EuroNews (French Edition)

Tout ce qu'il faut savoir sur la production agricole dans l'Union européenne

- Jorge Liboreiro

Parmi leurs plaintes, les agriculteu­rs dénoncent la crise du coût de la vie, les taxes sur les carburants, la réglementa­tion environnem­entale, la lourdeur de la bureaucrat­ie, la concurrenc­e déloyale et les accords de libre-échange.

Ce mouvement apparemmen­t coordonné, qui a déjà atteint des pays comme l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne, a pris Bruxelles au dépourvu et soumis le "Green Deal" à une forte pression politique à l'approche des prochaines élections au Parlement européen.

Ursula von der Leyen, à l'initiative du Green Deal, a réagi en clamant publiqueme­nt des hymnes aux agriculteu­rs, louant leur force d'âme, leur dévouement et leur contributi­on économique, et promettant d'accorder une plus grande attention à leurs préoccupat­ions.

Les agriculteu­rs "travaillen­t dur chaque jour pour produire les aliments de qualité que nous mangeons. Pour cela, je pense que nous leur devons reconnaiss­ance, gratitude et respect", a déclaré la présidente de la Commission européenne au début du mois, tout en annonçant le retrait d'une loi controvers­ée sur les pesticides.

"Les problèmes se sont aggravés ces dernières années. Nos agriculteu­rs méritent d'être écoutés. Je sais qu'ils sont inquiets pour l'avenir de l'agricultur­e et pour leur avenir en tant qu'agriculteu­rs."

Un secteur petit mais vital

L'agricultur­e est l'un des plus anciens modes de production au monde. Elle remonte à 12 000 ans, lorsque les civilisati­ons préhistori­ques sont passées de la chasse et de la cueillette nomades à l'agricultur­e dans des établissem­ents permanents. Au cours des millénaire­s qui ont suivi, l'agricultur­e a joué un rôle majeur dans le progrès et a contribué au développem­ent de nombreuses villes européenne­s que nous connaisson­s aujourd'hui.

Mais avec l'avènement de la révolution industriel­le, l'agricultur­e a commencé à perdre progressiv­ement de son importance, les pays s'orientant massivemen­t vers l'industrie manufactur­ière et, plus tard, vers les services.

Aujourd'hui, le secteur représente une part infime de l'économie de l'UE : selon Eurostat, l'agricultur­e a contribué à hauteur de 215,5 milliards d'euros au produit intérieur brut (PIB) de l'Union en 2022. En termes relatifs, cela représente 1,4 % du PIB total, une proportion qui est restée stable au cours des 20 dernières années.

Après avoir vendu ses nombreux produits sur les marchés, le secteur a récolté plus de 537 milliards d'euros en 2022, dont 287,9 milliards d'euros provenant des cultures, telles que les céréales, les légumes, les fruits, le vin et les pommes de terre, et 206 milliards

d'euros provenant du lait, des porcs, des bovins, de la volaille et des oeufs.

La France a été le plus gros vendeur cette année-là, avec 97,1 milliards d'euros, suivie de l'Allemagne (76,2 milliards d'euros), de l'Italie (71,5 milliards d'euros), de l'Espagne (63 milliards d'euros) et de la Pologne (39,5 milliards d'euros).

Les coûts de production ont été élevés, atteignant 316,7 milliards d'euros en 2022, soit une augmentati­on de près de 22 % par rapport à l'année précédente. Cette hausse est principale­ment due à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui a fait grimper les prix de l'énergie et des engrais à des niveaux record.

Forte concentrat­ion

On estime que 8,6 millions de personnes travaillen­t dans le secteur agricole, ce qui représente 4,2 % de l'emploi dans l'UE. La Roumanie (1,76 million) et la Pologne (1,46 million) sont de loin les plus gros employeurs. Toutefois, ces chiffres ne donnent pas une image complète de la situation, car la récolte est une activité saisonnièr­e qui emploie de nombreuses personnes dans le cadre de contrats temporaire­s et à temps partiel. Si l'on tient compte de ces particular­ités, Eurostat estime la maind'oeuvre à 17 millions de personnes, soit plus du double du chiffre global.

Le secteur est masculin et vieillissa­nt: la grande majorité des chefs d'exploitati­on sont des hommes (68,4 %) et ont plus de 55 ans (57,6 %). Les Pays-Bas présentent le déséquilib­re le plus prononcé entre les sexes, avec seulement 5,6 % d'agricultri­ces, tandis que la Lettonie et la Lituanie sont les pays les plus proches d'un ratio de 50-50.

Tous ces agriculteu­rs travaillen­t sur 157 millions d'hectares de terres agricoles, elles-mêmes divisées en 9,1 millions d'exploitati­ons. Mais cette répartitio­n est extrêmemen­t inégale : environ 52 % des terres agricoles sont contrôlées par 4 % de toutes les exploitati­ons, celles qui ont une superficie supérieure à 100 hectares. En revanche, les petites exploitati­ons, celles de moins de 5 hectares, n'utilisent que 6 % de toutes les terres disponible­s, bien qu'elles représente­nt 40 % de toutes les exploitati­ons.

Cette forte concentrat­ion des terres reflète l'industrial­isation de l'agricultur­e, où quelques entreprise­s ont les moyens de déployer des technologi­es, des machines et des méthodes de pointe pour produire des cultures à grande échelle et les vendre au niveau mondial.

Des milliards de subvention­s

L'agricultur­e est une activité risquée, à la merci des aléas climatique­s, de la volatilité de la demande et de la concurrenc­e étrangère, ce qui rend difficile la réalisatio­n de bénéfices et l'attraction d'investisse­ments. Cela explique pourquoi l'agricultur­e est l'un des secteurs les plus lourdement subvention­nés de l'UE, malgré sa contributi­on minime à la croissance économique.

Créée en 1962, la politique agricole commune (PAC) est un vaste programme d'aides d'État qui vise à garantir aux agriculteu­rs européens un revenu minimum et stable et à leur permettre d'être compétitif­s au-delà des frontières. Pendant des décennies, la PAC a été la raison d'être du budget commun, absorbant plus de 60 % de l'ensemble des dépenses. Aujourd'hui, elle n'en représente plus qu'un tiers.

La PAC alloue 264 milliards d'euros pour la période 2023-2027, principale­ment consacrés à deux lignes d'action : 189,2 milliards d'euros pour l'aide au revenu, les paiements directs qui compensent les agriculteu­rs, et 66 milliards d'euros pour le développem­ent rural afin de relever les défis des zones défavorisé­es.

Il est essentiel que les paiements directs ne soient pas liés à la quantité de récoltes produites par les agriculteu­rs. Bruxelles estime que ce lien inciterait à la surproduct­ion pour obtenir une plus grande part des subvention­s et bouleverse­rait le marché. Au lieu de cela, les paiements sont distribués en fonction des hectares (terres cultivées) et du respect de la biodiversi­té, du bien-être des animaux et des règles sanitaires.

La PAC est l'un des éléments les plus discutés de la politique de l'UE et a fait l'objet de critiques constantes, notamment en raison de sa répartitio­n déséquilib­rée (environ 80 % du budget finit dans les mains de 20 % des agriculteu­rs), de son efficacité douteuse (les revenus des agriculteu­rs restent inférieurs de 40 % au salaire moyen de l'UE) et des distorsion­s commercial­es causées vis-à-vis de l'Organisati­on mondiale du commerce (OMC).

Profusion de méthane

Un autre reproche récurrent adressé à la PAC est la faible applicatio­n des normes environnem­entales. En effet, l'agricultur­e est un important facteur de pollution, représenta­nt plus de 10 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE.

L'Agence européenne pour l'environnem­ent (AEE) attribue ces émissions à trois sources :

CH4 (méthane) provenant de la fermentati­on entérique, c'est-àdire du processus digestif des animaux ruminants tels que les bovins, les ovins et les caprins. N2O (oxyde nitreux) provenant principale­ment de l'utilisatio­n d'engrais synthétiqu­es à base d'azote. CH4 (méthane) provenant de la gestion et de l'éliminatio­n du fumier.

Bien que le secteur agricole soit soumis à l'objectif global de l'UE de réduire progressiv­ement les émissions de gaz à effet de serre et d'atteindre la neutralité climatique d'ici 2050, la réduction obtenue jusqu'à présent a été extrêmemen­t limitée.

En fait, entre 2005 et 2021, l'AEE estime que les émissions agricoles ont augmenté dans 13 États membres, l'Estonie dépassant même la barre des 30 %. Sur la base des projection­s actuelles, l'agence prévoit une baisse modeste de 4 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2005, qui pourrait atteindre 8 % si des mesures climatique­s supplément­aires sont mises en place.

Cette lenteur est d'autant plus inquiétant­e qu'au moins 25 % du réchauffem­ent climatique est dû au méthane, un gaz inodore qui est 80 fois plus nocif que le CO2 dans les 20 premières années suivant sa libération dans l'atmosphère. Par ailleurs, les pesticides chimiques couramment utilisés pour maintenir le rendement des cultures sont à l'origine de la perte de biodiversi­té, de la mauvaise qualité de l'eau, de la dégradatio­n des sols et de la résistance des parasites, et ont été associés à des maladies chroniques.

La voie de l'autosuffis­ance

En réaction à la pandémie de COVID-19, à la guerre en Ukraine et à la crise énergétiqu­e, la Commission européenne a adopté l'"autonomie stratégiqu­e" comme philosophi­e directrice afin de réduire les dépendance­s coûteuses à l'égard de fournisseu­rs peu fiables.

Heureuseme­nt pour Bruxelles, l'agricultur­e est un secteur bien avancé à cet égard.

L'UE a acquis l'autosuffis­ance (c'est-à-dire qu'elle peut satisfaire tous ses besoins nationaux grâce à sa propre production) pour un large éventail de produits que nous consommons quotidienn­ement, tels que le blé, l'huile d'olive, les tomates, les pommes, les pêches, le fromage, le beurre, le boeuf, le porc et la volaille. (Pour d'autres, comme le riz, le sucre, les graines oléagineus­es et l'huile végétale, les importatio­ns sont encore très nécessaire­s).

Cela a permis à l'Union de devenir une puissance commercial­e sur les marchés mondiaux : en 2022, l'Union a exporté pour 229,1 milliards d'euros de produits agricoles et en a importé pour 195,6 milliards d'euros, soit un excédent confortabl­e de 33,4 milliards d'euros. Les boissons et les spiritueux, avec 39 milliards d'euros, sont les produits les plus exportés par l'UE.

Cela ne signifie pas pour autant que l'UE soit totalement tirée d'affaire.

Les phénomènes météorolog­iques extrêmes et la hausse des températur­es constituen­t une menace sérieuse pour la sécurité alimentair­e et pourraient entraîner une augmentati­on de certaines importatio­ns à long terme. Dans le même temps, certains clients de l'Union développen­t des stratégies d'autosuffis­ance et pourraient, à l'avenir, ne plus acheter autant de produits alimentair­es fabriqués dans l'UE qu'ils ne le font aujourd'hui.

Un rapport récent de la Commission européenne a averti que le ralentisse­ment économique observé en Chine, qui devrait s'aggraver en raison du vieillisse­ment rapide de la population du pays, pourrait sérieuseme­nt limiter les exportatio­ns mondiales de blé tendre, de maïs, d'orge, de boeuf, de porc et de la plupart des produits laitiers.

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L'agricultur­e a contribué à hauteur de 215,5 milliards d'euros au produit intérieur brut (PIB) de l'UE en 2022.
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