EuroNews (French Edition)

"La Tête froide", un premier film qui évite les clichés sur la migration

- Frédéric Ponsard

Le documentar­iste Stéphane Marchetti, après plusieurs lms sur les réfugiés de Calais (Calais, les enfants de la jungle en 2017), ou sur Gaza (Rafah, chroniques d'une ville dans la bande de Gaza en 2007, pour lequel il a reçu le Prix AlbertLond­res) passe à la ction.

Une histoire de migration donc à nouveau avec "La Tête froide", mais qui cette fois chevauche une histoire de ction, dont il a signé la co-écriture avec la scénariste Laurette Polmanss : la rencontre de deux solitudes, une française qui tra que des cigarettes avec l'Italie, et un jeune africain qui veut rejoindre l'Angleterre.

"On ne sait pas bien comment il faut dire, migrants, exilés, déplacés, et surtout c'est toujours bien souvent dans les médias une espèce de masse anonyme, invisible. La ction permet de raconter l'histoire singulière, d'une personne qui a un nom, une identité, des rêves, des espoirs, des doutes, une complexité, une ambiguïté comme on peut l'avoir chez plein de gens." Stéphane Marchetti Réalisateu­r

Le lm réussit à naviguer entre thriller haletant et réalisme des situations. Tourné entièremen­t en décor naturel, le lm donne chair à ses personnage­s.

"Pour Souleymane, on ne voulait pas rester dans le phantasme que l'on peut se faire d'un réfugié. Avec Stéphane, on l'a donc vraiment travaillé pour que ce personnage-là puisse avoir sa dignité, son parcours, son histoire. C'était vraiment important." Saabo Balde Acteur "Stéphane Marchetti a donné à voir des visages, des histoires derrière les chi res. Le lm travaille ces zones grises-là : ce n'est pas la gentille française qui recueille le gentil migrant. Non, c'est beaucoup plus complexe que cela." Florence Loiret Caille Actrice

Un regard di érent sur la migration qui la replace pour ce qu'elle est : une fuite pour un avenir meilleur.

Le lm vient de sortir sur les écrans français, et nous avons rencontré son réalisateu­r lors de son passage à Lyon pour l'avant-première du lm.

Frédéric Ponsard, Euronews

: "C'est votre premier lm de ction mais votre expérience de documentar­iste vous a certaineme­nt servi ?"

Stéphane Marchetti, réalisateu­r : "Ce premier long métrage s'inscrit complèteme­nt dans la suite de mon parcours de documentar­iste. J'avais pu faire un lm sur la jungle de Calais où l'on suivait les enfants qui arrivaient seuls à Calais et qui cherchaien­t à rejoindre l'Angleterre. On rencontre souvent des situations très dures, souvent très loin de chez soi mais, ici, c'était à Briançon, à deux heures et quelques de voiture de chez moi (le réalisateu­r est natif de Lyon, ndr). Et ce qui est arrivé à Briançon m'a marqué, et j'ai eu envie de continuer à creuser ce sillon, tout en essayant de ne pas refaire la même chose que dans mes documentai­res, et de trouver un angle qui se prête à la ction. C'est vrai qu'avec le documentai­re, on est tributaire des gens que l'on rencontre, des lieux sur lesquels on tourne. Alors que là, avec la ction, c'est di érent, et il y a avit aussi certaineme­nt l'envie de ramener un peu de romanesque, d'intime, de recréer un univers tout en l'ancrant dans cette réalité.

Frédéric Ponsard, Euronews

: "La ction nous apporte plus d'empathie nalement sur les migrants ?"

La migration, cela fait partie de l'histoire de l'humanité. C'est une question majeure depuis 10 ans, et cela va certaineme­nt l'être pour des décennies. Il y a un ot d'images, mais on ne sait pas bien comment il faut dire, migrants, exilés, déplacés, et surtout c'est toujours bien souvent dans les médias une espèce de masse anonyme, invisible. Donc, voilà, e ectivement la ction permet de raconter l'histoire singulière, d'une personne qui a un nom, une identité, des rêves, des espoirs, des doutes, une complexité, une ambiguïté comme on peut l'avoir chez plein de gens

Frédéric Ponsard, Euronews

: "Quel a été le déclencheu­r pour écrire cette histoire ?"

Le lm est vraiment parti d'une envie qui était une image simple, celle d'une femme dans la montagne. Cette image initiale, je l'ai nourri d'expérience­s et d'anecdotes que j'ai rencontré sur le terrain, et derrière faire ce portrait de femme, Marie, qui est dans une précarité que je rapproche de celle de Souleymane, le migrant. Ils n'ont pas les mêmes parcours de vie, mais ils sont tous les deux dans une précarité émotionnel­le et nancière, dans une certaine solitude aussi. Cela m'intéressai­t de lier ces deux personnage­s, par opportunis­me pour chacun, mais qui va se transforme­r en quelque chose d'autre qui tend vers l'altruisme. Il y avait en tout cas la volonté à la base de faire ce portrait de faire, et qu'elle soit incarné par Florence Loiret Caille.

Frédéric Ponsard, Euronews

: "Vous vouliez faire un lm qui croise à la fois le polar et le réel ?"

'est tout le travail que l'on a essayé de faire avec mon chef opérateur, avec une image qui soit en ligne de crête. Avec une vrai identité formelle. D'une part, ancrer le lm dans une certaine réalité, sans s'en rendre prisonnier -c'est sûr que j'aime le cinéma des frères Dardenne, mais je ne voulais pas de ce naturalism­e-là que j'ai déjà utilisé pour le documentai­re-, non, là on voulait vraiment que les décors, la montagne, les atmosphère­s ramènent en permanence une tension.

Frédéric Ponsard, Euronews

: "C'est un lm qui ne semble pas dans le jugement et qui ne se positionne pas par rapport à la moralité de ses personnage­s, non ?"

Je ne voulais surtout pas arriver avec un regard moralisate­ur et avoir de sembler détenir la vérité. au contraire, il s'agit d'une histoire singulière, d'une rencontre entre deux individus, et que derrière chacun puisse se faire son opinion. Ce personnage de femme qui va basculer du tra c de cigarettes au tra c d'humains pour sortir de sa précarité est le point de départ. Mais c'est son évolution qui m'intéressai­t."

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Florence Loiret Caille

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