EVO (France)

FERRARI 360 CS / 430 SCUDERIA / 458 SPECIALE

Que faudra-t-il à la 488 Pista pour se montrer digne de ses devancière­s ? evo a regroupé les 360 Challenge Stradale, 430 Scuderia et 458 Speciale pour le découvrir en détail.

- Texte ADAM TOWLER ET DAMIEN HERMENIER Photos ASTON PARROTT

Juste avant de reprendre le volant de la nouvelle 488 Pista, il nous est apparu intéressan­t de revenir sur ces devancière­s.

Àécouter gronder la Challenge Stradale, la Targa Florio me vient à l’esprit, et avec elle ces machines au moteur d’usine préparé, à la carrosseri­e tatouée, dotées de vitres en Perspex et de plaques d’immatricul­ation. Une race à laquelle appartient volontiers la 360 CS de 2003-2004, puisqu’elle incarnait une version routière des 360 Challenge à l’époque engagées en courses monotypes. Écartant la classique boîte manuelle à grille ouverte en faveur d’une unité semi-automatiqu­e qui prédominai­t alors chez Ferrari, la Challenge Stradale avait tout de la super-sportive aiguisée à l’extrême voilà tout juste quinze ans. Elle offrait aussi 425 ch à une période où cela impression­nait encore, particuliè­rement chez un moteur atmosphéri­que. Je tire la portière conducteur. Celle-ci ne pèse rien. L’intérieur est compact, et presque accueillan­t comparé à celui de la 458 Speciale, bien plus austère. Plus important, la CS demeure la toute dernière Ferrari à disposer du V8 originel de la marque, le V8 “Dino”, ainsi baptisé en hommage au fils tant aimé d’enzo Ferrari. Un bloc dont les racines remontent aux prototypes du début des années 1960. Et dans cette configurat­ion dite “F131”, la cylindrée atteint 3,6 litres, tandis que les 425 ch culminent à 8 500 tr/mn, un régime rendu possible grâce, notamment, à l’utilisatio­n de titane.

Et si la portière de la CS se montre aussi légère, c’est parce qu’elle ne présente rien d’autre qu’une structure en aluminium et une contre-porte en carbone. Un simple levier rectangula­ire permet de l’ouvrir de l’intérieur, et les commandes de vitres électrique­s ont été délocalisé­es entre les sièges. Quant aux fameuses vitres fixes en Perspex, avec leur petite lucarne coulissant­e, elles demeuraien­t optionnell­es en 2003 (notre modèle s’en passe, comme la plupart des CS). Équipée en plus de baquets allégés et en l’absence de stéréo, la CS pouvait ainsi ne peser que 1 280 kg selon la littératur­e d’époque. Cette simplicité de la 360 a quelque chose de rafraîchis­sant aujourd’hui : les planchers sont en métal nu, les soudures du châssis restent apparentes, même le levier de vitesse provient de la mise en commun des pièces au sein du groupe Fiat. Et peu importe, car l’auto n’a jamais souhaité plaire aux critiques de design, ou satisfaire une clientèle de voitures de luxe. La CS est pure, elle est simple, et se destine avant tout au pilotage.

Une simplicité qui s’étend jusqu’au volant pré-manettino, dépourvu de commandes. Une pression sur le bouton Start rouge situé sur la console centrale, et le grondement du V8 résonne à travers toute la structure de l’auto et dans les environs. Une fois le ralenti stabilisé, je tire l’énorme palette de droite pour enclencher la première. Je presse aussi le bouton Race, seul véritable mode de conduite de la CS, et unique réglage qui rende les changement­s de rapport tolérables selon nos standards actuels. On pourra néanmoins faciliter les passages en soulageant la pédale de droite à l’accélérati­on, à charge partielle, jusqu’à 80 %, sans quoi la boîte génère quelques secousses. Un phénomène qui disparaîtr­a à pleine accélérati­on. Dynamiquem­ent, d’emblée la CS évolue tout en délicatess­e. L’amortissem­ent peut être raffermi par pression sur un autre poussoir, mais à moins de se trouver sur piste, nul besoin de cela. Du reste, avec des disques en carbone-céramique empruntés à l’enzo, rien ne fait tache. C’est souvent le freinage qui, avant le reste, date une vieille sportive. Eh bien pas ici. La CS produit ce sifflement caractéris­tique des disques céramique et des plaquettes en pleine friction, mais elle freine avec une efficacité redoutable. Puis l’auto tout entière paraît d’une formidable légèreté. Un sentiment nourri par la direction très directe. Surtout, la conduite de la CS ne tient qu’à l’action du pilote. Plus que les autos modernes, elle est une voiture qui vit, réagit, qui s’agite sur la route. Comparée aux super-sportives d’aujourd’hui, elle offre également un peu moins d’adhérence pure et la transition entre grip et glisse se fait plus en douceur. De fait, il est plus aisé en CS d’appréhende­r les rudiments du pilotage, lors de ces phases transitoir­es, le décrochage ou la reprise de grip intervenan­t beaucoup moins violemment que sur bien des sportives actuelles. Il en va de même des performanc­es brutes. Écrasez votre pied droit à bas ou moyen régime et, en retour, n’attendez pas le coup de fouet d’une 488. Moins immédiate, la CS nécessite de grimper dans les tours pour offrir le meilleur. Mais dans ce cas, pas un des 425 canassons ne manque à l’appel, et j’exploitera­is volontiers tout au long de la journée le haut du compte-tours. En définitive, la CS représente un envoûtant mélange d’ancien et de moderne, sans compter qu’elle est à l’origine du reste de la lignée et de sa remarquabl­e philosophi­e.

Quatre ans plus tard venait la seconde itération de la série: la 430 Scuderia. Et si à l’époque la “Scud” faisait sensation, elle tombe un peu aujourd’hui dans une catégorie indéfinie, n’étant ni très moderne ni une classique. Cette passade a cependant touché bien des voitures célèbres. Alors, évidemment, tout est relatif, la Scud n’en est pas pour autant bon marché. Une belle 360 CS à faible kilométrag­e peut s’échanger à plus de 220 000 euros, et une belle 458 Speciale dépasse volontiers les 310 000 euros, ce qui place la Scuderia juste en deçà des prix de la CS. La 430 était une sorte de 360 profondéme­nt mise à jour et dotée d’un moteur largement revu; ce qu’est la 488 vis-à-vis de la 458 de nos jours, en quelque sorte. Et l’on ressent très bien au volant cette filiation avec la 360 par la position de conduite familière, le tableau de bord, les contre-portes ou les dimensions générales très similaires. Comme la CS, la Scud’ apparaît aussi beaucoup plus compacte que la Speciale, et donc bien plus maniable sur nos petites routes même si, avec 1350 kg, elle ne pèse que 45 kg de moins qu’une 458. À l’intérieur, elle se montre toutefois un peu plus travaillée que la 360. Du cuir couvre notamment certaines surfaces (signe, peutêtre, que Ferrari commençait à comprendre qui étaient les clients de ce type de collector).

Mais c’est le groupe motopropul­seur de la Scuderia ou son électroniq­ue qui marque une vraie différence avec la CS. La Scuderia embarque en effet une version inédite du bloc de la F430, “F136”. Et si l’on note bien au ralenti la même sonorité de V8 à vilebrequi­n plat, ce dernier génère ensuite des vocalises très personnell­es à bas régime, une sorte de mélodie particuliè­rement tranchante, un brin nasillarde. Puis viennent un imposant bruit de succion et une bande-son tonitruant­e à pleine charge. À lui seul, le V8 avec ses 510 ch, une puissance épatante pour un simple 4,3 litres atmosphéri­que, vaut pleinement l’achat d’une Scuderia.

Comme on l’imagine, vu les puissances développée­s, l’auto se montre sensibleme­nt plus rapide que la CS. Et la boîte n’y est pas étrangère. Déjà en 2007, la bonne vieille unité à simple embrayage avait effectivem­ent bien progressé. Les changement­s des rapports se faisaient beaucoup plus rapides, en mode Race tout du moins. Un mode sélectionn­able via le manettino, qui faisait là son apparition. Puis avec un différenti­el électroniq­ue E-diff et un contrôle de stabilité nettement plus sophistiqu­é (le F1-trac), la Scuderia a joué les pionnières quant aux prouesses électroniq­ues aujourd’hui courantes chez Ferrari. En bref, les systèmes n’étaient plus seulement là pour vous maintenir sur la route, mais pour faciliter le pilotage et permettre aux passagers de prendre du plaisir derrière un filet de sécurité.

À l’image de la CS, la Scuderia présente aussi une grande légèreté dans ses réactions. On note dans son comporteme­nt la même agilité, le tout étant juste un peu plus impression­nant, et pas seulement par les vitesses atteintes. Car ici le mode Race opère désormais simultaném­ent sur davantage de systèmes, et le réglage “route dégradée” de la suspension, particuliè­rement efficace, fait là aussi son apparition. Et pour autant, malgré toute cette électroniq­ue, la 430 Scuderia reste une jolie brute. Au volant, le V8 domine d’ailleurs les sensations, et l’on retrouve même les craquement­s ou le cliquetis des habitacles dépouillés des Ferrari d’ancienne génération. Si vous achetez une Scuderia, n’espérez en rien le raffinemen­t ou les tolérances d’assemblage d’une Classe S. À basse vitesse, en ville, la finition cuir de la Scuderia n’est que le décor, une mince façade qui masque des entrailles de pistarde.

Finalement, plus je conduis la Scud, plus je me demande si elle ne représente pas le meilleur des deux mondes, l’ancien et le nouveau. La cote de notre exemplaire évolue autour de 170 000 à 190 000 euros, et si le tarif s’avère coquet, il n’en demeure pas moins intéressan­t face aux super-sportives modernes. Surtout, le couple important vous expédie avec poigne en milieu de compte-tours, et le chant du V8 jusqu’au septième ciel à l’abord des hauts régimes. Sous une élégante combinaiso­n, la 430 Scuderia représente donc sur route une brute épaisse et néanmoins subtile, étroitemen­t inspirée de la Formule 1.

La Speciale est d’un autre genre. Elle a beau disposer d’un moteur très similaire à celui de la 430 Scuderia (et quel moteur), partout ailleurs on lui donnerait non pas six, mais seize ans d’écart avec sa devancière. Et puis esthétique­ment, même si cela reste très subjectif, dans sa livrée Speciale la 458 est une voiture magnifique, dotée d’une véritable présence. Après la relative compacité de ses deux prédécesse­urs, la Speciale apparaît d’ailleurs plus imposante.

Une impression qui se renforce à l’intérieur. Malgré les 90 kg économisés sur une 458 Italia standard, la Speciale évolue à un tout autre niveau que ses aînées en matière de design et de qualité d’assemblage. L’habitacle s’avère joliment travaillé. Aveuglé par les mètres carrés couverts d’alcantara ou de fibre de carbone, on en oublierait presque qu’elle conserve elle aussi des planchers nus. Quant à l’excellent V8 “F136”, il se montre toujours si sonore au ralenti, mais pas autant que chez la Scuderia. Avec une cylindrée atteignant désormais 4 497 cm³, et une zone rouge postée à un régime stratosphé­rique de 9 000 tr/mn, ce chef-d’oeuvre de 605 ch intimide par sa réputation avant même que l’on presse l’accélérate­ur (qui s’accouple ici à une boîte à double embrayage infiniment plus véloce et raffinée).

Et à vrai dire, la Speciale ne se montre pas plus éprouvante à conduire qu’une simple 458 Italia, et son amortissem­ent se révèle étonnammen­t prévenant (mode “route dégradée” sélectionn­é ou non). Seulement, chaque action ou réaction de l’auto s’avère si bien coordonnée, si naturelle, que la conduite en devient presque une extension de votre pensée, de chaque mouvement de votre corps.

Par ailleurs, avec près de 550 Nm de couple et une masse ne dépassant pas 1 400 kg, jamais la Speciale ne semble manquer de souffle à bas régime. Certes, on n’atteint pas ici le niveau de performanc­es de la 488 qui, à tout moment, quelles que soient les conditions, vous soude au baquet. Mais jamais au volant de la Speciale je ne suis resté sur ma faim. Chaque pression sur l’accélérate­ur s’accompagne de sensations, et si l’on reste pied au plancher jusqu’à l’apparition des diodes sur le volant, la poussée s’accompagne d’un hurlement à filer la chair de poule. Dans ces moments, on glousse, rire psychotiqu­e et tout le toutim. Si vous manquez d’être ému par les capacités extraordin­aires de la Speciale, un conseil, faites un bilan psychologi­que.

C’est ce merveilleu­x moteur qui définit si bien la nature de la Speciale, bien plus que le brio de l’électroniq­ue, de l’aérodynami­que active ou du Side Slip Control 2 (une autre avancée offrant au conducteur le sentiment de maîtriser une machine dangereuse, à l’image du Ferrari Dynamic Enhancer de la 488 Pista). Qu’il s’agisse du V8 Dino de la CS, du bruyant 4,3 litres de la Scuderia ou du bloc surnaturel de la Speciale, ce sont par conséquent ces moteurs atmosphéri­ques qui, en permanence, vous crient “FERRARI !” plus que le reste. Pas une fois au volant de l’une d’elles je n’ai souhaité plus de couple, d’aisance de prise en mains ou de performanc­es pures.

Ferrari pointera peut-être les normes environnem­entales pour justifier l’adoption du turbo, mais il demeure une inquiétude. Celle qu’une pièce du puzzle finisse par manquer parmi les nouveautés de Maranello. Cela n’est pas réellement sensible chez la 488 standard, mais lorsqu’on lui oppose ce qu’offre la Speciale, on voit les choses un peu différemme­nt. La réponse au coup de gaz s’avère là si franche, si aiguisée, si précise à hauts régimes, que l’on se sent plus que jamais connecté à la mécanique, ce qui crée un lien indéniable entre le pilote et sa machine. Or, le V8 de la Speciale détient ce quelque chose, tout simplement.

Il est aussi le dernier de son genre, V8 atmosphéri­que. À moins que Ferrari ne confirme les rumeurs de technologi­e hybride (atmo + électrique) visant ses futurs modèles V12, et applique aux berlinette­s V8 un même dispositif. Néanmoins, on peine à imaginer un retour en arrière en matière de couple et de puissance par l’abandon de la suraliment­ation (dans ce domaine, impossible de promouvoir un produit moins puissant et rapide), et c’est peut-être dommage. Il est donc sans doute mieux d’envisager la Pista comme le début d’une nouvelle ère, et de clore la précédente avec cette Speciale. La dernière d’un trio de Ferrari légères, rapides, agressives et affûtées comme jamais, qui représente­nt là un âge d’or, pour les berlinette­s de la marque et pour l’automobile sportive en général.l

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 ??  ?? Ci-dessus : le V8 “Dino” de la 360 CS produisait 425 ch pour seulement 3,6 litres de cylindrée sans le moindre turbo. Ci-contre à droite : les freins en carbone sont issus de l’enzo ; l’habitacle fait preuve d’une grande simplicité.
Ci-dessus : le V8 “Dino” de la 360 CS produisait 425 ch pour seulement 3,6 litres de cylindrée sans le moindre turbo. Ci-contre à droite : les freins en carbone sont issus de l’enzo ; l’habitacle fait preuve d’une grande simplicité.
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 ??  ?? Ci-dessus : le V8 de la Scuderia compte 722 cm3 et 85 ch de plus que celui de la CS, offrant ainsi un bond en matière de performanc­es. Page de gauche en bas : l’habitacle affiche une vraie filiation avec celui de la 360.
Ci-dessus : le V8 de la Scuderia compte 722 cm3 et 85 ch de plus que celui de la CS, offrant ainsi un bond en matière de performanc­es. Page de gauche en bas : l’habitacle affiche une vraie filiation avec celui de la 360.
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 ??  ?? Ci-dessus : le V8 de la Speciale est une version revue de celui de la Scuderia, avec 95 ch supplément­aires. Page de droite, en bas: le cockpit se montre bien plus moderne que celui de la CS et de la Scuderia.
Ci-dessus : le V8 de la Speciale est une version revue de celui de la Scuderia, avec 95 ch supplément­aires. Page de droite, en bas: le cockpit se montre bien plus moderne que celui de la CS et de la Scuderia.
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