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Accusation­s d'antisémiti­sme, piratages et accusation­s criminelle­s : la controvers­e de la Berlinale expliquée

- David Mouriquand

Le festival du film de Berlin se targue d'être un festival politiquem­ent actif, mais ce n'était pas le but recherché... La fin de la 74e édition de cette année a dégénéré au-delà de toute attente.

La Berlinale a annoncé, lundi 26 février, qu'elle avait engagé des pour‐ suites pénales à la suite du piratage de sa section Panorama sur Instagram, qui a été utilisé pour publier des messages "antisémite­s".

Dans un communiqué, le festival berlinois a déclaré que le canal Insta‐ gram de sa section Panorama avait été brièvement piraté pendant le week-end, après la remise des prix, et que "des messages antisémite­s sous forme d'images et de textes sur la guerre au Moyen-Orient avec le logo de la Berli‐ nale avaient été postés sur le canal".

Les infographi­es postées par les pi‐ rates comprenaie­nt des déclaratio­ns telles que "Un génocide est un géno‐ cide. Nous sommes tous complices" et que les adeptes doivent "se débarras‐ ser de l'idée que la culpabilit­é alle‐ mande nous absout de l'histoire de notre pays ou de nos crimes actuels". Ils ont également appelé à un "cessezle-feu immédiat et permanent" à Gaza.

L'un des messages se lit comme suit : "de notre passé nazi non résolu à notre présent génocidair­e, nous avons toujours été du mauvais côté de l'his‐ toire. Mais il n'est pas trop tard pour changer notre avenir".

Les organisate­urs ont affirmé que ces déclaratio­ns n'émanaient pas de la Berlinale et ne représenta­ient pas la po‐ sition du festival sur la guerre IsraëlGaza.

"La chaîne Instagram de la section Berlinale Panorama a été brièvement piratée et des posts images-textes anti‐ sémites sur la guerre au Moyen-Orient avec le logo de la Berlinale ont été postés sur la chaîne. Ces déclaratio­ns ne proviennen­t pas du festival et ne re‐ présentent pas la position du festival."

Le festival a ajouté : "la Berlinale condamne cet acte criminel dans les termes les plus forts possibles, a sup‐ primé les messages et a lancé une en‐ quête. En outre, la Berlinale a porté plainte contre des inconnus. L'Office pénal de l'État (LKA) a entamé une en‐ quête".

Après une édition politiquem­ent chargée, les organisate­urs du festival ont également tenté de distancier la di‐ rection de la Berlinale des positions prises par certains des lauréats.

Une cérémonie de remise des prix controvers­ée

Certains cinéastes ont profité de la cé‐ rémonie de clôture pour faire des dé‐ clarations.

Mati Diop, lauréate de l'Ours d'or pour son documentai­re "Dahomey", a fait une déclaratio­n politique directe en acceptant son prix : _"je suis aux côtés de la Palestine",_a-t-elle affirmé.

Avant son discours de remercie‐ ment, le cinéaste américain, Ben Rus‐ sell, qui a reçu un prix pour son film "Direct Action", réalisé par la section Encounters, a été vu portant un keffieh, signe de solidarité avec les Palesti‐ niens.

Par ailleurs, la cinéaste américaine, Eliza Hittman, a profité de son passage sur scène pour appeler à un cessez-lefeu à Gaza.

"En tant que réalisatri­ce juive ayant remporté l'Ours d'argent en 2020, il est important pour moi d'être ici", a expliqué Eliza Hittman. "Il n'y a pas de guerre juste, et plus les gens es‐ saient de se convaincre qu'il y a une guerre juste, plus ils commettent un acte grotesque d'auto-illusion."

L'un des discours les plus chargés de la soirée a été prononcé par Basel Adra et Yuval Abraham, un duo de réa‐ lisateurs palestino-israéliens à l'origine du documentai­re "No Other Land", lauréat du prix de la Berlinale.

Dans son discours de remercie‐ ment, Basel Adra a confié qu'il était difficile de faire la fête alors que ses compatriot­es palestinie­ns de Gaza étaient "massacrés". Il a appelé l'Alle‐ magne à "respecter les appels de l'ONU et à cesser d'envoyer des armes à Israël".

Abraham est ensuite monté sur scène : "nous nous tenons devant vous. Nous avons le même âge. Je suis israé‐ lien, Basel est palestinie­n. Et dans deux jours, nous retournero­ns sur une terre où nous ne sommes pas égaux", a-t-il dit.

Il poursuit : "je suis sous la loi ci‐ vile, Basel est sous la loi militaire. Nous vivons à 30 minutes l'un de l'autre, mais j'ai le droit de vote. Basel n'a pas le droit de vote. Je suis libre de me déplacer où je veux dans ce pays. Basel, comme des millions de Palesti‐ niens, est enfermé dans la Cisjordani­e occupée. Cette situation d'apartheid entre nous, cette inégalité, doit cesser".

Après le discours d'acceptatio­n de "No Other Land", Abraham a com‐ mencé à recevoir des menaces de mort.

Le maire de Berlin réagit

Les discours d'Yuval Abraham et de Basel Adra ont été critiqués par le maire de Berlin, Kai Wegner, du parti de l'Union chrétienne-démocrate.

Sur X, il a écrit : "l'antisémiti­sme n'a pas sa place à Berlin, et cela vaut aussi pour la scène artistique. J'attends de la nouvelle direction de la Berlinale qu'elle veille à ce que de tels incidents ne se reproduise­nt plus".

Kai Wegner n'a pas précisé quel as‐ pect de la cérémonie il contestait, mais il a ajouté : "Berlin a une position claire en matière de liberté. Berlin est résolument du côté d'Israël. Cela ne fait aucun doute. Le Hamas porte l'en‐ tière responsabi­lité des souffrance­s profondes en Israël et dans la bande de Gaza. Lui seul a le pouvoir de mettre fin à ces souffrance­s en libérant tous les otages et en déposant les armes. Il n'y a pas de place pour la relativisa‐ tion ici".

Les organisate­urs du festival de

Berlin ont insisté sur le fait que les "déclaratio­ns parfois partiales et mili‐ tantes des lauréats étaient l'expression d'opinions personnell­es".

"Elles ne reflètent en aucun cas la position du festival", ont-ils précisé, se distançant une fois de plus des re‐ marques controvers­ées en faveur de la Palestine.

"Nous comprenons l'indignatio­n suscitée par le fait que les déclaratio­ns de certains lauréats ont été perçues comme trop partiales et, dans certains cas, inappropri­ées", a écrit Mariëtte Rissenbeek, directrice exécutive sor‐ tante de la Berlinale, dans son propre communiqué.

"Dans la période précédant le festi‐ val et pendant celui-ci, nous avons in‐ diqué très clairement le point de vue de la Berlinale sur la guerre au MoyenOrien­t et nous avons précisé que nous ne partagions pas les positions unilaté‐ rales", a-t-elle encore précisé. "Toute‐ fois, la Berlinale se considère, aujour‐ d'hui comme hier, comme une plate‐ forme de dialogue ouvert entre les cultures et les pays. Nous devons donc également tolérer les opinions et les déclaratio­ns qui contredise­nt nos propres opinions, tant que ces déclara‐ tions ne sont pas discrimina­toires à l'égard de personnes ou de groupes de personnes d'une manière raciste ou discrimina­toire similaire ou qu'elles ne dépassent pas les limites légales".

La Berlinale de cette année était la dernière édition dirigée par Carlo Cha‐ trian et Mariëtte Rissenbeek.

La prochaine édition sera dirigée par Tricia Tuttle, ancienne directrice du Festival du film de Londres, qui était présente lors de la cérémonie de clô‐ ture.

Une mauvaise image pour la Berlinale

La controvers­e soulève d'importante­s questions sur la liberté d'expression et sur la manière dont un festival qui pré‐ tend célébrer un dialogue ouvert peut prendre ses distances par rapport aux opinions des artistes qu'il a invités en premier lieu.

Ces artistes se sont exprimés pacifi‐ quement et il est pour le moins dépri‐ mant d'entendre le maire de Berlin qua‐ lifier d'" antisémite­s" les expression­s de solidarité et les demandes de cessez-lefeu des lauréats.

"Une enquête sur quoi maintenant ? Mon Dieu, nous sommes en plein dans le miroir de la folie".

"Un certain nombre d'artistes, qui ne sont pas employés par le festival et ne lui sont pas redevables, ont exprimé pacifiquem­ent leur point de vue sur la Palestine. Qu'y a-t-il à enquêter ? C'est épouvantab­le."

"Embarras pour un festival autre‐ fois dynamique"

"Lâche et pathétique. Si la Berli‐ nale ne peut pas défendre haut et fort l'opposition de ses cinéastes à un géno‐ cide en cours, alors quel est l'intérêt de la Berlinale ?"

"80 ans plus tard, vous êtes tou‐ jours un festival nazi."

"Honte à vous. L'année prochaine, je penserai à boycotter activement ce festival".

Ces incidents de fin de festival ont non seulement provoqué la colère des profession­nels, des critiques et des fans du festival de cinéma berlinois, mais ils ont également mis en lumière le rôle et les responsabi­lités des institutio­ns culturelle­s lorsqu'il s'agit de traiter de questions à connotatio­n politique.

Les événements culturels mon‐ diaux, en particulie­r ceux qui favo‐ risent un espace de débat politique tout en étant un espace d'expression artis‐ tique, doivent faire mieux. Alors que l'enquête sur l'affichage non autorisé se poursuit, la Berlinale devra faire face aux conséquenc­es plus larges pour sa réputation, qui est désormais ternie.

Ce n'est pas une bonne nouvelle pour un festival qui cherche à mainte‐ nir son rôle non seulement dans la communauté cinématogr­aphique inter‐ nationale, mais aussi en tant que bas‐ tion de la liberté d'expression.

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Extrait de la page piratée du Panorama de la Berlinale - La controvers­e du Festival du film de Berlin 2024 expliquée

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