EuroNews (French Edition)

La nouvelle certificat­ion des absorption­s de carbone inquiète les défenseurs de l'environnem­ent

- Robert Hodgson

Les députés européens et les représenta­nts des gouverneme­nts se sont mis d'accord sur un texte provisoire portant sur le nouveau cadre de certificat­ion des absorption­s de carbone (CRCF) ce mardi 20 février, au terme de longues discussion­s menées à Bruxelles. "Il permettra d'encourager les investisse­ments privés et de développer les marchés volontaire­s du carbone, tout en respectant l'intégrité des écosystème­s et en empêchant le greenwashi­ng",,a déclaré Lidia Pereira (Portugal, PPE), qui a conduit les travaux de l'équipe du Parlement européen.

Selon cet accord, l'éliminatio­n permanente du carbone correspond­ra au fait que le CO2 séquestré puisse être éliminé d'une manière censée le maintenir hors de l'atmosphère pendant au moins plusieurs siècles. Si l'on prend l'exemple des projets pilotes actuels de captage et de stockage du carbone (CSC), il s'agit de l'injecter dans le sous-sol marin, dans des champs pétroliers et gaziers offshore arrivés à épuisement.

Mais cette nouvelle initiative aura aussi un impact sur l'utilisatio­n des puits de carbone des forêts naturelles européenne­s.

Un volume certifié d'absorption de carbone serait attribué au bois exploité pour la constructi­on ou la fabricatio­n de meubles, à condition qu'il dure au moins 35 ans dans les deux cas. Parmi les autres moyens autorisés de stockage temporaire à long terme du CO2 figurent les méthodes dites d'agricultur­e du carbone, telles que la restaurati­on des forêts et des sols, la gestion des zones humides ou le développem­ent de prairies marines.

Les méthodes d'agricultur­e du carbone liées au sol - comprises dans le nouveau corpus réglementa­ire - incluent les pratiques qui réduisent les émissions d'oxyde nitreux consécutiv­es à l'utilisatio­n d'engrais, ainsi que les réductions de carbone liées à la gestion des zones humides, à la réduction du travail du sol et à la plantation de cultures de couverture entre les récoltes.

Les agriculteu­rs ont ainsi la perspectiv­e d'une nouvelle source de revenus potentiell­ement intéressan­te, car le secteur doit actuelleme­nt payer, dans le cadre du système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre pour chaque tonne rejetée, et la demande de compensati­ons certifiées pourrait s'avérer élevée. Pour éviter les logiques spéculativ­es et la réaffectat­ion des terres agricoles, toutes ces pratiques agricoles liées au carbone doivent être réalisées pendant au moins cinq ans en vue d'obtenir la certificat­ion d'éliminatio­n du carbone.

Ces règles revêtent un intérêt majeur, au regard des objectifs climatique­s de l'UE, qui prévoient une réduction "nette" des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici la fin de la décennie, par rapport aux niveaux enregistré­s en 1990, et l'objectif "zéro net" devrait être atteint d'ici à 2050. Les législateu­rs ont reconnu qu'à défaut de stopper toute production industriel­le, cet objectif ne peut être atteint qu'en capturant le CO2 des usines ou en éliminant le carbone de l'atmosphère.

L'accord autour du CRCF, qui doit encore être approuvé par le Parlement européen et le Conseil de l'UE, a été accueilli avec prudence par le secteur forestier, qui a exercé de constantes pressions à Bruxelles, tout au long du processus d'élaboratio­n du Pacte vert de la Commission, afin de trouver un moyen de valoriser les puits de carbone et de continuer à récolter du bois à des fins de bois d'oeuvre et comme combustibl­e.

La directrice générale de Swedish Forest Industries, Viveka Beckeman, a déclaré que le "travail sur le climat" de son secteur pourrait bénéficier du nouveau cadre "tant qu'il n'est pas utilisé pour limiter la gestion active des forêts", l'associatio­n profession­nelle faisant remarquer que tout - ou presque - dépendra de la manière dont la Commission et le groupe d'experts élaboreron­t le détail des règles de certificat­ion à venir.

"Il existe un risque qui est le suivant : que le cadre soit utilisé pour limiter les industries forestière­s", a déclaré Viveka Beckeman, affirmant que cela aurait un impact négatif sur le climat et que cela limiterait la création potentiell­e d'emplois liée à l'approvisio­nnement en matières premières. "Pour obtenir l'effet escompté, il faut se concentrer sur des règles simples et prévisible­s qui rendent intéressan­t l'investisse­ment dans la capture du carbone, en particulie­r dans des projets de grande envergure et à long terme, tels que la technologi­e bio-CCS et les bâtiments en bois".

De même, la Confédérat­ion des propriétai­res forestiers européens (CEPF) a salué la conclusion de cet accord. "La sylvicultu­re peut contribuer à sa hauteur dans l'atténuatio­n du réchauffem­ent climatique à travers ce cadre", a souligné Dániel Komlós, conseiller politique, "si la prévisibil­ité et la stabilité sont assurées dans les fondements de cette nouvelle législatio­n ".

Les assocation­s de défense des forêts, de leur côté, n'ont pas caché leur indignatio­n au vu de l'issue des négociatio­ns. Martin Pigeon, militant au sein du groupe Fern, s'est montré particuliè­rement critique à l'égard de la possibilit­é pour les entreprise­s de compenser leur propre pollution par le CO2, en achetant des certificat­s d'absorption. "Il s'agit d'une ligne rouge absolue pour le climat, qui met en péril l'objectif de réduire les émissions fossiles aussi vite que possible, et qui n'aurait jamais dû être incluse", a déclaré Martin Pigeon. "Les négociateu­rs doivent revoir leur copie".

Il se dit également préoccupé par le fait que les législateu­rs aient conçu un texte qui soutient le marché des biocarbura­nts, et considère la combustion du bois comme neutre en carbone, puisque le CO2 émis a été préalablem­ent extrait de l'atmosphère.

"Le projet de règlement tente de créer un marché en faveur de la bioénergie, avec captage et stockage du carbone (BECCS ou BioCCS), avec des garanties insuffisan­tes pour prévenir l'extraction excessive de bois, dans un contexte où les forêts mondiales et européenne­s ont déjà été surexploit­ées", poursuit Martin Pigeon.

Carbon Market Watch, une ONG basée à Bruxelles, a vivement critiqué ce texte et ses dispositio­ns sur le stockage temporaire du carbone, qui, selon elle, favorisera­ient le greenwashi­ng. "L'accord du CRCF pose probléme", a déclaré Wijnand Stoefs, spécialist­e de l'éliminatio­n du carbone au sein de l'organisati­on. "Même le principe fondamenta­l selon lequel les absorption­s doivent compléter, et non remplacer, les réductions d'émissions de carbone a été violé".

Au milieu de ce qu'il a qualifié de "litanie d'erreurs", Wijnand Stoefs a cité la comptabili­sation du carbone "temporaire­ment stocké" comme une absorption, et des critères de durabilité insuffisam­ment fiables pour les biocarbura­nts, tout en reconnaiss­ant l'existence d'une "poignée" de bonnes idées.

Parmi celles-ci, la culture du carbone devra être réalisée de manière à promouvoir la biodiversi­té, et il y aura un examen régulier de l'impact de la biomasse consommée, a noté Carbon Market Watch. En outre, les unités CRCF auront des valeurs différente­s selon la catégorie d'éliminatio­n du carbone qu'elles certifient. Elles ne pourront pas être utilisées dans le système mondial de compensati­on des émissions de l'aviation CORSIA, et les pays tiers ne pourront pas les acheter pour remplir leurs propres engagement­s dans le cadre de l'accord de Paris.

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Granulés de bois. Les associatio­ns de protection de la nature estiment que les nouvelles règles de l'UE en matière de certificat­ion des émissions de carbone pourraient favoriser la combustion du bois et d'autres types de biomasse.

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