EuroNews (French Edition)

La guerre contre la drogue peut-elle être gagnée à Marseille ?

- Eva Kandoul

"C’était une nuit d’horreur", se souvient Laetitia Linon, assise en face de la tombe de son neveu au cimetière Saint-Pierre où elle se rend chaque dimanche. Une nuit d’été, Rayanne, pris pour cible par un gang, est abattu par 5 balles de Kalachniko­v. Il avait 14 ans et était parti acheter une bouteille de jus de fruits.

"Aujourd’hui un petit marseillai­s peut mourir comme dans un pays des cartels", déplore sa tante, membre du collectif des familles de victimes d’assassinat.

La drogue fait désormais partie du paysage quotidien au nord de Marseille. "La première chose qu’on voit quand on sort de l’école, c’est le réseau. On a perdu la guerre contre la drogue", explique Amine Kessaci.

Victime d’un règlement de compte, son frère a été retrouvé calciné dans le coffre d’une voiture en 2020. Depuis, le nombre de morts liés au trafic de drogue a explosé.

La drogue rapporte 3 milliards d’euros par an

49 personnes sont mortes, et plus d'une centaine blessées dans des fusillades liées au trafic de drogue. "C’est devenu banal à Marseille", affirme Mohamed Benmeddour, un travailleu­r social.

À l’origine du conflit sanglant, une guerre entre deux clans - DZ Mafia et Yoda - pour le contrôle de points de deal très

lucratifs. En France, la drogue rapporte 3 milliards d’euros chaque année. Un point de deal peut générer entre 25 et 90 000 € par jour.

"Cet argent tue", prévient le procureur de la République, Nicolas Bessone.

Et l’État semble impuissant face à l’ampleur du fléau qui gangrène la ville depuis les années 70. "Les gens veulent travailler. Et le seul travail ici, c’est le trafic de drogues", confirme l’éducateur Mohamed Benmeddour.

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"On a laissé le temps à des petits réseaux de grossir", ajoute l’étudiant en droit Amine Kessaci. Selon lui, l’enclavemen­t de ces territoire­s a fait empirer la situation, et les habitants en paient le prix.

Un soir en rentrant du travail, Magali Loget assiste à un événement qu’elle n’est pas prête d’oublier. "J’ai vu une voiture rentrer dans un abri de bus. La personne au volant avait une balle en pleine tête". Elle ne se sent plus en sécurité dans la cité phocéenne.

Les membres du réseau surveillen­t les allées et venues des visiteurs dans les cités. Lors d’une visite dans son ancien quartier, Steve Vidal se fait contrôler par un guetteur à l’entrée. Pour passer, il est obligé de lui laisser une pièce d’identité.

Lutter contre les trafics

Aux Marronnier­s, l'un des hauts lieux du trafic marseillai­s, un matelas et une poubelle barrent l’entrée de la cité. L’objectif ? Ralentir les voitures des forces de l’ordre ou les véhicules des gangs rivaux. "Ça les empêche de tirer directemen­t", explique Mohamed Benmeddour.

A l’intérieur du quartier, les prix de la drogue sont affichés, "comme sur une carte au restaurant", commente l’éducateur.

Pour lutter contre les racines du mal, le procureur de la République entend traquer les têtes de réseaux, parfois installés à l’étranger. "Le ministre de la Justice crée des postes de magistrats de liaison à Dubaï, là où les barons de la drogue se réfugient", affirme-t-il.

Des efforts qui commencent à porter leurs fruits.

En 2023, les autorités françaises ont saisi 7 tonnes de cannabis, 21 millions d'euros d'avoirs criminels et 107 fusils d'assaut dans la région de Marseille. Chaque jour, 5 à 10 points de vente de drogue sont démantelés dans la deuxième ville de France, selon Eddy Sid, délégué syndical de la police à Marseille.

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Devant le centre social des Flamants, un quartier du 14ème arrondisse­ment, en ce samedi hivernal, la chaise occupée par les guetteurs est vide. L’autorisati­on a dû être donnée par ceux qui contrôlent le quartier pour qu’une associatio­n fondée par un ancien du Raid puisse intervenir.

Accompagné d’une dizaine de policiers, Bruno Pomart se rend dans les quartiers chauds de France. De la boxe, du foot, de l’escalade, etc., il propose des activités sportives pour recréer un lien de confiance entre la police et la population. "Ça sert à se réappropri­er les territoire­s et à montrer qu’ils ne sont pas abandonnés", explique-t-il.

Mais les blessures laissées par la guerre de la drogue pourraient ne jamais se refermer. "Je n'accepterai jamais la mort de Rayanne", déclare Laetitia Linon. "Il avait toute la vie devant lui et je ne pardonnera­i jamais à ceux qui nous ont fait ça".

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