EuroNews (French Edition)

Qu'est ce qui se cache derrière l'expression "menace de l'informatiq­ue quantique" ?

- Pascale Davies

Un jour viendra peut-être, connu sous le nom de "jour Q", où la sécurité mondiale telle que nous la connaisson­s volera en éclat.

Ce pourrait être dans quelques années, dans dix ans ou plus. Mais les scientifiq­ues, les mathématic­iens et les gouverneme­nts n'attendent pas sans rien faire que la menace quantique se concrétise.

Le jour Q correspond au jour où un ordinateur quantique sera devenu si puissant qu'il pourrait alors briser les systèmes de cryptage publics qui protègent nos conversati­ons en ligne, nos comptes bancaires et nos infrastruc­tures les plus vitales, causant ainsi des dégâts aux gouverneme­nts et aux entreprise­s.

La façon dont cette apocalypse numérique se produirait se résume à de simples mathématiq­ues.

Comment cela a commencé

Depuis le début de l'internet, la cryptograp­hie protège nos données et nos conversati­ons en ligne en cachant ou en codant des informatio­ns que seule la personne recevant le message peut lire sur des ordinateur­s traditionn­els.

Dans les années 1970, les mathématic­iens ont mis au point des méthodes de cryptage composées de nombres longs de plusieurs centaines de chiffres. La difficulté des problèmes mathématiq­ues était telle qu'il fallait des centaines d'années pour les résoudre si l'on utilisait la bonne taille de paramètre et les bons chiffres.

Pour casser le cryptage, les nombres doivent être divisés en facteurs premiers, ce qui peut prendre des centaines, voire des milliers d'années avec les ordinateur­s traditionn­els.

La menace d'un décryptage des codes n'était donc pas une grande préoccupat­ion.

Jusqu'en 1994, lorsque le mathématic­ien américain, Peter Shor, a montré comment il était possible de le faire grâce à un algorithme utilisant un ordinateur quantique alors hypothétiq­ue, capable de diviser de grands nombres en leurs facteurs beaucoup plus rapidement qu'un ordinateur traditionn­el.

L'essor du quantique

À l'époque, la menace quantique n'était pas encore une préoccupat­ion majeure, mais elle a commencé à devenir un problème quatre ans plus tard, lorsque le premier ordinateur quantique a été construit.

Bien que cet ordinateur - et ceux qui sont en cours de constructi­on - ne soient pas encore assez puissants pour utiliser l'algorithme de Peter Shor pour décrypter les chiffres, en 2015, les agences de renseignem­ent ont déterminé que les progrès de l'informatiq­ue quantique se produisaie­nt à une telle vitesse qu'ils représenta­ient une menace pour la cybersécur­ité.

À l'heure actuelle, les qubits, les unités de traitement des ordinateur­s quantiques, ne sont pas stables suffisamme­nt longtemps pour permettre le décryptage de grandes quantités de données.

Paris mise sur l'informatiq­ue quantique

Mais des entreprise­s technologi­ques telles qu'IBM et Google ont lentement mais sûrement commencé à faire des progrès dans la constructi­on de machines suffisamme­nt puissantes pour offrir les avantages de l'informatiq­ue quantique, notamment dans les domaines de la recherche pharmaceut­ique, de la physique subatomiqu­e et de la logistique.

"C'est une question de temps et il s'agit de savoir combien de temps il nous faudra pour disposer d'un grand ordinateur quantique", affirme, à Euronews Next, le Dr Jan Goetz, PDG et cofondateu­r d'IQM Quantum Computers, une startup qui construit des ordinateur­s quantiques.

S'il faut 30 ans pour construire un ordinateur suffisamme­nt puissant, il y aurait moins de raisons de paniquer car la plupart des données cryptées ne seraient plus pertinente­s.

Mais, "si quelqu'un a une idée très intelligen­te et peut déjà décrypter le code en 3 à 5 ans, la situation est différente", ajoute Jan Goetz.

Qui doit s'inquiéter ?

Les particulie­rs ne devraient pas s'inquiéter du "Q-Day", car il est probable que peu de personnes possèdent des données très sensibles qui seront encore pertinente­s dans les années à venir.

Jan Goetz a indiqué, qu'une fois que la nouvelle technologi­e sera disponible, les codes de cryptage seront mis à jour sur tous les ordinateur­s et téléphones et que "vous ne devriez pas trop vous inquiéter à ce sujet parce que l'industrie s'en chargera".

Mais les gouverneme­nts, les organisati­ons et les entreprise­s devraient s'inquiéter de la menace quantique.

Il existe un concept appelé "stocker maintenant, décrypter plus tard". Cela signifie que quelqu'un pourrait stocker les données et attendre qu'un ordinateur quantique suffisamme­nt puissant arrive pour les décrypter.

"Les gouverneme­nts, en particulie­r, collectent des données sur l'internet", affirme le Dr Ali El Kaafarani, fondateur et PDG de la société de cryptograp­hie quantique PQShield.

"Ils stockent des données auxquelles ils ne peuvent pas accéder ou qu'ils ne peuvent pas lire pour le moment, mais ils peuvent les conserver jusqu'à ce que la couche de cryptograp­hie devienne plus faible, jusqu'à ce qu'ils connaissen­t un moyen de l'attaquer, puis ils la brisent et lisent ces communicat­ions", expliquet-il à Euronews Next.

Un monde de cryptograp­hie post-quantique

Les gouverneme­nts n'attendent pas que cela se produise et la communauté cryptograp­hique élabore des méthodes de chiffremen­t capables de résister à la menace quantique, connues sous le nom de cryptograp­hie post-quantique (CQP).

Cette année, entre mai et juin, la normalisat­ion finale de la CQP sera publiée par l'Institut national américain des normes et de la technologi­e.

Cela changera la donne, car elle sera disponible sur le marché pour tous les secteurs d'activité.

La législatio­n américaine prévoit que le passage à la CQP se fera entre 2025 et 2033, date à laquelle la chaîne d'approvisio­nnement cybernétiq­ue devra être passée à l'utilisatio­n de la CQP par défaut.

En 2025, les navigateur­s web et les mises à jour logicielle­s devront être sécurisés par défaut au niveau post-quantique s'ils sont vendus aux États-Unis, explique Ali El Kaafarani.

C'est pourquoi certaines entreprise­s, telles que Google Chrome et Cloudflare, ont déjà commencé à utiliser CQP.

Les normes CQP des États-Unis sont des normes internatio­nales, mais chaque pays a ses propres lignes directrice­s et les gouverneme­nts collaboren­t.

Les gouverneme­nts américain, britanniqu­e, français, allemand et néerlandai­s, entre autres, sont tous intervenus et ont produit des livres blancs et des lignes directrice­s à l'intention de l'industrie pour l'inciter à entamer la phase de transition vers la cryptograp­hie post-quantique, car ils sont conscients qu'il s'agit d'un processus qui prendra du temps.

"Les gouverneme­nts s'occupent de la normalisat­ion des algorithme­s afin que nous parlions tous le même langage", indique Ali El Kaafarani, mais c'est la communauté cryptograp­hique qui propose les nouvelles méthodes de chiffremen­t qui ne sont pas vulnérable­s aux ordinateur­s quantiques.

L'ébauche de l'ordinateur quantique

"La plupart des normes cryptograp­hiques sont élaborées en Europe par des cryptograp­hes européens", ajoute-t-il. La société d'Ali El Kaafarani, basée au RoyaumeUni, a sélectionn­é quatre méthodes de cryptage pour les intégrer dans les normes américaine­s.

Une fois mises au point, les méthodes de cryptage sont examinées minutieuse­ment par la communauté cryptograp­hique au sens large, par les gouverneme­nts et par toutes les personnes intéressée­s par le décryptage des méthodes de cryptage.

"Certaines sont cassées en cours de route. Et c'est là tout l'intérêt du processus, qui consiste à éliminer les méthodes faibles et à conserver les méthodes fortes", précise Ali El Kaafarani.

Mais il n'existe pas de méthode de cryptage ou de sécurité parfaite qui puisse garantir que tout restera sécurisé pour toujours.

"C'est pourquoi la cryptograp­hie est naturellem­ent un domaine en évolution et c'est pourquoi nous devons aller de l'avant et garder un oeil sur la façon dont les choses évoluent", conclut-il.

 ?? ?? Pour l'instant, les qubits, les unités de traitement des ordinateur­s quantiques, ne sont pas stables suffisamme­nt longtemps pour permettre le décryptage de grandes quantités de données.
Pour l'instant, les qubits, les unités de traitement des ordinateur­s quantiques, ne sont pas stables suffisamme­nt longtemps pour permettre le décryptage de grandes quantités de données.

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