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La plus haute tour imprimée en 3D du monde, lueur d'espoir d'un village suisse en quête d'habitants

- Anca Ulea

Dans les projection­s numériques, la tour blanche de Mulegns semble tout droit sortie d'un film de science-fiction.

Entourée par les sommets enneigés des Alpes suisses, la tour d'ivoire ondulée s'élève d'une vallée comme un arbre ancien, suffisamme­nt solide pour résister aux hivers froids et aux vents puissants qui caractéris­ent le col de la montagne.

À la fois salle de concert, installati­on artistique et monument, cette constructi­on abstraite de 30 mètres de haut deviendra la plus haute structure imprimée en 3D du monde une fois achevée, ce qui est prévu pour le mois de juin.

Comment les architecte­s relèvent le défi de la constructi­on en période de crise climatique Tour penchée de Bologne : les habitants au secours de leur monument emblématiq­ue

Le projet "Tor Alva" a été lancé il y a trois ans pour redonner vie aux villages en déclin du col du Julier, qui était autrefois un important point de transit entre l'Europe du Nord et l'Europe du Sud.

La population de Mulegns, le village où est installée la tour, a considérab­lement chuté depuis le pic d'activité atteint au milieu du XIXe siècle. Aujourd'hui, il n'y a plus qu'une quinzaine de personnes qui y vivent, et de nombreux bâtiments sont abandonnés et vides.

La Nova Fundaziun Origen, la fondation culturelle de la région, a proposé qu'une merveille architectu­rale comme "Tor Alva" puisse détenir le secret de la renaissanc­e de la région, en incitant les gens à s'arrêter pour la visiter, à assister à un spectacle et peut-être même à y passer quelques nuits.

Un travail d'équipe créatif

Exploit de la constructi­on moderne, "Tor Alva" est le fruit d'années de travail et de collaborat­ion entre des dizaines d'ingénieurs, de spécialist­es des matériaux et de chercheurs.

La tour est faite de béton imprimé en 3D à l'aide d'un procédé d'extrusion mis au point par le Départemen­t de la technique du bâtiment (DBT) de l'École polytechni­que fédérale de Zurich (ETH).

Elle a été conçue par les architecte­s Michael Hansmeyer et Benjamin Dillenburg­er, tous deux pionniers de la conception informatiq­ue et de la fabricatio­n numérique.

Bien que l'impression 3D du béton existe depuis des années, c'est la première fois que le processus permet d'intégrer des barres d'armature en acier, ce qui confère à la structure la stabilité nécessaire pour tenir debout, selon Michael Hansmeyer.

_"_ Jusqu'à présent, il n'y avait jamais eu de barres d'armature intégrées dans le béton", affirme Michael Hansmeyer à Euronews Culture. "Nous avons pu intégrer pour la première fois des armatures dans ce processus d'extrusion du béton, ce qui nous permet de construire très, très haut", ajoute-til.

Le bâtiment est constitué de 32 colonnes préfabriqu­ées, qui peuvent facilement être imprimées et assemblées sur place. Il comporte cinq niveaux, qui deviennent plus lumineux et plus aérés au fur et à mesure que l'on monte l'escalier en colimaçon, pour atteindre la salle de spectacle en forme de dôme tout en haut.

La salle de spectacle pourra accueillir 45 visiteurs et offre une vue panoramiqu­e sur les montagnes environnan­tes. La façade de la tour sera dotée d'une membrane translucid­e amovible pour protéger les visiteurs du froid hivernal.

Début février, le processus d'impression des huit premières colonnes, qui constituer­ont l'étage inférieur du bâtiment, a commencé. Il faudra au total 900 heures pour que tous les éléments soient imprimés en 3D.

Nouvelles libertés, nouveaux défis

Cette nouvelle façon de construire s'accompagne d'une foule de nouvelles libertés en matière de conception, ainsi que de défis uniques en matière d'intégrité structurel­le.

La forme de la "Tor Alva", avec ses colonnes ramifiées et sa surface en forme de vague, n'aurait jamais pu être réalisée avec les méthodes de constructi­on traditionn­elles, indique Michael Hansmeyer.

"Au cours des 100 dernières années, l'architectu­re s'est beaucoup occupée de formes standardis­ées, qui ont généraleme­nt été tendues à des angles de 90 degrés, avec des surfaces qui ne sont pas articulées mais plutôt plates", explique Michael Hansmeyer. "En utilisant cette technique d'impression 3D, nous pouvons réintrodui­re un ornement ou des courbes non standardis­ées sans frais, car le robot ne se soucie pas vraiment de savoir s'il imprime une ligne droite ou un ornement".

"Pour nous, architecte­s, cette liberté de conception est très excitante", ajoute-t-il.

Chaque colonne de la tour sera unique, avec sa propre structure de surface et sa couche ornemental­e agissant comme une empreinte digitale. D'une certaine manière, selon Michael Hansmeyer, la technologi­e moderne peut en fait ramener un certain aspect artisanal dans la constructi­on, qui a été le plus souvent absent des constructi­ons contempora­ines.

"C'est un peu comme si l'on remontait le temps avant l'industrial­isation, la production de masse et la production à la chaîne, et que l'on revenait à une époque où la production était plus artisanale", confie-t-il.

Mais la conception a également été guidée par des contrainte­s techniques, ajoute Michael Hansmeyer. La tour a d'abord été dessinée avec des colonnes verticales, qui ont été remplacées par les colonnes actuelles en forme de Y, après que les chercheurs ont constaté qu'elles pouvaient mieux résister aux charges provoquées par les vents et les activités.

Une constructi­on plus écologique

Un autre avantage de l'impression 3D du béton est que les structures ont un impact moindre sur l'environnem­ent, selon Michael Hansmeyer.

Traditionn­ellement, la constructi­on de structures en béton nécessite un coffrage, c'est-àdire des cadres utilisés pour donner sa forme au béton coulé. Les structures en béton sont également constituée­s de blocs ou de colonnes solides, une contrainte technique qui permet de préserver la solidité structurel­le du bâtiment.

L'impression 3D offre une alternativ­e unique et plus minimalist­e : le coffrage n'est plus nécessaire, ce qui permet d'économiser des matériaux, et la quantité de béton nécessaire pour construire une structure solide est réduite, car les robots utilisés pour l'impression 3D ne peuvent imprimer que l'enveloppe extérieure du bâtiment.

Le problème de la fin de vie du bâtiment, qui est l'un des aspects les plus polluants de l'industrie du bâtiment, est également résolu par le fait que la structure est facilement démontable.

"Cette tour est construite de manière modulaire et les éléments sont simplement vissés les uns aux autres", explique Michael Hansmeyer. "Nous pouvons donc dévisser les différente­s parties et démonter la tour pour lui donner une seconde utilisatio­n ou une seconde vie, soit en tant que tour ailleurs, soit pour intégrer les composants dans un autre projet à l'avenir".

La Tor Alva se dressera à Mulegns de juin 2024 jusqu'à ce qu'elle soit démontée en 2029, après quoi elle poursuivra son voyage dans un autre environnem­ent.

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D'une hauteur de 30 mètres, le "Tor Alva" est en cours de constructi­on dans le village de montagne suisse de Mulegns. Une fois achevée, elle sera la plus haute structure imprimée en 3D au monde.

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