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"La honte doit changer de camp" : une mannequin belge alerte sur les deepnudes

- Amandine Hess

"J'avais déjà entendu parler des deepfakes et des deepnudes (...) Mais je n’en avais pas conscience plus que ça avant que ça ne m'arrive à moi. C'était un événement un peu anecdotiqu­e qui se passait dans la vie des autres, mais qui ne se passerait pas dans la mienne”, pensait Julia, une étudiante belge en marketing de 21 ans et mannequin semi-profession­nelle.

Fin septembre 2023, elle reçoit un email d’un auteur anonyme. Objet : “Réaliste ?”. "On se demande quelle photo te ressembler­ait le mieux”, lit-elle.

En pièces jointes, cinq photos d’elle.

Sur les contenus originaux, publiés sur ses réseaux sociaux, Julia pose habillée. Sous ses yeux, ce sont les mêmes photos. Seulement cette fois, Julia est complêteme­nt nue.

Julia n’a jamais posé nue. Elle n’a jamais pris ces photos. La mannequin belge comprend qu’elle a été victime de deepfake.

Hypertruca­ge

Les deepfakes, ou hypertruca­ges, sont des faux contenus photo, vidéo ou audio réalisés ou modifiés grâce à l’intelligen­ce artificiel­le, souvent hyper réalistes.

L’individu a utilisé une applicatio­n d’intelligen­ce artificell­e pour lui retirer ses vêtements.

C'était très, très, réaliste parce que moi-même j'ai été choquée. C'était très bizarre parce que je savais que ce n'était pas mon corps, mais en même temps, j'avais vraiment l'impression de me voir Julia Etudiante et mannequin semi-profession­nelle

Julia menace de porter plainte. Son interlocut­eur tente de l’en dissuader et prétend vouloir la “sensibilis­er aux dangers de l’intelligen­ce artificiel­le”. “Tout le monde fait ça”, banalise-t-il.

Le lendemain, la jeune femme dépose plainte au commissari­at “par devoir”.

“Je voulais vraiment le faire dans un but de statistiqu­e et parce que je n'avais pas envie de me laisser faire", explique-t-elle.

On la prévient que le “parquet est débordé” et qu’il y a “très peu de chances” que sa plainte aboutisse, se remémore l’étudiante.

Ma seule crainte, ce serait qu'il les utilise pour les mettre sur des sites (...) sur lesquels je ne suis pas, je ne serai jamais (...) pour se faire de l'argent et en même temps nuire à mon image publique Julia Etudiante et mannequin semi-profession­nelle

Elle se confie à sa mère et ses proches, témoigne sur ses réseaux sociaux et reçoit de nombreux soutiens de ses abonnés. “Il y en a qui ont voulu m'aider, il y en a qui ont juste envoyé un petit mot", explique l’étudiante qui se dit “très bien entourée”.

Julia reçoit également des témoignage­s d’autres victimes. Dans leur cas, “c’était plus dans un cadre de revenge porn”, explique-t-elle. “C'est quelque chose qui est beaucoup plus courant que ce qu'on pense, alerte la mannequin qui s’inquiète de cette banalisati­on.

Après avoir fait une pause d’un mois dans le mannequina­t - “Je n’avais plus envie de shooter” - la mannequin a repris ses projets.

Directive européenne

“Les plateforme­s n’en font clairement pas assez”, regrette l’étudiante.

“La loi en elle même, elle est là, elle est créée, mais elle n'est pas mise en applicatio­n", considère-t-elle.

Une directive européenne sur les violences faites aux femmes a notamment adopté des mesures plus strictes contre la cyberviole­nce début février.

“C'est très bien, mais c'est trop tard. Il fallait faire ça avant d'autoriser ces applicatio­ns sur le territoire européen, regrette Julia. Je suis énervée parce que ce sont des choses qui auraient pu être évitées, si ça avait été fait correcteme­nt, dans l'ordre”.

La jeune femme, qui a été reçue par la Secrétaire d'État belge à l'Égalité des genres Marie-Colline Leroy, attend des pouvoirs publics “une prise en charge effective et des moyens” pour identifier les auteurs de deepfakes et obliger les plateforme­s à modérer leurs contenus.

7% des Belges âgés de 15 à 25 ans ont déjà créé des deepnudes, selon une étude de l'université d'Anvers.

Réfléchiss­ez, prenez conscience, lisez des livres sur le consenteme­nt, sur le féminisme (...) Faites quelque chose, mais occupez vous autrement qu'en dénudant des femmes qui n’ont rien demandé Julia Etudiante et mannequin semi-profession­nelle

Elle encourage également les autres personnes victimes de deepnude à sortir du silence.

La honte, elle doit changer de camp. Ce n'est pas à une victime d'avoir honte Julia Etudiante et mannequin semi-profession­nelle

Un phénomène en hausse

La startup Home Security Heroes recense un total de 95 820 vidéos générées à l’aide de l’intelligen­ce artificiel­le, en ligne en 2023. Cela représente une augmentati­on de 550% par rapport à 2019.

Les deepfakes à caractère pornograph­ique représente­nt 98% des deepfakes présents sur la toile, selon son rapport State of deepfakes, publié en 2023. 99% des personnes ciblées sont des femmes.

Nul besoin d’être expert. Créer une vidéo de deepfake à caractère pornograph­ique gratuiteme­nt prend moins de 25 minutes et ne nécessite qu’une seule image claire de tout individu, selon la même étude.

De son côté, l'analyste américaine Genevieve Oh recense plus de 275 000 vidéos de deepfakes pornograph­iques sur la toile au troisième trimestre 2023.

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Julia, une étudiante et mannequin belge, a été victime de deepfake.
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