EuroNews (French Edition)

La politique unique d'accueil des réfugiés en Ouganda est menacée

- Vincenzo Genovese

Les yeux de Damaria Chimpaye s'illuminent lorsque ses enfants apparaisse­nt au loin.

À 41 ans, elle a accouché neuf fois, perdu sa maison et son mari, et ne sait pas où se trouvent trois de ses enfants. Elle est originaire de la République démocratiq­ue du Congo, mais vit en Ouganda depuis près de deux ans.

Ce pays d'Afrique de l'Est accueille 1,6 million de réfugiés, soit le plus grand nombre de réfugiés par rapport à la population en Afrique et le troisième au monde. Son taux de 3,6 % est plus de deux fois supérieur à celui de l'Union européenne.

Ces réfugiés proviennen­t principale­ment du Sud-Soudan et de la République démocratiq­ue du Congo, deux pays voisins en proie à la violence. 80% d'entre eux sont des femmes et des enfants, qui ont souvent fui après que leurs villages ont été attaqués et que leurs maris et leurs pères ont été tués.

C'est le cas de Damaria. Après s'être enfuie, elle a vécu deux ans en tant que personne déplacée à l'intérieur du pays dans d'autres villages congolais. Une nouvelle attaque armée l'a poussée à se déplacer vers l'est, avec un petit enfant dans les bras et cinq autres personnes autour d'elle, jusqu'à ce qu'elle atteigne la frontière avec l'Ouganda.

Aujourd'hui, Damaria vit dans le camp de réfugiés de Nakivale, l'un des plus grands et des plus anciens du continent : une zone de 185 kilomètres carrés abritant 185 000 personnes dans le sudouest de l'Ouganda. Son village lui manque, ainsi que sa mère qui a choisi de rester au pays, mais elle n'y retournera jamais.

L'heure du deuil en Ouganda après le massacre perpétré dans un lycée Expulsion des migrants vers le Rwanda : Sunak obtient le soutien de sa majorité

L'exception ougandaise

L'Ouganda applique l'une des politiques d'accueil des réfugiés les plus originales d'Afrique, voire du monde. Il laisse entrer pratiqueme­nt tout le monde, accordant une protection immédiate aux personnes originaire­s de régions déchirées par la guerre dans le cadre d'un système connu sous le nom de "prima facie".

"Ils sont reconnus comme réfugiés aux points d'accès le long des frontières et sont ensuite transférés dans des installati­ons telles que celle de Nakivale", a déclaré Claire Birungi Agaba du Conseil norvégien pour les réfugiés, l'une des organisati­ons impliquées dans l'accueil des réfugiés, à Euronews la semaine dernière lors d'un voyage dans le pays.

Sa politique est considérée comme très progressis­te, malgré les mauvais résultats du pays en matière d'indicateur­s de démocratie : il obtient un score de 4,55 sur 10 dans le dernier Democracy Index compilé par Our World in Data et seulement 13 sur 100 en matière de respect des minorités, selon le dernier LGBT Equality Index.

Pour maintenir cette politique, le gouverneme­nt ougandais - qui consacre 40% de son budget annuel au remboursem­ent des intérêts de sa dette - s'appuie sur l'aide humanitair­e des parte

naires internatio­naux, qui apportent un soutien matériel et financent des infrastruc­tures dans les 14 camps de réfugiés du pays.

Les nombreuses organisati­ons humanitair­es - financées principale­ment par l'UE, les États-Unis et les Nations unies - remplacent les autorités nationales dans la fourniture de nourriture, d'éducation et de soins médicaux. Les écoles et les hôpitaux, construits dans les zones rurales reculées où se trouvent les camps, sont également utilisés par la population locale.

Dans les campements, les plus démunis reçoivent une maison, les autres une petite somme pour acheter les matériaux nécessaire­s à sa constructi­on. Chaque réfugié a droit à un petit lopin de terre à cultiver et à un soutien financier et en nourriture, qui dépend toutefois des fonds disponible­s : en 2020, 100 % des besoins alimentair­es étaient couverts, précise le HCR, ce qui n'est plus le cas.

Par exemple, les habitants de Nakivale sont divisés en trois catégories. Les plus vulnérable­s reçoivent 24 000 shillings ougandais par mois (5,6 €), les moins vulnérable­s 12 000, et ceux qui sont considérés comme capables de se débrouille­r sans, ne reçoivent rien.

Tous les six mois, les besoins sont réévalués : la plupart tentent de se ranger dans la première catégorie, par exemple en se présentant comme parents isolés plutôt que comme familles.

La faim dans les camps de réfugiés

L'aide en espèces est remplacée par une aide alimentair­e : trois kilos de riz et un demi-kilo de haricots par personne et par mois. Mais cela suffit à peine pour une quinzaine de jours, a expliqué Damaria à Euronews. Le petit lopin de terre qu'elle cultive lui permet d'obtenir deux récoltes d'environ 10 kilos de haricots par an.

Il est impossible de nourrir une famille élargie : en plus de ses six enfants biologique­s, elle en a deux autres sous son toit, âgés de 17 et 18 ans, que Damaria a accepté d'élever dans le cadre d'un projet d'accueil volontaire dans le camp de Nakivale.

Pour réunir le déjeuner et le dîner, elle et ses deux filles aînées exercent un travail de jour dans d'autres domaines. Le peu de nourriture que la famille mange est toujours à moitié cuit : les feuilles de maïs utilisées pour faire le feu brûlent trop vite.

Le taux de malnutriti­on à Nakivale est de 2,6 %, un seuil qualifié d'"acceptable" par Justin Okello du Nakivale Health Centre III, la principale clinique de la région.

La conséquenc­e est que ces enfants sont beaucoup plus susceptibl­es de contracter des infections et d'en mourir, alors que chez leurs pairs suffisamme­nt nourris, ces infections seraient facilement traitables, parfois sans même avoir recours à des médicament­s", a ajouté M. Okello.

La croissance de ceux qui survivent est néanmoins affectée. Le taux de retard de croissance chez les enfants est de 40 %, c'est-àdire que quatre enfants sur dix sont plus petits et pèsent moins que ce qu'ils devraient pour leur âge, ce qui a des conséquenc­es sur leur développem­ent physique et mental.

"Les mille premiers jours de la vie d'un enfant sont une période cruciale. Tout ce qui se passe mal pendant cette période risque d'avoir des conséquenc­es à vie : un enfant maltraité peut facilement devenir un garçon incapable de terminer l'école et de trouver un emploi".

À Nakivale, un programme spécial appelé "Nutricash" alloue 48 000 shillings par mois (11 euros) aux femmes enceintes ou ayant des enfants de moins de deux ans, précisémen­t pour lutter contre la malnutriti­on infantile. Mais comme l'explique le Dr Okello, cet argent est utilisé par les mères pour nourrir toute la famille, perdant ainsi sa raison d'être.

Outre la faim, les maladies, l'abandon scolaire et l'absence de perspectiv­es sont les fléaux qui frappent les mineurs, qui représente­nt 57% du nombre total de réfugiés, selon les statistiqu­es nationales.

Nigéria : Près de 160 personnes tuées dans des attaques dans le centre du pays par des groupes armés UE-Niger: la coopératio­n dans la lutte contre l'immigratio­n clandestin­e en danger

Un modèle en péril

La croissance numérique des colonies de réfugiés remet en cause la résilience du modèle ougandais. Huit sur quatorze dépassent les 100 000 habitants. À Nakivale, par exemple, il y a de nouveaux arrivants chaque semaine.

Rien qu'au cours des deux dernières années, 225 000 réfugiés sont arrivés en Ouganda. La dernière crise migratoire a coïncidé avec la guerre civile qui a éclaté au Soudan en 2023 et plus d'un quart des réfugiés enregistré­s en 2024 provenaien­t de ce pays.

A cela s'ajoute le taux de natalité élevé dans les camps de réfugiés, qui contribue à les rendre de plus en plus surpeuplés : à Nakivale, 400 enfants naissent chaque semaine.

Dans un contexte de besoins croissants, minue.

"En 2018, environ 170 dollars (155 euros) par an étaient consacrés à chaque réfugié, aujourd'hui, seulement 85 dollars ( 77 euros)", indique Bruno Rotival, responsabl­e pour l'Ouganda à ECHO, le service d'aide humanitair­e de la Commission européenne.

L'UE a alloué 27,5 millions d'euros pour 2024, soit une légère baisse par rapport aux 30,5 millions d'euros de l'année précédente. "Toutes les opérations dans le monde souffrent d'un déficit de financemen­t. Les situations de crise plus aiguës reçoivent plus de fonds, alors que l'Ouganda, qui est un pays plus stabilisé, souffre peut-être un peu plus de la fourniture de l'aide humanitair­e."

L'Ouganda, a indiqué M. Rotival, a été identifié par l'UE comme un pays dans lequel commencer la transition d'un système basé sur l'aide humanitair­e à un système basé sur la coopératio­n au développem­ent.

La guerre en Ukraine a compliqué les plans, avec une réduction de 20 % du budget humanitair­e global de l'UE.

"Mais nous sommes convaincus que nous pourrons maintenir tout notre soutien", a ajouté M. Rotival. l'aide humanitair­e di

 ?? ?? L'Ouganda a l'une des politiques les plus accueillan­tes au monde à l'égard des réfugiés.
L'Ouganda a l'une des politiques les plus accueillan­tes au monde à l'égard des réfugiés.
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France