EuroNews (French Edition)

La Commission européenne interrogée sur l'attributio­n de milliards d'euros d'aide à la Hongrie

- Jorge Liboreiro

Les commissair­es Didier Reynders (Justice), Nicolas Schmit (Emploi) et Johannes Hahn (Budget) ont été interrogés concernant le déblocage d'un fonds d'aide pour la Hongrie, que la Commission européenne avait précédemme­nt paralysé en raison de préoccupat­ions persistant­es concernant l'Etat de droit dans le pays.

Le principal point de discorde concernait le contexte particulie­r de la décision, prise à la midécembre, de débloquer 10,2 milliards d'euros en réaction à la réforme judiciaire adoptée par Budapest visant à réduire l'ingérence politique, un jour avant un sommet des dirigeants de l'UE aux enjeux considérab­les.

La réforme avait été conçue pour satisfaire quatre "super étapes" que Bruxelles avait imposées comme condition à la reprise des paiements et à la garantie d'un contrôle adéquat de l'argent des contribuab­les.

Cette décision a exaspéré le Parlement, qui y a vu une capitulati­on devant les exigences de Viktor Orbán, un manquement à ses devoirs et un affront aux droits fondamenta­ux. L'hémicycle a menacé de lancer une action en justice contre la Commission si d'autres fonds étaient débloqués.

Un déblocage décidé dans un contexte d'urgence

Avant le sommet, le Premier ministre hongrois avait prévenu qu'il opposerait son veto à l'ouverture des négociatio­ns d'adhésion de l'Ukraine à l'UE et à un fonds exceptionn­el de 50 milliards d'euros destiné à fournir à Kiyv un soutien financier fiable jusqu'en 2027. Ce ton belliqueux a sonné l'alarme à Bruxelles et a alimenté les spéculatio­ns selon lesquelles la réunion se transforme­rait en un fiasco embarrassa­nt pour l'Union européenne. Finalement, Viktor Orbán a accepté les négociatio­ns d'adhésion mais a fait échouer le plan de 50 milliards d'euros.

Dans leurs interventi­ons, les députés ont fait valoir que la Commission s'était empressée de donner son feu vert aux 10,2 milliards d'euros quelques heures seulement après que la Hongrie ait publié le dernier volet de la réforme judiciaire dans son journal officiel. Cette décision extrêmemen­t rapide a rendu impossible l'examen de la nouvelle loi et de sa conformité avec les "super étapes".

"Le hasard a voulu que ce soit juste avant le sommet", déclare Eider Gardiazába­l, des socialiste­s, qui a ajouté :" normalemen­t, les coïncidenc­es ne sont pas si fortuites".

"Bien sûr, c'était politique", avance Moritz Körner, du groupe libéral, "il fallait convaincre Viktor Orbán".

"En politique, tout est toujours ce qu'il semble être", déclare l'eurodéputé finlandais Petri Sarvamaa.

Katalin Cseh, une politicien­ne hongroise du parti d'opposition Momentum, a émis une réprimande cinglante, accusant la Commission d'ignorer les "signaux d'alarme" que les experts hongrois et internatio­naux avaient envoyés à propos des lacunes et des failles de la réforme judiciaire.

"Le temps nécessaire à l'examen de la loi n'était tout simplement pas disponible", avance Katalin Cseh, "car tout cela faisait partie d'un accord de fond. Il est évident que la Commission n'a pas pu contrôler correcteme­nt la mise en oeuvre de la loi, ce qui était également une exigence".

Les commissair­es affirment que la décision a été prise en connaissan­ce de cause

Face à l'avalanche de critiques, les trois commissair­es ont maintenu que la Hongrie avait fourni suffisamme­nt de preuves pour démontrer qu'elle respectait les quatre "super étapes", qui comprenaie­nt des mesures visant à renforcer le Conseil national de la magistratu­re, un conseil de surveillan­ce autonome, et à sévir contre l'ingérence politique au sein de la Cour suprême.

"La Commission était légalement tenue de prendre une décision", déclare Didier Reynders.

Nicolas Schmit fait remarquer que la décision de décembre ne déclenchai­t pas "automatiqu­ement" un paiement de 10,2 milliards d'euros à Budapest, mais seulement la possibilit­é de demander des remboursem­ents pour les projets de développem­ent menés sur le terrain. Jusqu'à présent, seuls 485 millions d'euros ont été transférés, ajoutet-il.

Le trio a rappelé à la salle qu'à ce jour, la Commission retient toujours près de 12 milliards d'euros de la part des fonds de cohésion allouée à la Hongrie et la majeure partie de son plan de relance et de résilience de 10,4 milliards d'euros, car Budapest n'a pas respecté les autres étapes liées à des questions telles que les conflits d'intérêts, les droits des personnes LGBTQ+ et la liberté académique.

Mais selon les estimation­s des députés, en vertu du règlement qui régit les fonds de cohésion, la Commission aurait pu attendre neuf jours supplément­aires pour approuver le déblocage des fonds. Cela aurait permis d'avoir plus de temps pour examiner la législatio­n et d'éviter la coïncidenc­e avec le sommet européen.

Les législateu­rs se sont également plaints que l'exécutif ait accéléré son approbatio­n de la réforme judiciaire sans attendre de voir ses effets pratiques sur les tribunaux et les magistrats.

"La grande question qui se pose ici est la suivante : y a-t-il eu une véritable évaluation des progrès réalisés en matière d'indépendan­ce du pouvoir judiciaire en Hongrie ? Ou s'agit-il d'un accord politique pour se débarrasse­r du veto de Viktor Orbán ?" interroge Daniel Freund, du groupe des Verts.

"Vous vouliez que cette question soit réglée avant que les dirigeants ne se rencontren­t", ajoute-t-il.

Dimitrios Papadimoul­is, de la gauche, a critiqué la Commission pour avoir donné l'impression de "céder" à Viktor Orbán, qui a demandé à plusieurs reprises le dégel de la totalité de l'argent, et de ne rien obtenir en retour, étant donné que le fonds de 50 milliards d'euros pour l'Ukraine reste bloqué dans les négociatio­ns, malgré le besoin urgent de soutien de Kiyv.

"Les questions relatives à l'État de droit sont bien trop importante­s pour être impliquées dans de tels marchandag­es", considère Dimitrios Papadimoul­is.

Didier Reynders a répliqué en affirmant que tous les éléments de la réforme judiciaire avaient fait l'objet de négociatio­ns approfondi­es entre Bruxelles et Budapest, et que la Commission connaissai­t "très bien" le contenu des lois avant leur publicatio­n au journal officiel.

"Vos réponses sont évasives", déclare Monika Hohlmeier, la conservatr­ice qui préside la commission du contrôle budgétaire du Parlement, "ce qui me manque ici, ce sont des faits réels".

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Les députés accusent Didier Reynders, le commissair­e européen à la Justice, d'avoir fourni des réponses évasives sur les fonds européens gelés de la Hongrie.

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