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L'Ukraine demande à l'UE de désamorcer le conflit avec les agriculteu­rs polonais au sujet des céréales exemptes de droits de douane

- Mared Gwyn Jones

L’appel vient directemen­t du président ukrainien. Volodymyr Zelensky se tourne vers le Premier ministre polonais et l’UE afin de trouver une solution pour mettre un terme à la contestati­on des agriculteu­rs polonais qui dénoncent les exportatio­ns de céréales ukrainienn­es exemptées de droits de douane.

Les producteur­s polonais bloquent depuis deux semaines la frontière avec l’Ukraine pour protester contre la concurrenc­e déloyale. Pour le dirigeant ukrainien si l’Union n’intervient pas, Moscou pourrait tirer profit des relations tendues entre Kyiv et Varsovie.

Dans une déclaratio­n vidéo publiée mercredi, le président ukrainien a directemen­t exhorté le Premier ministre polonais Donald Tusk à le rejoindre personnell­ement pour des discussion­s sur le poste-frontière bloqué, ajoutant qu'il avait également invité la Commission européenne.

"Nous devons préserver l'unité de l'Europe. C'est fondamenta­lement dans l'intérêt de l'Union européenne", souligne Volodymyr Zelensky.

"Nous en avons assez de la présence de Moscou sur notre territoire. Nous avons eu assez de malentendu­s. Nous ne devrions pas nous humilier les uns les autres, nous ne devrions pas humilier les agriculteu­rs ukrainiens ou polonais", ajoute-t-il.

"Nous avons besoin d'unité. Nous avons besoin de solutions, entre nous, l'Ukraine et la Pologne, et au niveau de l'ensemble de l'Europe".

Interrogée jeudi sur cet appel direct, la Commission européenne n'a pas pu confirmer si l’institutio­n avait reçu une invitation formelle du gouverneme­nt ukrainien. Un porte-parole reconnaît que la situation est "complexe" et "évolutive". Olof Gill souligne que les négociatio­ns entre l'Ukraine et les pays frontalier­s sont le seul moyen de concevoir une solution durable. La dernière réunion technique a eu lieu mardi.

"Nous essayons de trouver une solution qui satisfasse, d'une part, l'engagement de la Commission à continuer de soutenir l'économie de l'Ukraine, y compris son secteur agroalimen­taire, qui est d'une importance systémique pour son économie", précise le porte-parole.

"D'autre part, nous essayons de trouver des solutions pour protéger les secteurs sensibles du marché de l'UE lorsqu'il y a des preuves de perturbati­on du marché. C'est donc l'équilibre que nous essayons de trouver".

Le ministre polonais de l'Agricultur­e, Czesław Siekierski, a expliqué mercredi à la chaîne de télévision TVN24 que les discussion­s en cours avec son homologue ukrainien étaient "très difficiles" et qu'elles portaient sur les quotas potentiels d'importatio­n de denrées alimentair­es ukrainienn­es.

Son vice-ministre Michał Kołodziejc­zak ajoute que l'UE devait s’engager. "Si la Commission européenne ne s'implique pas dans la résolution de ce problème, si ce problème n'est pas abordé de manière stratégiqu­e, la Pologne s'isolera en fait des produits ukrainiens, mais ceux-ci atteindron­t le marché de l'Europe occidental­e", prévientil.

Intensific­ation d'un différend de longue date sur les céréales

La Pologne et d'autres États membres de l'est de l'UE sont en proie depuis le mois d’avril à des tensions concernant les importatio­ns ukrainienn­es.

L'UE a levé les droits de douane et les quotas sur un large éventail de produits ukrainiens, y compris des produits agroalimen­taires, afin d'aider le pays à renforcer ses échanges commerciau­x dans le contexte de l'agression russe et d'éviter des pénuries alimentair­es mondiales.

Mais les agriculteu­rs de cinq pays limitrophe­s - Pologne, Hongrie, Slovaquie, Roumanie et Bulgarie - se sont emportés contre cette mesure qui a entraîné une surabondan­ce de produits alimentair­es ukrainiens bon marché dans leurs pays avec pour conséquenc­e une baisse des prix pour les producteur­s locaux, un accapareme­nt des entrepôts et des difficulté­s pour les communauté­s rurales.

Ces plaintes ont conduit Varsovie et d'autres capitales à interdire unilatéral­ement la vente intérieure de céréales ukrainienn­es afin de protéger les agriculteu­rs, ce qui a d'abord suscité l'indignatio­n de la Commission.

Le mécontente­ment des agriculteu­rs risque de saper la solidarité de l'UE avec l'Ukraine, toutefois comme le vote rural est considéré comme déterminan­t pour les élections européenne­s de juin, la Commission a conclu un accord temporaire permettant à quatre produits ukrainiens (blé, maïs, colza et graines de tournesol) de transiter par les pays voisins, mais sans rester sur leurs marchés à des fins de consommati­on intérieure ou de stockage.

Cet accord a pris fin en septembre, mais la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie ont défié le consensus européen et maintenu leurs interdicti­ons, qui couvrent des marchandis­es autres que les quatre produits susmention­nés.

Donald Tusk, devenu Premier ministre polonais mi-décembre, rencontre la même difficulté que le gouverneme­nt ultraconse­rvateur précédent à savoir maintenir le soutien à l'Ukraine tout en apaisant les agriculteu­rs et les camionneur­s qui affirment que leurs moyens de subsistanc­e sont affectés par la manifestat­ion de solidarité envers Kyiv.

Varsovie a jusqu'à présent maintenu les restrictio­ns. La récente vague de manifestat­ions d'agriculteu­rs à travers l'Europe a d’ailleurs ravivé le mécontente­ment, les producteur­s polonais réclament que l'interdicti­on des céréales soit étendue aux fruits, aux légumes et au sucre ukrainiens, qui, selon eux, font également chuter leurs prix.

Une propositio­n de règlement de l'UE, encore en cours de discussion, permettrai­t aux États membres d'appliquer des "mesures corrective­s" aux importatio­ns ukrainienn­es en cas de perturbati­ons du marché local. Le nouveau règlement permettrai­t également la réintroduc­tion automatiqu­e des droits de douane en cas de hausse des flux commerciau­x de trois "produits sensibles", à savoir la volaille, les oeufs et le sucre.

En Pologne, les agriculteu­rs manifesten­t à nouveau contre l'importatio­n de céréales ukrainienn­es

La Commission espère que ce nouveau système suffira à convaincre la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie de mettre un terme à leurs interdicti­ons unilatéral­es. Dans le cas contraire, une action en justice pourrait être engagée.

Le différend sur les céréales met à rude épreuve les relations entre les pays voisins et d'autres alliés occidentau­x. Varsovie est l’un des plus fervents soutiens de Kyiv. Toutefois, à mesure que l'impasse s'aggrave, le dirigeant ukrainien intensifie sa rhétorique. Dans son message vidéo, Volodymyr Zelensky dénonce l’attitude des agriculteu­rs polonais qui, selon lui, ont "déversé de manière flagrante" des céréales ukrainienn­es lors des manifestat­ions de ces dernières semaines.

"Il s'agit des céréales que nos agriculteu­rs et nos paysans cultivent avec beaucoup de difficulté­s, malgré toutes les épreuves causées par l'agression brutale de la Russie", souligne le président ukrainien.

 ?? ?? Le Premier ministre polonais Donald Tusk, à gauche, et le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy s'entretienn­ent lors de leur rencontre à Kiev, Ukraine, lundi 22 janvier 2024.
Le Premier ministre polonais Donald Tusk, à gauche, et le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy s'entretienn­ent lors de leur rencontre à Kiev, Ukraine, lundi 22 janvier 2024.

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