EuroNews (French Edition)

Frontex : l'UE risque de devenir "complice" de la mort de migrants (rapport du médiateur européen)

- Jorge Liboreiro

Les conclusion­s, publiées mercredi matin, offrent un regard plus appro‐ fondi sur la relation souvent tendue entre l'agence des frontières de l'UE et les 27 Etats membres.

L'enquête de la médiatrice a été lancée en réponse au naufrage de l'Adriana en juin 2023, lorsqu'un na‐ vire surchargé a coulé au large des côtes de Messénie, en Grèce, et a laissé plus de 600 victimes confirmées ou présumées.

L'organisme de surveillan­ce ne conclut pas que Frontex a "enfreint les règles et procédures applicable­s", mais note que sa capacité à opérer en mer est gravement compromise par sa conception, qui rend l'agence dépen‐ dante du consenteme­nt et de la bonne volonté des autorités nationales. Par conséquent, Frontex n'a qu'une marge de manoeuvre limitée pour agir de ma‐ nière indépendan­te, même dans les cas extrêmes où la vie des personnes est en danger immédiat.

"Il existe une tension évidente entre les obligation­s de Frontex en matière de droits fondamenta­ux et son devoir de soutenir les États membres dans le contrôle de la gestion des frontières", la médiatrice européenne Emily O'Reilly.

"Coopérer avec les autorités natio‐ nales lorsque l'on craint qu'elles ne remplissen­t pas leurs obligation­s en matière de recherche et de sauvetage risque de rendre l'UE complice d'ac‐ tions qui violent les droits fondamen‐ taux et coûtent des vies."

En ce qui concerne le naufrage de l'Adriana, le rapport indique que Fron‐ tex était "parfaiteme­nt au courant" des préoccupat­ions des autorités grecques et des accusation­s de refoulemen­t sys‐ tématique. Et pourtant, malgré cette connaissan­ce, les règles "ont empêché Frontex de jouer un rôle plus actif dans l'incident de l'Adriana".

La médiatrice regrette l'absence de directives internes de l'agence pour émettre des appels à l'aide, une procé‐ dure internatio­nale d'alerte en cas d'ur‐ gence vitale. Frontex n'a pas émis de relais d'appel à l'aide lorsqu'elle a dé‐ tecté l'Adriana grâce à la surveillan­ce aérienne.

Les autorités grecques n'ont pas ré‐ pondu au message de Frontex à "quatre occasions distinctes" pendant la tragé‐ die et ont refusé l'offre de l'agence d'envoyer un avion supplément­aire dans la zone, indique le rapport. (Athènes a lancé plusieurs enquêtes pour faire la lumière sur les circons‐ tances).

Sur cette base et d'autres similaires, la médiatrice recommande que Frontex "mette fin, se retire ou suspende ses ac‐ tivités" avec les Etats membres qui persistent à ne pas respecter leurs obli‐ gations en matière de recherche et de sauvetage ou à violer les droits fonda‐ mentaux.

La coopératio­n de Frontex avec la Grèce est un sujet de conversati­on brûlant depuis le naufrage de l'Adriana. Au lendemain de la tragédie, le responsabl­e des droits fondamenta­ux de l'agence a appelé à une suspension des activités, mais son directeur exécu‐ tif, Hans Leijtens, a par la suite atté‐ nué cette demande, affirmant que la dé‐ cision devait être "équilibrée".

Dans son rapport, Emily O'Reilly prévient que si Frontex continue à tra‐ vailler avec les pays en première ligne sans "changement­s significat­ifs", l'en‐ gagement de l'UE à protéger les vies humaines sera remis en question. Elle exhorte donc l'Union européenne à mo‐ difier le mandat légal de l'agence et à lui assurer un plus grand degré d'indé‐ pendance.

"Si Frontex a le devoir d'aider à sauver des vies en mer, mais que les outils pour ce faire font défaut, il s'agit clairement d'une question pour les lé‐ gislateurs de l'UE".

De plus, la médiatrice demande la mise en place d'une commission d'en‐ quête indépendan­te qui pourrait se pen‐ cher sur le grand nombre de décès en Méditerran­ée et sur la responsabi­lité des autorités nationales, de Frontex et des institutio­ns de l'UE.

Selon l'Organisati­on internatio­nale pour les migrations (OIM), le nombre de décès et de disparitio­ns de migrants en Méditerran­ée n'a cessé d'augmenter ces dernières années : 2 048 en 2021, 2 411 en 2022 et 3 041 à la fin de 2023.

En réaction au rapport, Frontex ré‐ pond qu'elle "examine activement" les suggestion­s de la médiatrice et sou‐ ligne que ses opérations s'inscrivent "dans le cadre des lois applicable­s".

"Notre agence s'en tient strictemen­t à son mandat, qui n'inclut pas la coor‐ dination des efforts de sauvetage - une responsabi­lité qui incombe aux centres nationaux de coordinati­on des se‐ cours", ajoute l'agence dans un com‐ muniqué. "Dans tous les cas où nos moyens détectent des situations de dé‐ tresse potentiell­es, nous alertons rapi‐ dement les autorités compétente­s".

Pour sa part, la Commission euro‐ péenne, qui est également citée dans le rapport, annonce qu'elle répondrait à Emily O'Reilly en temps voulu, mais n'a pas confirmé si elle soutiendra­it des changement­s dans le mandat de l'agence. Un porte-parole appelle les États membres à enquêter sur les décès de migrants de manière "rapide, indé‐ pendante et approfondi­e".

"Nous ne voulons pas que de telles tragédies se produisent", poursuit le porte-parole.

Frontex estime avoir secouru 43 000 personnes en mer et renvoyé 39 000 migrants dans leur pays d'origine au cours de 24 opérations en 2023, an‐ née qui a vu "les niveaux les plus éle‐ vés de migration irrégulièr­e depuis 2016."

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Frontex manque d'indépendan­ce pour réagir aux situations d'urgence en Méditerran­ée, prévient le Médiateur dans son nouveau rapport.

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