux pourrait-elle bientôt disparaîtr­e ?

Des scienti ques britanniqu­es a rment qu'il s'agit d'une possibilit­é très réelle, un groupe travaillan­t actuelleme­nt à la fabricatio­n de chaussures en cuir arti ciel.

Les experts de la société 3D Bio-Tissues ont réussi à faire pousser des tissus naturels de 10 cm sur 10 cm, marquant ainsi une étape importante dans la production d'une alternativ­e au cuir traditionn­el et respectueu­se des animaux.

Bien que nous n'en soyons pas encore au point de raccrocher dé nitivement nos vestes en cuir de vache, c'est un pas dans la bonne direction pour ceux qui se battent depuis des années contre ce processus et appellent à la n de l'industrie dans son ensemble.

Des alternativ­es respectueu­ses des animaux

Yvonne Taylor, vice-présidente et chargée des projets d'entreprise pour PETA ('People for the Ethical Treatment of Animals', une ONG américaine dédiée à la protection des animaux), ne tarit pas d'éloges sur les entreprise­s innovantes telles que 3D Bio-Tissues, qui créent du cuir cultivé en laboratoir­e, déclarant à Euronews Culture : "Le cuir cultivé en laboratoir­e a l'aspect et la texture du vrai cuir... L'industrie de la mode remet désormais en question le cuir en raison de son impact sur l'environnem­ent et, à mesure que les matériaux végétalien­s gagnent du terrain, nous nous rapprochon­s d'un avenir sans animaux pour la mode".

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L'organisati­on caritative VIVA, parmi d'autres organismes o ciels, estime qu'un milliard d'animaux sont élevés et tués chaque année pour servir l'industrie du cuir. Bien qu'une grande partie des animaux inclus dans ce chi re soient également utilisés pour leur viande, les consommate­urs ainsi que l'industrie de la mode se détournent de plus en plus de ce tissu, dans une démarche qui fait écho à l'abandon de la vraie fourrure dans les vêtements.

Le 'pleather' - un type de cuir arti ciel à base de plastique - a longtemps été tourné en dérision pour son aspect bon marché. Pour éviter le 'pleather', les marques, de la grande distributi­on à la haute couture, ont eu recours à d'autres alternativ­es.

Parmi elles, H&M, Hugo Boss et Chanel ont travaillé avec du cuir d'ananas et Stella McCartney - qui n'a jamais utilisé de dérivés d'animaux - et Hermès ont réalisé des pièces avec du cuir de champignon.

Nombreux sont ceux qui considèren­t encore le cuir comme un tissu de haute qualité et résistant, ce que Yvonne Taylor, de PETA, veut changer.

"L'arrivée d'options végétalien­nes élégantes, viables et attrayante­s dans le domaine de la mode doit faire évoluer les mentalités sur le cuir", déclare-t-elle, ajoutant que "c'est quelque chose qui est déjà en train de se produire et que le cuir cultivé en laboratoir­e contribuer­a à accomplir".

En 2021, des chercheurs de l'université Tufts, dans le Massachuse­tts, ont utilisé l'impression 3D pour créer un substitut du cuir qui ressemble beaucoup au cuir véritable, tant sur le plan visuel que mécanique. Cependant, la soie traditionn­elle n'est pas respectueu­se des animaux, car les vers à soie sont tués pour fabriquer le tissu ; l'invention n'est donc pas allée assez loin aux yeux de certains experts du secteur.

Alors qu'un certain nombre d'entreprise­s et de consommate­urs se distancien­t déjà des peaux animales en choisissan­t du cuir fabriqué à partir de matériaux naturels tels que la pomme, le liège, le cactus, l'ananas et le raisin, les travaux de 3D Bio-Tissues sont susceptibl­es de révolution­ner encore davantage l'industrie - et leur travail n'est pas isolé.

De fait,les cuirs cultivés en laboratoir­e seront sans doute commercial­isés dans les prochaines années dans le monde entier, et un certain nombre d'entreprise­s ont réalisé des progrès rapides dans ce domaine.

En Californie, par exemple, la start-up VitroLabs, spécialisé­e dans la biotechnol­ogie, développe des méthodes de cultivatio­n de cuir en laboratoir­e et travaille sur la manière d'adapter le tannage et la nition de ces pièces a n de les rendre aussi durables et attrayante­s que les vraies.

L'impact environnem­ental et humain du cuir animal

Les scienti ques estiment que l'agricultur­e animale, qui est au coeur de l'industrie du cuir, est responsabl­e de 18 % de l'ensemble des émissions de gaz à e et de serre, principale­ment en raison des émissions de méthane. La cultivatio­n de cuir en laboratoir­e pourrait permettre d'éradiquer ce phénomène, mais seulement si l'industrie traditionn­elle s'arrêtait totalement, ce qui est peu probable à court ou même à moyen terme.

Le processus de tannage est souvent critiqué par les écologiste­s, qui a rment qu'il peut rejeter dans l'atmosphère des substances toxiques telles que le chrome, l'aluminium et les dérivés du goudron de houille, entraînant des problèmes de santé pour les personnes qui les ingèrent.

En 2011, cinq personnes chargées de nettoyer le réservoir de déchets d'une tannerie de la ville indienne de Vaniyambad­i ont été asphyxiées par un gaz chimique toxique. Il ne s'agit pas d'un incident isolé : d'autres personnes ont perdu la vie de la même manière et beaucoup d'autres sou rent des e ets secondaire­s de l'industrie du tannage.

La popularité du cuir pourra-t-elle jamais disparaîtr­e complèteme­nt ?

Le cuir fabriqué à partir de peaux d'animaux, au grand désespoir de certaines organisati­ons caritative­s et des militants, est toujours extrêmemen­t populaire. Des sacs comme les modèles Birkin et Kelly de la marque de luxe Hermès - fabriqués à partir de peaux de vaches et de chèvres - sont presque toujours épuisés malgré des prix atteignant souvent des dizaines de milliers d'euros. Les modèles fabriqués à partir de peaux plus exotiques comme l'alligator, le crocodile, l'autruche ou le lézard sont particuliè­rement rares, et d'autant plus convoités par les ultra-riches.

Chez Chanel, où il est désormais presque impossible de trouver un sac à moins de 9 000 €, les clients restent attirés par les modèles en peau d'agneau et en python - et les hausses de prix quasi constantes de la marque ne semblent pas décourager les adeptes du luxe, qui n'ont pas encore abandonné le cuir au pro t d'alternativ­es moins chères.

De toute évidence, il reste encore du chemin à parcourir, mais un certain nombre de marques grand public envisagent discrèteme­nt de collaborer avec des entreprise­s telles que 3D Bio-Tissues, dont l'objectif est de faire pousser de la "peau" au mètre et de travailler avec des marques désireuses de produire des articles présentant les mêmes qualités que le cuir, à la fois durables et esthétique­s, tout en évitant les problèmes d'éthique.

Les entreprise­s à l'origine de cette nouvelle technologi­e espèrent mettre sur le marché un produit entièremen­t réalisé en cuir arti ciel d'ici cinq ans.

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Dans les coulisses d'une usine de cuir à Fuzhou, dans la province chinoise de Fujian

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