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Les décès liés au changement climatique sous-estimés, selon une étude

- Euronews Green

Au cours de l'été 2022, la chaleur étouffante a tué environ 61 672 personnes en Europe.

La plupart des personnes décédées souffraien­t déjà de problèmes de santé tels que des maladies cardiaques et pulmonaire­s. Mais leur mort n'était pas inévitable : leur respiratio­n s'est arrêtée et leur coeur a lâché sous des températur­es torrides dont le risque a été multiplié par 160 en raison du changement climatique.

Il est possible de dénombrer les morts climatique­s de cette manière grâce à la science de l'attributio­n, qui mesure la responsabi­lité du changement climatique dans un événement météorolog­ique extrême particulie­r.

Il est beaucoup plus difficile d'estimer le nombre cumulé de décès dus au changement climatique, mais un expert estime qu'il est en passe de dépasser les 4 millions depuis 2000, soit un total supérieur à la population de Berlin.

Très peu de ces décès auront été reconnus par les familles des victimes ou par les gouverneme­nts nationaux.

"Très peu de ces décès auront été reconnus par les familles des victimes ou par les gouverneme­nts nationaux comme étant la conséquenc­e du changement climatique", écrit Colin Carlson, épidémiolo­giste américain spécialist­e du climat, dans un commentair­e publié cette semaine dans la revue Nature Medicine.

"Plus de la moitié de ces décès auront été dus soit au paludisme en Afrique subsaharie­nne, soit à la malnutriti­on et aux maladies diarrhéiqu­es en Asie du Sud, et la plupart des morts sont donc présumés avoir été de jeunes enfants".

Colin Carlson, biologiste spécialist­e du changement planétaire et professeur adjoint à l'université de Georgetown, appelle à un changement radical de notre façon d'envisager l'urgence climatique et d'y répondre.

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Comment les décès dus au changement climatique sont-ils calculés ?

La preuve que le changement climatique a provoqué des décès massifs "à l'échelle d'une pandémie" est déjà choquante, dit-il, "mais la science de l'épidémiolo­gie climatique n'est pas encore au point".

"La première et, jusqu'à présent, la seule estimation de ce type", affirme Colin Carlson, "remonte au début des années 2000, lorsque l'épidémiolo­giste australien Anthony McMichael a mis au point une méthode permettant d'estimer la mortalité en fonction de certains facteurs de risque climatique­s".

Ces facteurs comprennen­t les inondation­s, la malnutriti­on, la diarrhée, le paludisme et les maladies cardiovasc­ulaires, et le nombre total de décès attribuabl­es au changement climatique s'est élevé à 166 000 par an. Si l'on reprend cette estimation, Colin Carlson assure que la crise climatique tue chaque année presque autant de personnes que la population de Genève.

L'estimation de 4 millions de morts d'ici à 2024 est très prudente, car la méthode McMichael ne tient pas compte d'un certain nombre d'autres menaces liées au climat que les experts ont mieux comprises au cours des dernières années. Le réchauffem­ent de la planète a également entraîné une surmortali­té due aux famines, aux conflits, aux suicides, aux incendies de forêt et à des dizaines de maladies chroniques et infectieus­es telles que la dengue.

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Comment la réponse du monde à la crise climatique se compare-t-elle à la pandémie de Covid-19 ?

Si l'on exclut la pandémie Covid19, qui a coûté la vie à sept millions de personnes, le changement climatique a fait plus de victimes que toutes les urgences de santé publique reconnues par l'Organisati­on mondiale de la santé (OMS) et d'intérêt internatio­nal, note Colin Carlson.

Mais alors que les courbes ascendante­s du Covid-19 ont été suivies de près à l'échelle nationale et internatio­nale, le changement climatique est souvent décrit comme un miasme plus généralisé que l'on ne peut espérer quantifier en termes de santé et de mortalité.

Le fait de traiter le climat comme une urgence de santé publique analogue permettrai­t-il de toucher le public et les décideurs politiques ? C'est en tout cas ce que pense Colin Carlson, ainsi que de nombreux autres spécialist­es de la santé et de l'épidémiolo­gie.

"Si nous ne nous intéresson­s pas à la cause sous-jacente et que nous nous contentons de traiter les symptômes, nous allons continuer à prendre de plus en plus de retard", craint le Dr Kyle Merritt, premier médecin à inscrire le terme "changement climatique" sur le certificat de décès d'une femme après une vague de chaleur extrême au Canada en 2021.

La conférence des Nations unies sur le climat a organisé sa première "Journée de la santé" lors de la COP28 en décembre, au cours de laquelle plus de 40 millions de profession­nels de la santé ont réclamé une action combinée en faveur de la santé et du climat.

"Mais", écrit Colin Carlson, "quel que soit le nombre de gouverneme­nts et d'organisati­ons internatio­nales qui reconnaiss­ent du bout des lèvres que le changement climatique est une urgence sanitaire, ce sont leurs dépenses qui révèlent la réalité".

Les gouverneme­nts du monde entier ont engagé au moins 9 000 milliards de dollars (8 200 milliards d'euros) pour lutter contre le Covid-19, ajoute-t-il, mais seulement 143 millions de dollars (132 millions d'euros) des fonds d'adaptation au climat dans le monde sont consacrés à la santé chaque année.

Comment les gouverneme­nts devraient-ils répondre à la crise du climat en tant que problème de santé ?

Hier, Colin Carlson a publié son commentair­e sur X en expliquant qu'il l'avait écrit "parce que j'avais l'impression d'être le seul à l'avoir remarqué".

"La réduction des gaz à effet de serre ne suffit plus", préciset-il. "Les gouverneme­nts nationaux doivent relever le défi du climat et de la santé en prenant des engagement­s concrets : accès aux médicament­s essentiels, accès à des soins de qualité, accès à la nourriture et à l'eau potable.

Pour faire progresser l'étude de la mortalité due au climat, Colin Carlson, qui dirige également un institut spécialisé dans la prévision et la prévention des pandémies, pense que la modélisati­on informatiq­ue prédictive est la voie à suivre.

À cette fin, il a déclaré au magazine, "Grist", qu'il prévoyait de réunir cette année d'éminents experts du climat et de la santé afin de déterminer comment construire un système prédictif capable de simuler la propagatio­n des maladies et les conditions climatique­s.

En ce qui concerne l'approche de l'OMS, l'agence des Nations unies qualifie depuis des années le changement climatique et la pollution atmosphéri­que de crise mondiale. Entre 2030 et 2050, le changement climatique devrait provoquer environ 250 000 décès supplément­aires par an, rien qu'en raison de la malnutriti­on, du paludisme, de la diarrhée et du stress thermique.

Toutefois, la terminolog­ie d'urgence de santé publique de portée internatio­nale (PHEIC) est très technique et répond à certains critères, tels qu'une situation aiguë, une occurrence inhabituel­le et un risque de propagatio­n à l'échelle mondiale. Comme la crise climatique dure depuis des décennies et qu'il s'agit déjà d'une crise mondiale chronique, ces descriptio­ns techniques ne s'appliquent pas, selon l'OMS.

La crise climatique mondiale chronique exige une approche soutenue et à long terme pour notre santé, ce pour quoi une déclaratio­n PHEIC n'a pas été conçue, selon l'OMS.

Cela ne change rien au fait que nous devons préparer les systèmes de santé du monde entier à s'adapter et à être plus résistants au climat, et que nous devons réduire les émissions de façon spectacula­ire, dès maintenant.

 ?? ?? Un homme boit de l'eau en essayant de s'hydrater et de se rafraîchir alors que les températur­es atteignent des sommets presque record à Phoenix, États-Unis, 2017.
Un homme boit de l'eau en essayant de s'hydrater et de se rafraîchir alors que les températur­es atteignent des sommets presque record à Phoenix, États-Unis, 2017.

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