LE FACTEUR X
Jaguar a construit de très rapides et très désirables berlines sportives et ce depuis la Mk1 de 1955. Mais certaines sont plus spéciales que d’autres.
ORGANISER LE LANCEMENT D’UN NOUVEAU VÉHICULE SUR UN AÉROPORT N’EST PAS FORCÉMENT UNE BONNE IDÉE PUISQU’UNE FOIS LA PREMIÈRE ACCÉLÉRATION EFFECTUÉE, CELA MANQUE DRAMATIQUEMENT DE SENSATIONS.
Le large panorama désertique et la ligne droite infinie réduisent considérablement l’effet de vitesse, encore plus que le raffinement des sportives modernes. Vous êtes alors heureux de découvrir l’énorme panneau “Freinez” apparaissant à bonne distance de la fin du ruban de bitume, car c’est à ce moment que vous vous rendez compte que vous filez quand même à plus de 290 km/h.
En théorie, la Jaguar XJR575 se rapproche à ce moment de sa vitesse maximale de 300 km/h mais il vous faudra un peu plus que les 2,7 km de notre piste d’atterrissage pour l’atteindre réellement. On ne peut pas être déçu (c’est même assez remarquable tant il est aisé de continuer à discuter à bord à cette vitesse) mais on se dit que tout cela est finalement assez normal pour une Jag, non? Car il est facile d’oublier que la XJ n’est plus toute jeune aujourd’hui. Sortie en 2009, elle fait partie de cette poignée d’autos toujours en vente une décennie plus tard, mais placez-la face à une XE ou une XF et vous jurerez qu’elle est la plus moderne des trois. Le constat est identique à bord avec ce dessin singulier qui, à partir de
la base du pare-brise, encercle la totalité d’un habitacle que la qualité du tableau de bord ne fait que magnifier.
Elle fut certes une rupture par rapport aux précédentes XJ mais dans son exécution 575 elle est la représentante la plus récente d’un héritage enviable, celui des berlines hautes performances de la marque. De la même génération mais précédant cette 575, il a déjà existé la XJR puis la XJR Supersport abritant le V8 5,0 litres compressé maison avec “seulement” 510 ch à disposition. Notez que depuis ce V8 a atteint les 600 ch. La construction tout aluminium de la XJ a débuté sur la génération précédente “X350” qui comprenait elle aussi une version XJR. Elle était équipée du vieux V8 4,2 litres à compresseur et grâce à la relative légèreté que permettait sa construction, les 406 ch suffisaient pour envoyer la belle à 100 km/h en à peine plus de 5’’, soit plus vite que la plus petite S-type R vendue à la même époque qui pesait 135kg de plus (1665 pour la XJR). Pourtant, la S-type R rivalisait au chrono avec une BMW M5 E39.
Ce n’était pas quelque chose que l’on pouvait dire de la XJR “X308” construite de 1997 à 2003, même si la faute en revenait plutôt à la BMW aux qualités extraordinaires. Le tout nouveau V8 compressé de la Jag offrait 375 ch et avait convaincu beaucoup de membres de la rédaction à l’époque.
La précédente XJR “X306” était quant à elle équipée d’un vénérable 6 cylindres en ligne 4,0 litres AJ16 accompagné d’un compresseur afin de porter sa puissance à 330 ch. Il était possible d’opter pour une boîte manuelle ou pour une teinte bleu canard pas forcément du plus bel effet. Malgré cela, elle restait plus élégante que la Jaguarsport XJR concoctée par TWR à laquelle elle succéda. Débutant en 1988, ce modèle reposait sur une base de XJ40 et était affublé d’un lourd kit carrosserie dont la mission était de faire oublier qu’il ne s’agissait que d’une XJ à peine améliorée au niveau de l’admission, de l’échappement et de la gestion électronique pour sortir 251 ch du 6 cylindres AJ6 4,0 litres.
Avant la XJ40, et même si les versions “standard” à moteur V12 5,3 litres ne manquaient pas de souffle, les XJ Séries 1, 2 et 3 ne proposèrent pas de dérivés hautes performances. Cela n’échappa pas aux préparateurs de l’époque, comme Broadspeed ou Arden, qui imaginèrent de leur côté quelques versions sévèrement virilisées. Le dernier nommé s’amusa à porter la puissance du V12 de 264 ch à 320 ch, à assombrir tous les chromes et à étirer les passages de roues. La Mk2 construite de 1959 à 1969 est sans doute la berline Jaguar de collection la plus connue du fait de sa réputation de voiture de gangsters mais aussi de ses exploits sur le circuit de Goodwood lors des épreuves du British Saloon Car Championship pendant le Revival. Mue par le gros 6 cylindres en ligne XK 3,8 litres qui équipait aussi la Type E (mais avec seulement deux carburateurs contre trois), elle dépassait déjà les 200 km/h dans un confort souvent plus appréciable que celui offert par les salons des Britanniques de l’époque. Et pour rappel, la Mk1 dont elle dérivait était déjà capable de plus de 190 km/h au milieu des années 50.
Malgré son grand âge, Jaguar a été plus souvent qu’à son tour au sommet de la catégorie des berlines hautes performances et, aujourd’hui, la XJR575 (qui semble avoir reçu le coup de grâce de la part des nouvelles normes WLTP) et la Project 8 sont les dernières descendantes d’une longue lignée. La prochaine XJ qui devrait abriter des motorisations hybrides se doit de faire vivre cet héritage.