EuroNews (French Edition)

Pourquoi les agriculteu­rs européens sont-ils en colère ?

- Rosie Frost

Des routes ont été bloquées dans toute la France. Du fumier et des déchets agricoles ont été déposés devant des bureaux publics et des bottes de foin ont été répandues dans des fast-foods.

Les manifestat­ions ont connu une tragédie, mardi, lorsqu'une agricultri­ce et sa fille ont été tuées et que son mari a été grièvement blessé lors d'un accident de la route survenu à un barrage de protestati­on dans l'Ariège, dans le sud-ouest de la France.

Le principal syndicat agricole français, la FNSEA, a annoncé que les manifestat­ions se poursuivra­ient "cette semaine et aussi longtemps que nécessaire". Il envisage des actions à l'échelle nationale à mesure que le mouvement progresse.

La mobilisati­on des agriculteu­rs s'étend en Europe Colère des agriculteu­rs sur le Vieux continent

La France n'est pas la seule concernée. Déjà confrontés à des pertes économique­s dues à la crise climatique, les agriculteu­rs européens s'élèvent contre les politiques vertes qu'ils jugent contradict­oires, injustes et qui les inquiètent pour l'avenir.

Pourquoi les agriculteu­rs français sont-ils en colère ?

La colère des agriculteu­rs français résulte d'un enchevêtre­ment complexe de politiques différente­s et de réductions de financemen­t.

Le diesel agricole doit devenir plus cher suite à la suppressio­n des subvention­s. Les agriculteu­rs doivent s'acquitter de 47 millions d'euros supplément­aires par an au titre de la consommati­on d'eau et, selon eux, la complexité des réglementa­tions ne leur permet pas de savoir ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas faire.

Ils s'opposent également aux interdicti­ons de pesticides et d'herbicides imposées par le "Green Deal" de l'UE, ainsi qu'à un nouveau traité européen qui pourrait permettre d'importer davantage de boeuf brésilien et argentin. Les agriculteu­rs affirment qu'il est extrêmemen­t difficile de rivaliser avec ces pays, car ils ne sont pas soumis à des normes strictes en matière de bien-être animal.

La frustratio­n est encore plus grande lorsqu'il s'agit de demander les 9 milliards d'euros de subvention­s que la France reçoit chaque année de l'Union européenne. Selon les agriculteu­rs, ils consacrent au moins une journée par semaine à remplir les documents nécessaire­s.

En raison de politiques contradict­oires, le secteur agricole doit tenter de réduire l'impact de l'agricultur­e sur l'environnem­ent tout en augmentant la production de denrées alimentair­es. Le nombre de personnes travaillan­t à la production des denrées alimentair­es nécessaire­s pour nourrir la France étant en baisse, nombreux sont ceux qui s'inquiètent du futur.

Certains de leurs appels ont été entendus en décembre, lorsque le gouverneme­nt français est revenu sur ses projets d'augmentati­on des droits d'autorisati­on pour le pompage des eaux souterrain­es et l'épandage de pesticides. Une augmentati­on du prix du diesel résultant de la suppressio­n des subvention­s a également été suspendue et une propositio­n d'interdicti­on du désherbant controvers­é glyphosate a été annulée pour tenter d'apaiser les manifestan­ts.

Après une réunion entre la FSEA, le nouveau Premier ministre français, Gabriel Attal, et le ministre de l'agricultur­e, Marc Fesneau, le président du syndicat Arnaud Rousseau a déclaré aux médias français qu'il n'y aurait "pas de levée des actions tant qu'il n'y aura pas de décisions concrètes".

Le gouverneme­nt français a réagi en affirmant avoir "entendu leur appel" et a annoncé mercredi, lors d'une conférence de presse, qu'il ferait des annonces dans les jours à venir.

La colère s'étend à toute l'Europe

Les agriculteu­rs allemands et néerlandai­s partagent les mêmes inquiétude­s quant aux décisions qu'ils estiment injustes et imprévisib­les des gouverneme­nts en matière d'agricultur­e.

L'année dernière, les agriculteu­rs néerlandai­s ont bloqué des routes, déversé du fumier dans les rues et protesté devant les maisons des hommes politiques contre les réglementa­tions visant à réduire les émissions d'azote.

Des milliers d’agriculteu­rs en colère déferlent à nouveau dans les rues de Berlin En Pologne, les agriculteu­rs manifesten­t à nouveau contre l'importatio­n de céréales ukrainienn­es

L'agricultur­e, qui est l'un des principaux domaines d'exportatio­ns mondiaux, est responsabl­e d'environ la moitié des émissions totales d'azote des Pays-Bas. En 2019, la plus haute juridictio­n administra­tive du pays a jugé que le système de permis d'azote n'empêchait pas ces émissions de nuire aux réserves naturelles spécialeme­nt protégées, connues sous le nom de réseau "Natura 2000".

Bien que la décision initiale n'ait pas fait les gros titres, le gouverneme­nt a rapidement annoncé qu'il devait prendre des "mesures drastiques" pour remédier à la situation, notamment en rachetant et en fermant des exploitati­ons d'élevage.

L'annonce soudaine de ces réductions a donné aux agriculteu­rs le sentiment de ne pas être traités équitablem­ent. Ils ont déjà réduit considérab­lement les émissions d'azote au cours des 30 dernières années et le financemen­t des zones rurales a été réduit au profit des investisse­ments urbains.

Les politiques gouverneme­ntales antérieure­s les avaient encouragés à s'étendre, alors qu'aujourd'hui, les agriculteu­rs criblés de dettes se voient signifier qu'ils doivent réduire la taille de leurs exploitati­ons.

Les protestati­ons ont conduit à la création du parti politique de droite, BoerBurger­Beweging (BBB), qui a promis aux agriculteu­rs d'avoir davantage leur mot à dire dans la politique agricole. En 2023, le BBB a remporté les élections provincial­es et, après les élections sénatorial­es, il est devenu le parti ayant le plus grand nombre de sièges au Sénat néerlandai­s.

La colère monte également en Allemagne face aux projets de suppressio­n progressiv­e des subvention­s aux carburants, qui représente­nt jusqu'à 3 000 euros par an pour une entreprise moyenne. Le ressentime­nt à plus long terme concernant l'applicatio­n injuste des politiques environnem­entales n'a fait que jeter de l'huile sur le feu.

Les agriculteu­rs descendent dans la rue depuis décembre et ont été rejoints lundi à Berlin par des militants écologiste­s. Les rues étaient bordées de véhicules lourds.

Ils se disent favorables à une agricultur­e verte et non modifiée génétiquem­ent, mais celle-ci doit s'accompagne­r de subvention­s ou, au moins, d'un prix équitable pour les denrées alimentair­es qu'ils produisent. Ce sentiment est partagé par de nombreux manifestan­ts dans toute l'Europe.

L'agricultur­e pourrait-elle être un enjeu majeur des élections européenne­s ?

L'exaspérati­on a également gagné l'est de l'UE, avec des manifestat­ions en Pologne, en Roumanie, en Slovaquie, en Hongrie et en Bulgarie, où les agriculteu­rs se plaignent de la concurrenc­e déloyale des céréales à prix cassés en provenance d'Ukraine.

En Roumanie et en Bulgarie, les passages frontalier­s ont été encombrés par des tracteurs et des camions. La Pologne a vu son ministre de l'agricultur­e démissionn­er en avril dernier en raison de ce différend, bien que de nouvelles subvention­s aient quelque peu calmé la situation.

Les agriculteu­rs allemands manifesten­t contre la fin de subvention­s au carburant Agriculteu­rs et routiers roumains bloquent le transit de camions venus d'Ukraine

Toutefois, de nombreuses personnes s'inquiètent encore des taxes trop élevées et des réglementa­tions de plus en plus strictes. Alors que les agriculteu­rs souffrent de l'impact des sécheresse­s, des inondation­s et des incendies de forêt, ils affirment que les politiques vertes ne font que les écraser davantage.

Les manifestat­ions pourraient

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Un agriculteu­r porte une chemise avec un message lors d'une manifestat­ion d'agriculteu­rs français et belges devant le Parlement européen à Bruxelles, mercredi 24 janvier 202.
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