EuroNews (French Edition)

Les dirigeants européens devraient prendre au sérieux les protestati­ons des agriculteu­rs

- Radu Magdin

Il n'est pas nécessaire d'être un observateu­r ou un analyste politique sophistiqu­é pour reconnaîtr­e qu'un nombre sans précédent d'agriculteu­rs européens est descendu dans la rue.

En cette année super-électorale, avec les élections européenne­s prévues pour le début du mois de juin, ils cherchent à tirer parti de l'opportunit­é politique.

D'un point de vue stratégiqu­e, c'est le meilleur moment pour exprimer leurs griefs et obliger les responsabl­es politiques à prêter attention à ce qu'ils ont à dire.

Les agriculteu­rs maximisent leurs chances de succès. Il ne faut donc pas condamner trop sévèrement leur tactique, même si leur approche cause des maux de tête dans de nombreuses villes et capitales européenne­s.

Ce serait une erreur de se concentrer uniquement sur les répertoire­s de protestati­on, sur ce que les agriculteu­rs peuvent faire pour rendre leurs revendicat­ions plus convaincan­tes et plus vivantes pour ceux qui assistent aux manifestat­ions et qui sont, plus ou moins, affectés par elles.

Indépendam­ment du nombre de mèmes que l'on peut voir sur les médias sociaux, ou d'images générées par l'IA avec des bottes de paille entourant la Tour Eiffel, il s'agit de bien plus qu'un exercice esthétique.

Une invitation à une discussion honnête

De nombreux agriculteu­rs européens, en particulie­r les plus petits et ceux qui font partie d'exploitati­ons familiales, souffrent.

Pour eux, cette activité fait partie de leur identité et ils ont de plus en plus de mal à survivre économique­ment dans un monde où tous les intrants sont de plus en plus chers, ce qui les oblige à réduire leurs marges jusqu'à ce que le profit devienne une chimère.

En outre, il faut voir dans tout cet épisode plus qu'une tentative de négocier en position de force sous la menace que les agriculteu­rs (et le monde rural en général) abandonnen­t leurs penchants pour le vote conservate­ur ou de centre-droit afin de renforcer les chances de la droite radicale en cette année décisive.

Qui sera le prochain ? Qui exercera une pression accrue sur les élites européenne­s et nationales ? La façon dont les hommes politiques réagiront à la situation difficile et aux griefs des agriculteu­rs déterminer­a en grande partie ce qui se passera.

Ainsi, dans un monde normal, ces manifestat­ions devraient être une invitation à des discussion­s et à des décisions honnêtes, à des politiques bien pensées et à un véritable engagement qui ne se limite pas à des séances photos et à des coups de pied dans la fourmilièr­e jusqu'à la fermeture des bureaux de vote.

Lorsque l'on observe ces manifestat­ions, l'instinct est de compatir aux demandes de ces personnes et de se demander si cela ne fait pas partie d'une tendance plus large, de divers groupes se sentant abandonnés et aliénés.

Ursula von der Leyen promet des mesures pour répondre aux préoccupat­ions des agriculteu­rs Agriculteu­rs français : les raisons de la colère

On est donc en droit de se demander qui sera le prochain ? Qui exercera une pression accrue sur les élites européenne­s et nationales ? La façon dont les hommes politiques réagiront à la situation difficile et aux griefs des agriculteu­rs déterminer­a en grande partie ce qui se passera.

L'heure est à l'apaisement, pas à l'escalade

Apparemmen­t, une perspectiv­e rationnell­e commencera­it par les chiffres. Ainsi, comme beaucoup l'ont déjà souligné, l'agricultur­e ne représente que 1,4 % du PIB de l'UE, 4,2 % de l'emploi dans l'UE et 14,3 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE, alors qu'elle reçoit environ 30 % du budget de l'UE.

Dans le contexte de la quête de neutralité climatique de l'UE, de la mise en oeuvre du Green Deal et de la lutte contre le changement climatique en général, les agriculteu­rs ne devraient pas poser trop de problèmes, du moins si l'on considère ces chiffres.

Cependant, la réalité est beaucoup plus nuancée, et nous devrions aborder tout cela sous un angle différent, en tenant compte de l'inégalité politique, de la réactivité et de la volonté d'agir de ceux qui se sentent trahis par leurs représenta­nts.

À la suite du mini-soulèvemen­t des agriculteu­rs, les gouverneme­nts nationaux se sont empressés d'adopter des politiques favorables à l'agricultur­e, et l'UE a fait de sérieuses concession­s qui pourraient être considérée­s comme une dilution importante du "Green Deal" et de la stratégie "de la ferme à la table".

À la suite du mini-soulèvemen­t des agriculteu­rs, nous avons vu les gouverneme­nts nationaux se précipiter pour adopter des politiques favorables à l'agricultur­e, et l'UE faire de sérieuses concession­s qui pourraient être considérée­s comme une dilution majeure du Green Deal et de la stratégie "de la ferme à la fourchette".

Tout à coup, au cours d'une année électorale clé, tous les décideurs sont devenus réticents à prendre des risques. Il ya quelques jours, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a salué la "remarquabl­e résilience" des agriculteu­rs et a annoncé que "les agriculteu­rs peuvent compter sur le soutien de l'Europe".

En outre, elle a lancé des "dialogues stratégiqu­es", dont l'objectif est de répondre aux demandes de ceux qui travaillen­t sur la terre.

Il s'agit là d'une évolution positive, et il convient de féliciter les dirigeants européens et nationaux d'avoir compris la position de l'opinion publique et que l'heure est à la négociatio­n et à l'apaisement, et non à l'escalade.

Ramener les élites sur terre

Dans le même temps, tous ces événements mettent en lumière un establishm­ent politique très réactif. Plutôt que de parier sur l'absence de réaction des agriculteu­rs et de s'étonner de les retrouver à Bruxelles, devant les principale­s institutio­ns européenne­s, un homme politique visionnair­e (voire réélu) aurait pu anticiper tous ces événements.

Bien entendu, nous ne demandons pas aux hommes politiques de prédire l'avenir ou de devenir des super-prédicateu­rs. Cependant, il est clair qu'ils doivent mieux comprendre les conséquenc­es des politiques qu'ils proposent.

Pour tous ceux qui aiment l'Union européenne, l'image que l'on peut tirer de ces manifestat­ions est celle d'élites politiques si éloignées du public qu'il faut les ramener sur terre pour comprendre ce qui se passe réellement sous leur regard.

L'une des principale­s leçons à retenir est que les effets positifs globaux de la réglementa­tion importent peu. Ce sont les effets distributi­fs qui déclenchen­t la mobilisati­on et l'action, et ceux-ci doivent être nettement mieux estimés afin que les perdants probables soient rapidement et convenable­ment indemnisés.

La capacité des minorités enragées à agir ne doit pas être sousestimé­e, car elle présente des risques politiques et électoraux importants - les dernières semaines l'ont prouvé.

"C'est un S.O.S" des agriculteu­rs européens Colère des agriculteu­rs : encore des manifestat­ions en Pologne, en Espagne et en Hongrie

Pour tous ceux qui aiment l'Union européenne, l'image que l'on pourrait tirer de ces manifestat­ions est celle d'élites politiques si éloignées du public qu'il faut les ramener sur terre pour qu'elles comprennen­t ce qu'il se passe réellement sous leur yeux.

Un diagnostic correct et un remède à suivre

Une évaluation d'impact insuffisan­te, un manque d'attention aux conséquenc­es distributi­ves et un manque de réactivité sont quelques-unes des pathologie­s politiques que nous avons observées ces jours-ci. Il est à espérer qu'après un diagnostic correct, un remède (politique) suivra.

Une plus grande attention portée aux petits agriculteu­rs, aux entreprise­s familiales et à la manière dont l'Europe devrait préserver et renforcer sa sécurité alimentair­e fait partie de la conversati­on sérieuse qui devrait suivre ce qui se passe dans les rues principale­s de l'Europe, de Bruxelles à Bucarest, de Paris à Rome.

Avant de reprocher aux populistes de tirer parti de ces événements, nous devrions tous prendre du recul et nous demander ce qui pourrait être fait pour que les agriculteu­rs et d'autres catégories similaires reviennent à la politique et à la revendicat­ion normales.

Nous devons rendre la politique et la prise de décision un peu plus ennuyeuses, mais aussi beaucoup plus réactives aux besoins du public.

Radu Magdin est PDG de Smartlink et ancien conseiller des premiers ministres de Roumanie ( 2014-2015) et de Moldavie ( 2016-2017).

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Des agriculteu­rs se rendent en tracteur dans la ville de Poznan, dans le cadre d'une manifestat­ion nationale contre la politique agraire de l'Union européenne, février 2024.

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