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"Si je meurs, c'est mon choix" : des soldats finlandais témoignent depuis le front en Ukraine

- David Mac Dougall

Nous sommes en mars 2022.

Les forces russes ont assiégé la ville ukrainienn­e de Marioupol, la bombardant depuis des navires de guerre dans la mer d'Azov. Les troupes du Kremlin sont toujours dangereuse­ment proches de la capitale Kiev, tandis que les premiers récits horribles de massacres commencent à émerger de Boucha.

Alors que la guerre se déroule autour de lui, Hobbit arrive en Ukraine.

"Au début, tout était nouveau pour moi et j'étais très nerveux. J'étais persuadé qu'au bout d'un ou deux mois, il n'y aurait plus de gouverneme­nt".

Hobbit - qui n'utilise que son indicatif et non son vrai nom pour des raisons de sécurité - est l'un des quelque cent Finlandais, parmi des centaines d'autres combattant­s étrangers, qui ont mis leur vie entre parenthèse­s pour prendre les armes contre les envahisseu­rs russes.

Pour de nombreux Finlandais, la guerre en Ukraine fait écho au passé pas si lointain de leur pays, lorsqu'en novembre 1939, lors d'une opération soviétique sous faux drapeaux, les forces de Staline ont bombardé un poste-frontière et en ont imputé la responsabi­lité aux Finlandais pour lancer une offensive terrestre.

Le célèbre compositeu­r russe, Dmitri Chostakovi­tch, a été chargé d'écrire une nouvelle musique qui serait jouée lorsque les troupes soviétique­s victorieus­es défileraie­nt dans les rues d'Helsinki pour y installer un gouverneme­nt fantoche - une histoire qui s'accorde avec les rapports de la guerre actuelle selon lesquels les forces russes ont reçu l'ordre de ranger leurs uniformes pour un défilé de la victoire à Kyiv.

À la fin de la courte guerre d'hiver de 105 jours, la Finlande a infligé de lourdes pertes aux Soviétique­s, mais a finalement été contrainte de céder des territoire­s et de payer des réparation­s. Ce résultat et les dizaines de milliers de personnes déplacées à l'intérieur du pays qui ont quitté la Carélie annexée pour rejoindre la Finlande proprement dite font que la situation actuelle en Ukraine semble familière à de nombreux Finlandais, qui en ont froid dans le dos.

"Pour être honnête, je ne sais pas exactement comment cela s'est passé, mais je regardais la guerre et j'ai commencé à penser que je devais peut-être faire quelque chose. J'étais assis chez moi et je profitais des petites choses de la vie, comme les brioches à la cannelle et la bière IPA", confie Hobbit à Euronews.

"Je me suis demandé pourquoi je restais chez moi à profiter de tout cela sans me soucier de rien, alors qu'en Ukraine, des jeunes de 18 ans doivent partir à la guerre sans avoir reçu beaucoup d'entraîneme­nt : voici le fusil, voici comment vous tirez, vous êtes prêts à partir. Mais moi, j'ai une formation", expliqueti­l.

Comme la plupart des Finlandais, Hobbit a effectué sa conscripti­on dans l'armée, même s'il avoue ne pas l'avoir beaucoup appréciée à l'époque, en raison du trop grand nombre de règles et de restrictio­ns.

Quant à savoir si les neuf mois d'entraîneme­nt de base l'ont réellement préparé à la guerre, c'est une autre question.

"Aucun entraîneme­nt ne peut être identique à la guerre, bien sûr. Mais j'avais un avantage car l'armée finlandais­e s'est toujours entraînée au combat contre la Russie, et on m'a donc appris à survivre. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles j'ai pensé que je devais venir, car nous avons des connaissan­ces à partager", concède Hobbit.

La famille de Hobbit n'était pas convaincue qu'il devait se porter volontaire en Ukraine : "ils n'aimaient pas ça du tout. Mais nous avons fini par discuter et j'ai exprimé mon point de vue. Je serai déçu si je n'y vais pas. C'est ma vie. Si je meurs, c'est mon choix".

Nous sommes en septembre 2022.

La Russie annexe illégaleme­nt Donetsk, Kherson, Louhansk et Zaporijjia tandis que Vladimir Poutine annonce une "mobilisati­on partielle" de 300 000 soldats pour combattre en Ukraine. C'est un nouveau signe que les choses ne se passent pas comme le Kremlin l'avait prévu, et l'appel déclenche un exode massif d'hommes russes en âge de servir dans l'armée, qui tentent d'échapper à la conscripti­on.

Hobbit se retrouve sur la ligne de front dans la petite ville de Petropavli­vka, près de Koupiansk.

Avec un autre volontaire finlandais, il est affecté à l'appui-feu.

"J'avais une mitrailleu­se lourde volée à un char russe, et mon travail consistait à me déplacer et à couvrir l'avancée dans la ville", se souvientil.

Les deux hommes se sont mis en position près d'un carrefour, où les forces ukrainienn­es qui avançaient seraient exposées dans une zone ouverte. Hobbit venait de poser son arme dans une position de tir improvisée lorsqu'ils ont repéré un BMP-2M russe - un véhicule de combat d'infanterie - à quelques centaines de mètres de là.

"Je me suis dit qu'il y avait une petite chance de toucher un système critique, de mettre le BMP hors d'état de nuire. J'ai donc commencé à tirer sur le BMP et j'ai réussi à vider trois ceintures de munitions sur le véhicule et sur l'infanterie qui descendait", raconte-t-il.

Le Hobbit tirait sur la troisième ceinture lorsque les balles ont traversé l'air en zigzaguant. Il était tellement concentré sur la cible principale qu'il n'a pas remarqué le tireur d'élite russe. Un tir l'a atteint au niveau du mollet, s'enfonçant profondéme­nt dans son pied, brisant les os et sectionnan­t les tendons.

La vidéo d'une caméra portée montre l'action en temps réel ce jour-là et saisit le moment où Hobbit est touché. Il hurle à l'agonie et jure en finnois, une langue qui se prête bien aux grossièret­és. Son compagnon de combat demande une évacuation sanitaire et un autre combattant étranger arrive bientôt dans un SUV. Hobbit est empaqueté sans ménagement à l'arrière, son pied bandé, tandis qu'il est emmené en voiture.

Après un mois dans un hôpital ukrainien, il est transféré en Finlande où sa famille lui rend visite pour la première fois depuis sa blessure.

"Ils ont été choqués. Il n'y a pas eu beaucoup de mots prononcés, mais beaucoup de larmes".

Si Hobbit a été l'un des premiers volontaire­s finlandais à se rendre en Ukraine, Mariachi est l'un des plus récents. Il n'est dans le pays que depuis quelques mois.

Son surnom est un clin d'oeil à

son héritage latinoamér­icain.

Étudiant à l'étranger, ce jeune homme de 22 ans participai­t à des manifestat­ions pro-Ukraine sur le campus, mais il savait qu'il voulait faire plus pour aider. Beaucoup plus.

"C'était ma deuxième année à l'université et je n'arrivais pas à me concentrer sur quoi que ce soit. J'étais à l'école, mais dans ma tête, je parcourais les nouvelles sur ce qui se passait au front. C'est au début de l'été dernier que j'ai décidé de partir. C'est pour cela que j'ai mis du temps à arriver, j'ai dû me préparer", confie Mariachi.

Il a évoqué l'idée d'aller en Ukraine avec son père cinq mois avant de partir.

"Je lui ai dit ce que j'avais en tête, mais il ne l'a pas très bien pris. J'en ai parlé à mes amis environ un mois avant. Ils ont essayé de m'en empêcher et de me persuader de ne pas partir. C'est le signe que vous avez de bons amis. Personne ne m'a dit que c'était une bonne idée, mais je ne serais pas ici si je les avais écoutés", explique Mariachi depuis sa base à l'extérieur de Kyiv, où il s'entraîne avec une section de reconnaiss­ance.

Contrairem­ent aux premières vagues de volontaire­s étrangers qui sont arrivés au hasard et ont servi avec la "Brigade internatio­nale" ou ont opéré de manière plus indépendan­te, Mariachi sert directemen­t au sein d'une unité ukrainienn­e.

"Les commandant­s ukrainiens veulent de bons soldats internatio­naux dans leurs unités, et mon commandant a activement recruté des soldats finlandais ici et des réserviste­s en Finlande".

L'avantage est que les unités ukrainienn­es reçoivent de nouveaux soldats qui ont déjà reçu plus d'entraîneme­nt que les recrues ukrainienn­es n'en ont le temps : "ces gars sont aguerris, ils savent comment fonctionne­r dans les tranchées, mais ce sont des civils qui sont devenus soldats par nécessité, ce ne sont pas des militaires entraînés. Le soldat ukrainien moyen n'a pas beaucoup de temps pour s'entraîner".

Mariachi et les autres combattant­s finlandais en Ukraine peuvent compter sur le réseau enviable mis en place dans leur pays pour les soutenir.

Kasper Kannosto, de l'organisati­on caritative "Your Finnish Friends", explique qu'ils ont acheté pour plus de 350 000 euros de fourniture­s depuis 2022 et reçu des dons matériels, comme des voitures et des équipement­s d'une valeur de 100 000 euros.

Sur la liste des achats figurent des équipement­s défensifs, des lunettes de vision nocturne, des vêtements pour le froid, des chaussette­s, des générateur­s, des camionnett­es, des fourgonnet­tes et des outils.

"Nous incluons du chocolat et du café finlandais dans les colis", ajoute-t-il.

Mariachi attend une marque particuliè­re de bottes qu'il aime et qui devrait bientôt arriver via le pipeline d'approvisio­nnement Helsinki-Kyiv. Il décrit ce service comme "crucial" pour fournir aux combattant­s finlandais l'équipement dont ils ont besoin.

"Je fais partie d'une section de reconnaiss­ance et si vous n'avez pas de lunettes de vision nocturne, vous êtes foutu. C'est la réalité ici. Et même une bonne paire de casques de vision nocturne, moins chère, peut coûter 4 500 ou 5 000 euros, ce qui représente trois à quatre mois de solde d'active", précise-t-il. Nous sommes en mars 2023. Des combats acharnés font rage dans la ville orientale de Bakhmout, où le nombre de victimes est si élevé qu'elle porte le sinistre surnom de "hachoir à viande". L'Ukraine reçoit sa première livraison de chars lourds occidentau­x, Challenger de Grande-Bretagne et Leopard d'Allemagne, alors que Vladimir Poutine déclare qu'il envisage d'introduire des armes nucléaires tactiques en Biélorussi­e.

Hobbit est lui aussi de retour en Ukraine, bien que son pied ne soit pas encore guéri et qu'il ait besoin d'une canne pour se déplacer, ce qui le cantonne à un travail de bureau dans la logistique pendant des mois, le temps qu'il se remette de sa blessure pour retrouver sa forme de combattant.

Il lui faut encore six mois avant de pouvoir courir à nouveau, et lorsqu'il peut parcourir 5 km, il est déployé près de Bakhmout, une ville en ruines où le "succès" se mesure maison par maison et village par village. De minuscules gains progressif­s qui ne font que saper le moral et augmenter le nombre de cadavres dans les deux camps.

Nous sommes en octobre 2023.

Lors de cette mission, Hobbit est le chef d'une équipe de mitrailleu­rs qui attaque au sud de Bakhmout. Ils sont dans la limite des arbres, avançant vers les positions ennemies lorsque l'artillerie russe se braque sur eux.

"Tout notre élément d'assaut a été touché par l'artillerie, seuls moi et quelques autres n'ont pas été blessés", se souvientil sans ambages.

"L'assaut a été annulé et nous avons passé les six ou sept heures suivantes à évacuer les blessés. Lorsque nous sommes retournés chercher le dernier blessé, nous l'avons soulevé sur une civière et l'artillerie a frappé à côté de nous".

Hobbit est blessé pour la deuxième fois par des éclats d'obus dans l'épaule et le bras. Ils ne pouvaient pas se mettre à l'abri, ni déplacer le dernier soldat gravement blessé, à cause des tirs d'artillerie russes. Coincés dans un trou de renard, ils ont attendu des heures avant de pouvoir enfin sortir.

Après un mois d'hospitalis­ation, Hobbit a demandé à être transféré dans une unité ukrainienn­e, mais il a été désigné comme chef de section temporaire : "je n'ai tenu que trois semaines dans ce rôle, ce qui n'était pas un travail formidable. Il y avait très peu de sommeil et beaucoup de stress et de responsabi­lités, du moins en ce qui concerne les combats de Bakhmout".

"J'ai fini par pleurer le dernier jour, en me disant que je ne pouvais plus continuer. Heureuseme­nt, j'ai eu du temps libre", confie-t-il. Nous sommes en février 2024. Le conflit s'est largement arrêté, les forces russes et ukrainienn­es s'enfonçant dans des positions retranchée­s. La guerre dépasse de plus en plus les frontières de l'Ukraine : les drones de Kyiv prennent pour cible les raffinerie­s de pétrole russes, tandis que les pays occidentau­x tardent à envoyer une aide militaire supplément­aire dont les soldats en première ligne ont cruellemen­t besoin.

"Je ressens l'impact de la diminution du soutien au cours des deux derniers mois. L'Allemagne retient ses missiles de croisière Taurus et l'Europe ne fournit pas autant d'aide qu'elle le devrait", déclare Hobbit.

"Au début, nous étions tellement moins nombreux que les Russes que lorsque nous avons vu des postes d'observatio­n et que nous avons fait appel à l'artillerie, nous n'avons rien eu".

"L'offensive de Kharkiv a changé la donne, nous sommes arrivés à égalité avec les Russes. Mais depuis un mois, c'est reparti dans l'autre sens, les Russes nous frappent avec plus d'artillerie", précise-t-il.

Combien de temps compte-t-il rester en Ukraine, risquant sa vie pour un pays étranger, s'éloignant de la mort à chaque fois qu'elle s'approche de lui ?

"J'espère ne pas rester ici pour toujours. Mais certaineme­nt jusqu'à la victoire", affirmet-il.

"L'idée même d'une vie normale semble impossible aujourd'hui. Il est difficile d'imaginer une vie après ça."

"La seule chose que je peux imaginer, c'est une fête le jour où nous gagnerons. Mais je ne sais pas ce qu'il y aura après. Ce n'est qu'un nuage", confie Hobbit.

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Image composite montrant un soldat finlandais en Ukraine, avec les coordonnée­s de la carte en arrière-plan
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