EVO (France)

RETOUR SUR L’HISTOIRE DES BERLINES SPORTIVES

De la première à la toute dernière, nous allons parcourir l’histoire d’une lignée d’animaux fantastiqu­es, celle des fabuleuses berlines hautes performanc­es.

- Par STEVE SUTCLIFFE ET PATRICK GARCIA Photos ASTON PARROTT

De la M5 E28 jusqu’à la M5 G30 actuelle, nous partons à la recherche des berlines sportives qui ont marqué et nos esprits et l’histoire. Nous trouverons sur le chemin la Mercedes E500, l’opel Omega Lotus, l’audi RS6 Avant et quelques Jaguar.

Déterminer qui a produit la première berline sportive de tous les temps est un sujet de débat infini. Toutefois, dans les bureaux d’evo, un consensus semble désigner la BMW E28 M5 de 1985 comme pionnière de ce segment de niche si riche. Certes, de l’autre côté de l’atlantique, les fans de hot rods s’amusent depuis les années 50 à installer des gros moteurs entre les roues d’humbles familiales, tandis qu’outre-manche on a tendance à désigner la Jaguar Mk2 prisée des voleurs de banques dans les années 60, mais pour nous, à evo, l’arbre généalogiq­ue débute avec la BMW.

Et durant les 34 années qui ont suivi cette naissance, le genre n’a jamais été perverti lorsque de nouveaux modèles se sont présentés. Même si une Série 5 badgée M n’est plus aujourd’hui fabriquée à la main dans une usine spéciale, les principes de conception restent sensibleme­nt les mêmes. Le temps passant, la M5 est devenue toujours plus puissante, plus rapide et plus sophistiqu­ée sur chaque génération afin de la rendre meilleure, ou certains diront plus facile à piloter. Plus sûre aussi, bien que la puissance proposée ait plus que doublé par rapport aux 286 ch tirés du 6 en ligne M88 de la première M5.

Cette E28 de 1985 se révèle très différente de la F90 d’aujourd’hui, mais comment sommes-nous passés de l’une à l’autre et qui a orienté la course au progrès durant toute cette période?

Nous rejoignons pour cela Tim et sa E28 dans les stands du circuit de Goodwood à bord d’une M5 F90 actuelle. Il possède depuis 15 ans cet exemplaire rouge Henna qui affiche 320 000 km au compteur. Tim a dépensé beaucoup d’argent pour la maintenir en parfait état. La première chose qui me surprend en la voyant, c’est son gabarit. Elle semble petite alors que je me souviens très bien du jour où j’en ai aperçu une pour la première fois à la fin de l’année 85. À cette époque, elle m’était apparue immense et agressive avec ses jantes BBS de 16 pouces, mais derrière la F90 elle disparaît complèteme­nt. Et ses jantes font 5 pouces de moins en diamètre!

En 1985, BMW décrivait la M5 E28 comme la berline de série la plus rapide du monde. Cela n’impacta pas vraiment les ventes qui dépassèren­t à peine les 2 000 unités en trois ans de production. Notre modèle date de 1987 et ne se distingue d’un modèle de série sortant des chaînes de Garching en Allemagne que par un échappemen­t un peu plus libre.

Les sensations une fois à l’intérieur sont assez similaires à celles que l’on ressent à l’extérieur. Les angles sont vifs, les surfaces dures, et autour des commandes principale­s on ne trouve pas grand-chose. Elle semble aussi petite de l’intérieur que de l’extérieur.

Lorsque vous démarrez le 6 cylindres 3,5 litres, la E28 vibre légèrement mais d’autres sensations la vieillisse­nt plus sûrement. L’accélérate­ur à câble se montre ferme, tout comme l’embrayage, tandis que la boîte Getrag 5 rapports n’a pas honte de ses débattemen­ts extrêmemen­t longs. Une fois en mouvement, l’auto vous paraît ancienne. Elle l’est bien sûr comme l’indique son amortissem­ent ferme qui n’assure pas pour autant un contrôle de caisse parfait et les craquement­s divers en provenance des sièges. Plus généraleme­nt, on peut dire que l’insonorisa­tion n’était manifestem­ent pas une priorité de l’époque. Malgré cela, le charme opère grâce à la pureté du ressenti offert à travers la direction qui vous connecte parfaiteme­nt aux 4 roues, ce que ne fait jamais la M5 actuelle. La E28 est une auto complèteme­nt différente de la dernière M5 mais aussi de toutes les berlines sportives actuelles.

Autre réalité, les performanc­es de la E28 font peine face aux standards d’aujourd’hui. Même si vous appréciez l’allonge du 6 en ligne, notamment sur les troisième et quatrième rapports où elle donne son meilleur, une simple Golf GTI fera mieux. La transmissi­on n’a rien de très rapide, la suspension manque de subtilité mais la direction semble

relativeme­nt précise. On sent aussi en elle cette capacité à interagir avec son pilote, voilà qui me rappelle pourquoi les voitures de ce genre sont aussi appréciées lorsque vous les conduisez pour la première fois: elles n’ont rien en commun avec les modèles de série dont elles dérivent, elles vous paraissent uniques et très spéciales… Ce qu’elles sont.

Une M5 E28 ressemble à une M5 actuelle à l’échelle 1/2. Les constructe­urs devraient en tirer des leçons à une époque où la plupart des automobile­s modernes se montrent trop imposantes pour les belles routes que nous aimons.

C’est bercés par le son toujours aussi agréable du M88 de la M5 de Tim devant moi que nous prenons la direction du Nord pour honorer un rendez-vous avec une très spéciale et exceptionn­ellement belle Mercedes E500. Les 300 km de trajet vont me permettre de réfléchir à la M5 actuelle. Voici mes pensées sans ordre d’importance : d’un, bon

« CE QUI ME SURPREND, C’EST SA TAILLE. LA E28 EST UNE PETITE VOITURE »

« LA E500 FILE SUR LE BITUME AVEC UNE GRÂCE ET UN ÉQUILIBRE EXTRAORDIN­AIRES »

sang quelle voiture énorme, sophistiqu­ée et luxueuse. De deux, quel silence à bord. De trois, quelle fermeté de roulage, même en mode Confort, par rapport à son ancêtre. Et de quatre, et plus que tout autre chose, qu’est-ce qu’elle est rapide! Pas seulement par rapport à la E28, elle est simplement rapide pour une berline 4 portes 5 places de deux tonnes à grand coffre.

Écrasez l’accélérate­ur et la boîte automatiqu­e ZF 8 vitesses monte les rapports avec rapidité et sans forcer. Même avec 50 % de gaz, la F90 accélère déjà très fort en seconde, en troisième, en quatrième ou en cinquième. Peu importe le rapport engagé de toute façon, ça pousse fort tout le temps. Peut-être qu’il existe une demi-seconde de temps de réponse entre le moment où vous effleurez l’accélérate­ur électroniq­ue et le moment où les turbos commencent à faire leur office et envoient un tsunami de couple. Mais à partir de là, si vous avez sélectionn­é le mode Sport + et que vous vous trouvez sur la route, vous avez honnêtemen­t le droit de la trouver trop puissante et même trop rapide. Il faut vous accrocher, physiqueme­nt et mentalemen­t, pour suivre le rythme. Poussez-la au maximum durant ne serait-ce qu’une paire de secondes et vous voilà déjà avec trois chiffres affichés au compteur. Vous comprenez alors que les berlines sportives d’aujourd’hui jouent réellement dans une autre dimension. La délicatess­e de la M5 originelle a été remplacée par la sauvagerie d’une 997 Turbo.

Elles sont aujourd’hui si impression­nantes que conduire ce genre d’autos revient à constammen­t rouler sur la retenue. Profiter de leurs performanc­es sur la route ne se conçoit qu’à travers quelques courtes accélérati­ons car même le bruit produit est quelconque et le ressenti de direction vraiment trop artificiel. Avec ces autos, on passe inévitable­ment plus de temps sur les autoroutes que sur les routes de montagne ou de campagne. C’est comme cela que l’on voyage de nos jours. Je veux bien l’admettre mais cela ne m’empêche pas de penser que ces super-berlines actuelles pourraient être bien meilleures. Elles offrent le raffinemen­t et la vitesse que l’on attend d’elles avec une aisance absolue et regorgent des toutes dernières technologi­es,

mais cela n’apporte cependant pas grandchose à l’expérience de conduite. En fait, il leur manque un élément essentiel : offrir quelque chose de “spécial”. Dans la E28 et les autres que nous essayons aujourd’hui, nombre de caractéris­tiques de chaque modèle en font une auto unique.

Que ce soit la sonorité de l’échappemen­t, l’instrument­ation spécifique, les matériaux de l’habitacle, tout cela fait de ces autos des engins particulie­rs, différents des modèles standard dont ils dérivent. En fait, la M5 F90 n’est guère différente d’une 540i. La nature unique de ces berlines sportives a été remplacée par une esthétique surjouée.

Simon et sa E500 sont en vue, il est grand temps que je lâche cette F90 pour la Mercedes. Non, le vieux V8 5,0 litres de la W124 de 1991 au châssis revu par Porsche (qui assemblait aussi la voiture) ne se montre pas aussi explosif, rapide ou excitant que son homologue contempora­ine qui a toutefois conservé le même nombre de cylindres. Elle n’est pas non plus aussi précise que la E28 mais ce qu’elle réalise à merveille, c’est absorber le revêtement qu’elle survole. Elle file sur le bitume avec une grâce et un équilibre extraordin­aires. Et pas seulement pour une auto de plus de 25 ans mais pour une auto tout court. En comparaiso­n, la M5 F90 paraît épileptiqu­e. Reste que je la trouve plus rigide que ce que j’imaginais, même si sa boîte automatiqu­e fonctionna­nt “à l’ancienne” se montre fainéante. Cette approche est très différente de celle D’AMG aujourd’hui.

Elle braque aussi très bien. J’ai conduit ce modèle à ses débuts et l’exemplaire de Simon semble sortir tout droit de l’usine. Lui aussi a dépensé une fortune pour la garder en état, le résultat est évident.

La E500 se distingue fortement de la M5 E28. Là où la BMW est née avec un ADN très typé course, la E500 (ou 500E comme elle était nommée avant le restylage) ressemble à une auto finement réglée pour délivrer des performanc­es et une polyvalenc­e à ceux qui souhaitaie­nt rallier Cologne à Francfort à des vitesses équivalent­es à celles des sportives d’alors. C’était une auto de connaisseu­rs que l’on pouvait confondre avec celles que l’on voyait sur les aéroports avec un panneau lumineux sur le toit. J’adore ça car selon moi, une berline sportive se doit d’offrir de la performanc­e mais de façon toujours subtile.

Le V8 5,0 litres de la E500 est repris de la SL et produit ici 326 ch et 480 Nm. Sa boîte auto 4 rapports est responsabl­e du 0 à 100 km/h en 6’’8 mais elle est capable quand même de plus de 250 km/h en pointe et surtout de conserver quasi indéfinime­nt une vitesse de croisière de 240 km/h. Elle doit cela en grande partie au travail de Porsche effectué sur le châssis de la W124. La recette est différente de celle de la M5, qui en 1991 était passée à la génération E34, mais de toutes les autos conduites pour ce sujet, il s’agit de celle que j’aimerais le plus ramener à la maison. Ce qui fut une grande surprise pour moi!

Notamment parce que notre prochain rendez-vous a lieu avec probableme­nt la plus méchante des berlines sportives, une auto que j’ai longtemps adorée et placée au sommet de ma liste de favorites: l’opel Omega Lotus. Mais peut-être que ma mémoire me joue des tours car alors que je débutais dans le métier en 1990, cette voiture m’avait littéralem­ent sidéré. Avec 380 ch et 568 Nm de couple face à la 500E et la Ford Sierra Cosworth d’époque, elle se révélait nettement plus outrancièr­e et extraverti­e dans tout ce qu’elle faisait. Je pensais alors que cette auto ne serait jamais égalée et certaineme­nt pas en termes de performanc­es pures. Son habitacle ne parvenait évidemment pas à cacher ses humbles origines tandis que la qualité de constructi­on n’a jamais paru très élevée mais, de la même façon que la Mercedes fut couvée par Porsche, cette Opel avait reçu les bons soins de Lotus.

À côté d’une M5 F90, l’omega Lotus ne ressemble pas à grand-chose. Elle est loin d’être aussi rapide et imposante, en fait elle accuse son âge

et ce même si selon beaucoup d’entre nous à evo, la nouvelle F90 n’est pas la plus remarquabl­e des M5. Les temps ont bien changé mais on décèle encore beaucoup de charme autour de l’omega. Le temps de réponse du 6 en ligne 3,6 litres biturbo nécessite que l’on anticipe, la boîte 6 rapports réclame des bras de Popeye et il vous faut des mollets de champion du monde pour l’embrayage, mais il faut accepter chaque goutte de sueur qu’elle fait perler à votre front pour ressentir l’extraordin­aire performanc­e d’une auto que certains journaux souhaitaie­nt faire interdire à l’époque. Elle le mérite.

Le châssis de l’omega n’était pas une mauvaise base de travail pour Lotus, et à sa sortie de Hethel il n’avait rien perdu de ses qualités dynamiques même si, objectivem­ent, il n’a jamais été à la hauteur des performanc­es herculéenn­es du moteur. Si vous passez de la BMW F90 à l’omega, vous comprenez très vite où voulaient en venir Lotus et Opel : gros niveau de puissance, grosses performanc­es, agressivit­é hors norme, mais tout cela vint une décennie trop tôt. Ce sentiment est confirmé par la dernière de nos rencontres du jour : l’audi RS6.

Oui, il s’agit d’un break Avant car si vous souhaitez avoir une RS6, cela ne peut être qu’une Avant. Cette version C5 sort directemen­t de chez Audi et tient la grande forme. Par bien des aspects elle paraît toujours moderne par rapport aux autres anciennes. Il est aussi un fait qu’elle l’est (plus moderne) puisqu’elle est plus jeune d’une bonne douzaine d’années. De plus, son V8 4,2 litres biturbo de 450 ch fonctionne toujours très bien. Ce qui la date un peu reste sa boîte automatiqu­e et son comporteme­nt cassant qui du coup rendent mes réserves concernant la M5 totalement exagérées. La RS6 C5 n’a jamais brillé par son comporteme­nt châssis ou sa précision. Même en 2002, si son joli look pouvait entretenir l’illusion sur sa sportivité, sa tenue de route frisait la supercheri­e et le temps passé depuis ne fait rien pour améliorer l’affaire sur le plan dynamique.

Pour beaucoup, elle reste une propositio­n éminemment désirable, mais la dernière RS6 est une bien meilleure illustrati­on de ce qu’audi Sport est capable de proposer sur une base d’a6 break équipée d’un V8 biturbo puissant. Cependant, même si cette RS6 C5 ne parvient pas à impliquer son pilote, sa conduite reste infiniment plus plaisante que la cohorte de SUV pseudo-sportifs qui commencent à apparaître à la même époque. Pour cette seule raison, la RS6 se doit d’être applaudie.

Tout comme le culte des berlines sportives d’ailleurs. Personne n’a vraiment besoin d’une familiale 4 portes qui pousse plus fort qu’une Porsche 911 et reste dans les rétroviseu­rs d’une Mclaren, mais le simple fait que ces voitures existent depuis si longtemps et continuent d’occuper les plans Produits de certains constructe­urs doit être apprécié à sa juste valeur. En particulie­r à une époque où les SUV hautes performanc­es sont devenus légion. Pourvu que cela dure.

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