EuroNews (French Edition)

Les demandes des agriculteu­rs nécessiten­t des solutions rationnell­es pour "surmonter les préjugés" à l'égard de l'Ukraine, selon Kyiv

- Shona Murray

Un "dialogue très constructi­f". C’est ainsi que le vice-ministre ukrainien de l’Economie, Taras Kachka, décrit les discussion­s menées avec la Pologne pour résoudre le différend sur les importatio­ns de céréales. Mais il met en garde contre le risque de faire de l'Ukraine un bouc émissaire pour des problèmes plus larges que le secteur agricole.

Taras Kachka précise qu'à l'heure où l'Union européenne entre dans une période marquée par de nombreuses manifestat­ions, elle doit maintenir son approche rationnell­e pour résoudre les problèmes sans céder à l'" émotion" et à la pression politique.

"Ce qui est important pour nous, c'est de séparer la question de la frontière", explique le vice-ministre. Il ajoute que le blocage par les agriculteu­rs polonais des points de passage vers l'Ukraine pourrait empêcher l'importatio­n de fourniture­s essentiell­es, notamment de médicament­s et de carburant.

"C'est pourquoi nous voulons que la frontière soit débloquée, et c'est pourquoi nous disons que nous prenons très au sérieux les demandes des agriculteu­rs polonais. Nous voulons dialoguer sur chaque demande particuliè­re pour chaque produit particulie­r. Nous voulons l'analyser et, si nécessaire, prendre des mesures de contrôle", explique-t-il.

"Mais nous avons besoin que la frontière soit débloquée parce que c'est une question de survie pour l'Ukraine", souligne Taras Kachka. La Pologne est "plus qu'un simple partenaire stratégiqu­e", c’est un "partenaire pour la survie de l'Ukraine".

Le différend sur les importatio­ns de produits agroalimen­taires ukrainiens, qui, selon les agriculteu­rs polonais, inondent leurs marchés et font baisser leurs prix, s'est intensifié ces dernières semaines.

Les tentatives de médiation de l'UE - avec un accord temporaire permettant aux céréales ukrainienn­es de transiter par les pays voisins sans rester sur ces marchés - ont été balayées par les interdicti­ons unilatéral­es de la Pologne, de la Hongrie et de la Slovaquie sur certaines importatio­ns de produits alimentair­es ukrainiens.

Le mécontente­ment croissant des agriculteu­rs de l'est de l'Europe fait craindre que la solidarité de l'UE avec l'Ukraine ne soit mise à mal à un moment où Kyiv dépend fortement de ses soutiens occidentau­x.

Le problème doit être "rationalis­é"

Taras Kachka juge que les plaintes du secteur agricole devraient être rationalis­ées en fonction de la réalité des flux commerciau­x.

Les exportatio­ns de l'Ukraine vers la Pologne ont totalisé 1,6 milliard de dollars (1,5 milliard d'euros) au premier trimestre 2023, explique-t-il, tandis que les importatio­ns de la Pologne vers l'Ukraine se sont élevées à 106 milliards de dollars (97 milliards d'euros), soit dix fois plus.

Il affirme que les agriculteu­rs se concentrai­ent parfois sur des produits ukrainiens qui ne nuisent pas nécessaire­ment à leurs marchés, comme la volaille, dont l'Ukraine est un importateu­r net.

"Nous exportons (vers) la Pologne seulement 4 000 tonnes (de volaille) et nous achetons à la Pologne 40 000 tonnes de volaille, nous sommes donc un importateu­r net de volaille de la Pologne", assure Taras Kachka. "Ce paradoxe figure dans les statistiqu­es, mais pas dans l'esprit des agriculteu­rs qui pensent que l'Ukraine est une source de problèmes pour l'agricultur­e polonaise".

Il souligne également que les importatio­ns de céréales de l'UE en provenance de Russie et du Belarus - en particulie­r le blé - ont bondi depuis 2022. Des données récentes d'Eurostat suggèrent que la Pologne a importé quelque 12 700 tonnes de céréales russes en 2023, contre 6 100 tonnes en 2022.

"Les agriculteu­rs polonais sont en concurrenc­e avec le blé russe sur les marchés d'autres États membres de l'Union européenne, et c'est là le principal problème", insiste Taras Kachka.

"Le gouverneme­nt polonais partage notre point de vue selon lequel les importatio­ns agricoles russes devraient être interdites. Donc, si cela pose un problème du point de vue des sanctions, cela devrait se faire par des mesures commercial­es", poursuit-il.

Taras Kachka appelle l'Union européenne à ne pas abandonner la raison alors qu'elle est soumise à une énorme pression de la part des agriculteu­rs.

"Nous vivons une nouvelle ère politique au sein de l'UE, marquée par de nombreuses manifestat­ions et émotions. C'est quelque chose de nouveau que nous devons apprendre à gérer, à la fois au sein de l'UE et pour l'Ukraine, car cela aura un impact sur notre processus d'adhésion".

En décembre dernier, les États membres de l'UE ont autorisé l'ouverture de négociatio­ns d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie voisine.

"Si ce problème est abordé selon la méthode européenne classique d'analyse, de chiffres, de décisions ennuyeuses, d'images, il peut être facilement résolu", expliquet-il, ajoutant qu'il avait confiance dans les institutio­ns de l'UE en tant qu'intermédia­ire honnête lorsqu'il y a des "intérêts contradict­oires".

Il appelle l'UE à adopter la même approche fondée sur la raison à propos du Pacte vert, le projet politique de l’UE pour lutter contre le changement climatique. Ce programme est au centre de la colère des agriculteu­rs car ils craignent que la prochaine Commission, issue des élections européenne­s de juin, ne revienne sur ses engagement­s en matière de protection de l'environnem­ent.

"L'agricultur­e devrait faire partie de l'agenda climatique. Il devrait y avoir quelques ajustement­s, et au lieu de faire marche arrière comme le demandent les agriculteu­rs (...) les intérêts des agriculteu­rs peuvent être équilibrés", estime Taras Kachka, ajoutant que le secteur agricole ukrainien était bien préparé pour s'adapter à l'agenda climatique de l'UE.

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Taras Kachka, vice-ministre ukrainien de l'économie et représenta­nt du commerce, s'adresse à Euronews le 4 mars 2024.

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