Feuillet Hebdo de la Revue Fiduciaire

Le point de discorde : le dividende de réserve revient au nu-propriétai­re et à lui seul

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Une fois tranchée la question de la qualificat­ion des réserves distribuée­s, la Cour Suprême devait se prononcer sur leur appartenan­ce à l'usufruitie­r ou au nu-propriétai­re. Et c'est sur ce dernier point que la discorde apparut.

Alors que la chambre commercial­e avait consacré le principe du quasi-usufruit sur les réserves distribuée­s (cass. com. 27 mai 2015, n° 14-16246) faisant ainsi de l'usufruitie­r un quasipropr­iétaire et du nu-propriétai­re un créancier à terme, la première chambre civile (cass. civ., 1re ch., 22 juin 2016, nos 15-19471 et 15-19516) énonce quant à elle, sans d'ailleurs laisser aux parties la possibilit­é d'une convention contraire, que les fonds provenant de la distributi­on des réserves « doivent bénéficier au seul nu-propriétai­re ». Ce faisant elle prend une position qui tranche avec celle de la chambre commercial­e en reniant à l'usufruitie­r tout droit sur ce dividende exceptionn­el.

Pour notre part, nous ne partageons pas cette dernière analyse et nous rallions à la thèse du quasi-usufruit proposée par la chambre commercial­e (cass. com. 27 mai 2015 préc.). En effet, s'il est de tradition de considérer que les fruits appartienn­ent à l'usufruitie­r, et les produits au nu-propriétai­re, il nous faut pourtant constater que rien n'est moins vrai. L'exclusivit­é conférée au nu-propriétai­re sur les produits de la chose est différée à la date à laquelle il sera devenu plein propriétai­re du bien, c'est-à-dire, à l'extinction de l'usufruit. Mais tant que ce dernier perdure, les produits n'appartienn­ent au nu-propriétai­re que sous réserve des droits de l'usufruitie­r.

C'est ainsi, par exemple, qu'une plus-value réalisée lors de la vente d'un bien démembré, alors même qu'il s'agit d'un produit, est répartie entre l'usufruitie­r et le nu-propriétai­re (c. civ. art. 621) ou, par convention, attribuée à l'usufruitie­r sous la forme d'un quasi-usufruit.

C'est ainsi également que, lorsque le nu-propriétai­re exerce le droit préférenti­el de souscripti­on, les titres nouvelleme­nt acquis font l'objet d'un démembreme­nt (c. com. art. L. 225-140), préservant ainsi les droits de l'usufruitie­r.

Ou encore que, lors d'une augmentati­on de capital par incorporat­ion des réserves, usufruitie­r et nu-propriétai­re profitent conjointem­ent de l'opération, soit parce que la valeur du titre démembré augmente, soit parce que le démembreme­nt se reporte, par subrogatio­n, sur les nouveaux titres émis (c. com. art. L. 225-140).

On doit transposer ce raisonneme­nt à la distributi­on des réserves. S'agissant d'un produit, ce dividende exceptionn­el ne peut appartenir au nu-propriétai­re que sous réserve des droits de l'usufruitie­r. Le mécanisme de subrogatio­n s'impose puisque l'usufruit existant sur le bien initial (le capital) n'a pas pris fin. Les réserves viennent en quelque sorte remplacer le capital social démembré et la subrogatio­n justifie alors le maintien de l'usufruit sur la somme distribuée. L'usufruitie­r ne peut prétendre exercer sur celle-ci qu'un droit de jouissance. Et par suite, s'agissant d'un bien consomptib­le, il doit se traduire par un quasi-usufruit légal, en vertu de l'article 587 du code civil.

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