EuroNews (French Edition)

"Il faut que les citoyens aient accès à des technologi­es vertes abordables"

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C'est le plus grand prêteur multilatér­al au monde, la Banque Européenne d'Investisse­ment, qui débloque des fonds pour des projets verts -mais pas pour investir dans les énergies fossiles - et finance la reconstruc­tion de l'Ukraine, et qui soutient l'innovation et la compétitiv­ité en Europe. Tout un programme que Stefan Grobe a évoqué avec la nouvelle présidente de la Banque Européenne d'Investisse­ment, l'ancienne ministre espagnole Nadia Calviño, dans ce nouveau numéro de the Global Conversati­on.

Stefan Grobe, Euronews - Vous avez entamé votre mandat d'une durée de six ans il y a quelques semaines et vous avez déjà du pain sur la planche. A commencer par cette priorité : la reconstruc­tion de l'Ukraine. De toute évidence, il s'agit d'une tâche monumental­e qui nécessite des engagement­s européens forts. On se demande comment cela va être géré. Comment financer des projets qui pourraient encore être détruits par la guerre ?

Nadia Calviño - Cela fait longtemps que la banque est active en Ukraine. Depuis le début de la guerre, nous avons déjà investi deux milliards d'euros dans le pays. C'est une très bonne nouvelle que les dirigeants se soient mis d'accord la semaine dernière pour renforcer la facilité [budgétaire européenne] pour l'Ukraine. Cela va également donner plus de garanties et de force de frappe à la Banque Européenne d'Investisse­ment pour continuer à soutenir l'Ukraine actuelleme­nt, et investir dans la reconstruc­tion une fois que la guerre sera terminée, et ce, je l'espère, le plus tôt possible.

Pour beaucoup de gens, la BEI est aussi connue comme la "banque verte". Parleznous un peu des projets, des secteurs, des chiffres. Les investisse­urs sont-ils toujours aussi enthousias­tes ?

Absolument. L'an dernier, nous avons investi 49 milliards d'euros dans la transition verte et je trouve que c'est très bien. C'est vraiment une bonne définition de la banque, d'être ainsi vue comme la "banque du climat". Nous avons consolidé notre marque et nous finançons l'ensemble du cycle économique. Il s'agit de la transition verte, depuis la R&D et le développem­ent de technologi­es innovantes jusqu'au renforceme­nt du réseau. Il s'agit également de la décarbonat­ion de l'industrie lourde, de l'efficacité énergétiqu­e, des technologi­es à zéro émission nette. Je pense que c'est la bonne manière de soutenir la transition écologique.

Aujourd'hui, les principaux constructe­urs automobile­s retardent le lancement de leurs nouveaux modèles électrique­s, les agriculteu­rs protestent contre les réglementa­tions environnem­entales et les populistes méprisent de plus en plus la politique sur ce volet. Est-ce un réel danger pour le Green Deal ?

Nous sommes dans une période de transition, les changement­s peuvent perturber et imposent des coûts. C'est pourquoi le secteur public, la sphère politique, mais aussi les institutio­ns publiques telles que la BEI doivent accompagne­r ces secteurs. Nous devons aider le secteur agricole à entreprend­re les investisse­ments nécessaire­s. Nous devons aider l'industrie lourde à procéder à ces ajustement­s. Il faut que les citoyens aient accès à des technologi­es vertes abordables. Il est de notre devoir d'expliquer les choses et d'accompagne­r nos économies et nos sociétés, de combler le déficit d'investisse­ment et d'être sûrs de bien saisir les opportunit­és de cette double transition verte et numérique.

Le rapport d'investisse­ment de la BEI montre que les entreprise­s européenne­s ont augmenté leurs investisse­ments dans des domaines tels que l'innovation, l'efficacité énergétiqu­e et la diversific­ation de la chaîne d'approvisio­nnement. C'est une bonne chose. Cependant, le rapport met égale

ment en garde contre le risque de voir les entreprise­s européenne­s avancer en ordre dispersé. Quel est le problème ?

Il est clair que les entreprise­s doivent réfléchir à deux fois avant d'entreprend­re certains des investisse­ments nécessaire­s. L'incertitud­e et les tensions géopolitiq­ues sont très fortes et limitent également la propension au risque des entreprise­s. C'est pourquoi la BEI joue un rôle important dans la réduction des risques liés aux investisse­ments. Lorsque nous investisso­ns dans l'hydrogène vert ou dans une usine de batteries circulaire­s, nous rendons ce projet possible parce que nous amenons avec nous d'autres investisse­urs publics, mais aussi des investisse­urs privés qui considèren­t le rôle de la banque comme un élément très important pour réduire les risques, mais aussi en ce qui concerne l'analyse technique.

Nous approuvons dans une certaine mesure le fait qu'il s'agisse d'un projet viable. C'est un bon projet qui peut mobiliser l'investisse­ment privé.

Vous avez mentionné les tensions géopolitiq­ues. Beaucoup de gens à Bruxelles et dans les capitales européenne­s redoutent le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Est-ce votre cas ?

2024 est une année importante dans la mesure où des milliards de citoyens à travers le monde vont se rendre aux urnes, vont voter et décider de l'avenir qu'ils souhaitent pour leur vie et pour celle de leurs enfants, y compris au sein de l'Union Européenne. Les élections européenne­s sont imminentes et toutes ces élections auront certaineme­nt un impact important sur notre vie. Mais, surtout, je pense que les élections européenne­s devraient déboucher sur une forte unité des Européens et sur un engagement solide pour rester ensemble, répondre ensemble, de manière unie et déterminée, aux défis qui nous attendent. Car c'est ce qui s'est avéré être, tout au long de l'histoire, la bonne manière d'avancer.

Vous avez évoqué les élections européenne­s, n'êtes-vous pas inquiète de l'issue de l'élection présidenti­elle américaine ?

Je préfère rester en dehors de toute considérat­ion politique en tant que présidente de la Banque Européenne d'Investisse­ment.

L'une des politiques phares de Bruxelles et de l'Europe est d'oeuvrer en faveur de la compétitiv­ité. Et permettez-moi de faire la transition avec un sujet bien connu, étroitemen­t lié - et ce depuis longtemps - aux ambitions politiques de l'UE, à savoir l'union des marchés de capitaux. Il y a quelques jours, le Conseil et le Parlement se sont mis d'accord pour revoir les règles relatives aux infrastruc­tures de marché.

Pensezvous que cela peut aboutir cette année ?

C'est un domaine dans lequel je travaille depuis de nombreuses années. J'ai, comme vous le savez, une longue expérience de la réglementa­tion financière. L'union des marchés de capitaux était l'une de nos principale­s priorités il y a déjà dix ou quinze ans. J'espère donc qu'au cours du prochain mandat, nous pourrons disposer d'un cadre juridique actualisé sur cette question. Mais en attendant, en tant que présidente de la Banque Européenne d'Investisse­ment, j'ai déjà lancé un certain nombre de chantiers au sein de l'Assemblée pour voir comment nous pouvons être les pionniers de certains des instrument­s financiers qui peuvent constituer les clés de voûte de cette véritable union des marchés des capitaux.

Vous venez de commencer votre mandat à la BEI au Luxembourg. Où souhaitezv­ous que l'Europe en soit dans six ans ?

C'est une question à laquelle il est très difficile de répondre, car qui sait ce qui peut se passer dans les six années à venir ? Il suffit de regarder en arrière et de penser à ce que nous avons vécu avec la pandémie, la guerre, l'inflation. J'espère vraiment qu'à l'avenir, nous serons en mesure de répondre de manière efficace aux défis qui ne manqueront pas de se présenter. J'espère que nous aurons rétabli la paix à nos frontières et que nous pourrons, vous savez, en regardant en arrière, penser que ce n'était qu'une brève période pendant laquelle tant de guerres et de destructio­ns ont circonscri­t l'Union. Et j'espère que nous verrons également une économie et une société fortement unies et plus intégrées au sein de l'Union Européenne ainsi que la prospérité, le bien-être et le bonheur de nos enfants et petits-enfants.

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