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Aux racines de la guerre en Ukraine, l'annexion de la Crimée par la Russie il y a 10 ans

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Le 18 mars 2014, Vladimir Poutine signe le décret qui officialis­e l'annexion - illégale en droit internatio­nal - de la Crimée par la Russie. La saisie rapide et sans effusion de sang de la péninsule qui abrite la flotte russe de la mer Noire et constitue un lieu de vacances très prisé, a déclenché une vague de nationalis­me. "La Crimée est à nous" est devenu un slogan populaire en Russie.

Maintenant que Vladimir Poutine a été élu président pour un nouveau mandat de six ans, il est déterminé à étendre ses gains en Ukraine, galvanisé par les succès de la Russie sur le champ de bataille et le déclin du soutien occidental à Kyiv.

Vladimir Poutine est resté vague quant à la part de l'Ukraine qu'il souhaite obtenir, alors que les combats entrent dans leur troisième année au prix de nombreuses vies humaines dans les deux camps, mais certains de ses principaux lieutenant­s parlent toujours de s'emparer de Kyiv et de couper l'accès de l'Ukraine à la mer Noire.

Le plus grand conflit en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale a fait monter les tensions entre Moscou et l'Occident à des niveaux rarement atteints, même pendant les moments les plus froids de la guerre froide.

Passé russe

Lorsqu'il s'empare de la Crimée en 2014, Vladimir Poutine déclare alors avoir persuadé les dirigeants occidentau­x de reculer en leur rappelant les capacités nucléaires de Moscou. Une menace souvent brandie, notamment après le début de son invasion à grande échelle de l'Ukraine, dans son discours sur l'état de la nation du mois dernier, lorsqu'il a déclaré que l'Occident risquait une guerre nucléaire s'il s'impliquait davantage en Ukraine, et à nouveau mercredi, lorsqu'il a déclaré qu'il utiliserai­t cet arsenal si la souveraine­té de la Russie était menacée.

Le chef du Kremlin présente régulièrem­ent le conflit en Ukraine comme un combat existentie­l de la Russie contre l'Occident. Un argument lancé il y a dix ans lorsqu'il déclare que Moscou doit alors protéger les russophone­s de Crimée et récupérer son territoire.

Lorsque le président ukrainien, favorable au Kremlin, a été renversé en 2014 par des manifestat­ions de masse que Moscou a qualifiées de coup d'État fomenté par les États-Unis, M. Poutine a réagi en envoyant des troupes envahir la Crimée. Lors d'un simulacre de vote, des députés élisent comme Premier ministre Sergueï Axionov, leader d'un microparti favorable à Moscou. Ce dernier demande son rattacheme­nt à la Russie. Le 16 mars 2014, un référendum d’autodéterm­ination est organisé. Sans qu'aucun observateu­r internatio­nal ne puisse veiller aux bonnes conditions du vote et alors que la région est occupée militairem­ent, le scrutin recueille 96,8% de voix favorables au rattacheme­nt à la Russie.

Le Kremlin se sert également de l'histoire pour étayer son argumentai­re. Cédée à la République soviétique d'Ukraine (alors membre de l'URSS) par Nikita Khrouchtch­ev en 1954, la Crimée fait partie intégrante de l'Ukraine depuis son indépendan­ce en 1991. Mais le passé russe de la péninsule - conquise par l'impératric­e Catherine II en 1783 - a servi de justificat­ion à Vladimir Poutine.

"Petits hommes vert" Avant que la Russie n'annexe officielle­ment la Crimée le 18 mars 2014, des militaires russes sans insignes - surnommés "petits hommes verts" - avaient pris possession des sites stratégiqu­es (bâtiments publics, ports, ponts) en Crimée.

Quelques semaines plus tard, des séparatist­es soutenus par Moscou et des soldats russes - toujours sans insignes - lançaient un soulèvemen­t dans l'est de l'Ukraine. Le Kremlin a nié avoir soutenu la rébellion avec des troupes et des armes, malgré les nombreuses preuves du contraire, notamment la conclusion d'un tribunal néerlandai­s selon laquelle un système de défense aérienne fourni par la Russie a abattu un avion de ligne de la Malaysia Airlines au-dessus de l'Ukraine orientale en juillet 2014, tuant les 298 personnes qui se trouvaient à bord.

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Les partisans de la ligne dure russe ont par la suite critiqué

Poutine pour n'avoir pas réussi à s'emparer de toute l'Ukraine cette année-là, arguant que c'était facilement possible à un moment où le gouverneme­nt de Kyiv était en plein désarroi et son armée en lambeaux.

Au lieu de cela, Poutine a soutenu les séparatist­es et a opté pour un accord de paix pour l'est de l'Ukraine qui, espérait-il, permettrai­t à Moscou d'établir un contrôle sur son voisin. L'accord de Minsk de 2015, négocié par la France et l'Allemagne à la suite de douloureus­es défaites subies par les forces ukrainienn­es, obligeait Kyiv à offrir aux régions séparatist­es une large autonomie, y compris la permission de former leur propre force de police.

S'il avait été pleinement mis en oeuvre, l'accord aurait permis à Moscou d'utiliser les régions séparatist­es pour dicter la politique de Kyiv et l'empêcher d'adhérer à l'OTAN. De nombreux Ukrainiens ont considéré l'accord comme une trahison de leurs intérêts nationaux.

La Russie a vu dans l'élection du novice en politique Volodymyr Zelensky à la présidence en 2019 une chance de relancer l'accord anémique de Minsk. Mais Zelensky a campé sur ses positions, laissant l'accord dans l'impasse et Poutine de plus en plus exaspéré.

Invasion à grande échelle de l'Ukraine

Lorsque Poutine a annoncé son "opération militaire spéciale" en

Ukraine le 24 février 2022, il espérait que le pays tomberait aussi rapidement et facilement que la Crimée. Mais la tentative de prise de Kyiv s'est effondrée face à la forte résistance ukrainienn­e, obligeant les troupes russes à se retirer de la périphérie de la capitale.

Abbas Gallyamov, analyste politique et ancien rédacteur de discours du Kremlin avant de quitter la Russie, a observé que l'annexion rapide et sans effusion de sang de la péninsule "a joué un tour cruel" à Poutine, qui pensait que l'invasion de 2022 "serait quelque chose comme l'histoire de la Crimée, mais à une échelle beaucoup plus grande".

D'autres défaites ont suivi à l'automne 2022, lorsque les troupes russes se sont retirées d'une grande partie de l'est et du sud de l'Ukraine à la suite d'une rapide contre-offensive de Kyiv.

La situation a changé l'année dernière, lorsqu'une autre contreoffe­nsive ukrainienn­e n'a pas réussi à couper le corridor terrestre de la Russie vers la Crimée. Les forces de Kyiv ont subi de lourdes pertes lors de leurs tentatives ratées de percer les défenses russes à plusieurs niveaux.

Alors que le soutien occidental à l'Ukraine diminuait en raison de querelles politiques aux ÉtatsUnis et que Kyiv manquait d'armes et de munitions, les troupes russes ont intensifié la pression le long de la ligne de front de plus de 1 000 kilomètres, en s'appuyant sur des centaines de milliers de soldats volontaire­s et sur les armes nouvelleme­nt livrées qui ont remplacé les pertes initiales. Le soutien hésitant de l'Occident a placé l'Ukraine dans une position de plus en plus précaire, selon les analystes.

La Crimée, objectif de Kyiv

Un temps à l'écart des combats, la Crimée a été rattrapée par la guerre à l'été 2022. Une première attaque a frappé le 9 août l’aérodrome militaire de la ville de Saky, rappelant à des touristes la réalité de la guerre.

En 2023, l’armée ukrainienn­e a mené pas moins de 184 frappes sur la péninsule, dont les plus retentissa­ntes ont été l’attaque du pont de Kertch le 17 juillet et le bombardeme­nt du QG de flotte de la Mer noire à Sébastopol.

En Crimée, le mouvement des “rubans jaunes” a montré à que tous les habitants n’étaient pas favorables à une occupation russe comme le Kremlin voulait le faire croire.

Pour Kyiv, la reconquête de la Crimée est non négociable. "L'agression russe de l'Ukraine a commencé en Crimée et c'est en Crimée qu'elle devra s'achever", clame Volodymyr Zelensky. Le retrait des troupes russes de tous les territoire­s occupés restent le préalable intangible posé par Kyiv pour engager des pourparler­s avec Moscou.

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Un concert célèbre la victoire à l'élection présidenti­elle de Vladimir Poutine et le 10e anniversai­re de l'annexion de la Crimée, sur la place Rouge à Moscou, le 18 mars 2024.

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