BOSCH D-JETRONIC, LA MÈRE DES INJECTIONS ÉLECTRONIQUES
Au début des années 50, on assiste à la naissance des semi-conducteurs (voir encadré p. 99). Or, tous les systèmes électroniques que nous connaissons actuellement découlent en droite ligne de cette découverte majeure. En 1958, certains véhicules du groupe Chrysler, comme la De Soto Electrojector, sont déjà équipés d’une injection électronique conçue par Bendix Aviation et utilisée dans les avions lors de la guerre de Corée. Comme souvent, la technologie employée en aviation est encore une fois appliquée à l’automobile, mais hélas, ce système s’étant révélé problématique, chez Chrysler, on est vite revenu au bon vieux carbu. Pour mémoire, rappelons que la Chevrolet Corvette fut la première voiture de série aux USA à recevoir une injection mécanique, ces deux technologies ayant quasiment été développées simultanément. Mais la mise au point compliquée de l’injection électronique laissera le champ libre à l’injection mécanique jusqu’à l’aube des années 80.
En 1970, Volkswagen sort la Type 4 ou 411 abritant un quatraplat tout à l’arrière dans la pure tradition VW. D’abord disponible avec un carburateur, le modèle est par la suite muni d’une injection électronique Bosch D-Jetronic, l’équipementier allemand s’étant porté acquéreur, quelques années auparavant, des brevets Bendix Electrojector. Or, même si le concept est au point, à ses débuts, il effraie nombre de garagistes. Heureusement, cela n’empêche pas plusieurs véhicules d’adopter cette injection : citons pêle-mêle les VW Porsche 1,7 et 2 litres, et aussi bon nombre d’allemandes à l’image de la BMW 3.0 CSi, de l’Opel Commodore GSE ou des Mercedes 250 à 450 E. On peut aussi citer quelques françaises dont la SM, la Renault 17 Gordini ou l’Alpine A310 VF.
Les Suédois de Volvo en dotent aussi leur P1800 ainsi que les berlines 142, 144, 164. Et pour finir, le V12 de chez Jaguar. Aujourd’hui encore, les injections modernes sont directement issues de la D-Jetronic, dont elles reprennent le principe.
Une injection électronique est organisée autour d’un calculateur, sorte de cerveau du système qui est informé par des capteurs jouant le rôle des sens qui lui permettent de prendre des décisions pour piloter des actionneurs, au premier rang desquels se trouvent les injecteurs que l’on peut assimiler aux muscles du système. A l’époque de la D-Jetronic, la réalisation du
“calculateur” est complètement analogique, il n’y a donc pas de microprocesseur et encore moins de programmation. C’est un ensemble de montages électroniques à base de composants classiques tels que résistance, condensateur, transistor. Dans le cas de la D-Jetronic, il est donc plus judicieux de parler de “boîtier de commande” que de calculateur. Les capteurs et actionneurs sont reliés par un faisceau électrique au boîtier de commande. Y figurent également les alimentations électriques. Les systèmes électroniques sont généralement sensibles aux variations de tension d’alimentation et cela peut créer des dysfonctionnements. Dans le boîtier de la D-Jetronic, un circuit dédié se charge de réguler et de stabiliser cette tension d’alimentation. Cela permet de neutraliser les fluctuations de la tension de la batterie. Le boîtier de commande est constitué de deux circuits imprimés comportant environ 300 composants au total, dont 70 semi-conducteurs. Depuis le premier volet, l’incontournable “mesure de la quantité d’air pour déterminer la quantité d’essence” revient systématiquement. Avec une injection électronique, le pilotage des injecteurs se fait par intermittence : on parle alors d’injection séquentielle. Outre la quantité d’essence à injecter, il faut aussi déterminer le moment propice où l’on va commander l’ouverture de l’injecteur, et c’est grâce aux capteurs que le boîtier électronique va pouvoir les piloter. La mesure de la masse d’air est réalisée indirectement car la D-Jetronic ne comporte pas de débitmètre. C’est donc l’association du capteur de pression collecteur (9) et la mesure de température de l’air (8) aspiré qui vont permettre au boîtier de commande (15) de déterminer la masse d’air admise, puis la quantité d’essence à injecter. La section de l’injecteur (5) étant fixe, la quantité d’essence injectée dépend du temps d’ouverture de celui-ci. Un temps variant entre 2 et 12 ms pour le moteur de Renault 17 Gordini, ce qui correspond à des valeurs courantes. Le fonctionnement de la D-Jetronic est principalement géré par la pression régnant dans le collecteur d’admission (6) et le régime de rotation du moteur.
MESURE DE LA MASSE D’AIR
La sonde (9) mesure la différence entre la pression atmosphérique et la pression absolue qui règne dans le collecteur d’admission en aval du papillon (10). Cela permet d’évaluer la charge du moteur puisque la valeur de la pression est fonction de la position du papillon. La sonde comporte deux capsules barométriques dont les variations modifient la position d’une tige métallique au bout de laquelle est fixé un noyau. Ce dernier se déplace à l’intérieur d’un circuit magnétique constitué d’une bobine. Le mouvement du noyau change la valeur de l’inductance de celle-ci ; c’est une transformation d’une mesure pneumatique en signal électrique. L’avantage de cette sonde est qu’elle permet de tenir compte de toutes les causes influant sur la pression : altitude, conditions atmosphériques, état du filtre à air. Pour déterminer la masse d’air aspirée, il est nécessaire de connaître la température de celle-ci. La sonde de température d’air (8) est composée d’une enveloppe métallique dans laquelle est logée une thermistance. La résistance de celle-ci varie en fonction de la température et permet au boîtier électronique de connaître la température de l’air de manière quasi permanente. e va pouvoir les piloter.
LES FONCTIONS D’ENRICHISSEMENT
Nous allons retrouver des similitudes avec la K-Jetronic, mais chronologiquement, c’est celle-ci qui a repris les solutions de la D-Jetronic. Enrichissement de pleine charge :
Pour obtenir la puissance maximum et pour des questions de tenue du moteur, il est nécessaire d’enrichir le mélange à la pleine charge. Comme évoqué plus haut, c’est la sonde de pression associée au capteur de papillon des gaz qui va indiquer au boîtier de commande d’allonger le temps d’injection. Enrichissement départ à froid :
Moteur froid, il est nécessaire de fournir au moteur une quantité d’essence supplémentaire. C’est le rôle de l’injecteur de départ à froid. L’impulsion pilotant celui-ci ne provient pas du boîtier de commande, mais du contacteur de démarrage allié au thermocontact temporisé. Il intervient uniquement lorsque la température du moteur est basse et limite la durée de fonctionnement de l’injecteur de départ à froid (entre 5 et 20 s).
Enrichissement d’échauffement : Comme déjà précisé sur la K-Jetronic, il faut augmenter le couple moteur jusqu’à ce que le moteur atteigne sa température de fonctionnement. Il est nécessaire d’accroître la quantité d’air entrant dans le moteur grâce à la commande d’air additionnel (11). La sonde de pression réagit aussitôt et provoque l’apport d’une quantité d’essence plus importante. A l’intérieur de la commande d’air additionnel se trouve un élément à fort coefficient de dilatation qui plonge dans le liquide de refroidissement. Sous l’effet de la chaleur, cet élément repousse un piston qui diminue la section de passage de l’air. Celle-ci se ferme entièrement à une température d’environ 60°C. L’information de la sonde de température de liquide de refroidissement (13) indique au boîtier de commande qu’il faut une augmentation de la richesse du mélange, donc du temps d’injection qui diminue progressivement lorsque la température du moteur augmente.
LE SYSTÈME D’ALIMENTATION D’ESSENCE
On retrouve une structure somme toute classique déjà vue sur les injections mécaniques (mis à part les injecteurs électromagnétiques) composée d’une pompe à essence électrique (2), d’un filtre (3), d’un régulateur de pression (4), des injecteurs (5) et d’un injecteur de départ à froid (7). La pompe (2) est constituée d’un moteur électrique qui entraîne une pompe à rouleaux. L’ensemble baigne dans l’essence. Aucun risque d’incendie entre le moteur électrique et l’essence car il n’y a pas d’oxygène. La pompe est activée par le boîtier de commande : lorsqu’on met le contact, elle tourne pendant environ une seconde pour mettre le circuit en pression. Elle ne sera remise en service qu’au démarrage du moteur afin d’éviter qu’un injecteur endommagé ne noie le cylindre correspondant. En cas de surpression dans le circuit, un clapet de sureté permet le retour de l’essence de la partie refouIante à la partie aspirante de la pompe. Le filtre à essence retient les impuretés qui pourraient endommager les composants du circuit d’essence. Le régulateur maintient la pression d’essence à environ 2 bars. Le principe de fonctionnement est classique : dès que la pression d’essence dépasse 2 bars, un clapet s’ouvre et autorise le passage de l’essence vers le réservoir. Le clapet ne cesse de s’ouvrir et de se fermer pour obtenir la régulation de la pression.
Le régulateur de la D-Jetronic a la particularité d’être réglable. Un injecteur attribué à chaque cylindre est monté sur le conduit d’admission et pulvérise l’essence directement sur la soupape. Ces injecteurs sont pilotés par le boîtier de commande de type électromagnétique dont le principe de fonctionnement est le suivant : une aiguille est solidaire d’un noyau plongeur qui se translate dans une bobine. Lorsque le boîtier de commande alimente la bobine, on a un phénomène d’électroaimant. Le noyau plongeur se déplace dans la bobine, l’aiguille se soulève de son siège et permet le passage de l’essence. L’injecteur de départ à froid est monté sur le collecteur d’admission et injecte une quantité d’essence. Il est à effet giratoire et va imprimer un mouvement de rotation à l’essence injectée afin “d’arroser” le collecteur d’admission. A ce stade du développement de l’injection électronique, la D-Jetronic ne sait pas gérer complètement le système puisque les fonctions liées à l’enrichissement sont surtout mises en oeuvre par des composants indépendants du boîtier de commande.
Le corps (1) est constitué de deux chambres : la A est à la pression atmosphérique, la B est soumise à la pression qui règne entre la soupape d’admission et le papillon des gaz.
Au ralenti :
La pression atmosphérique est très supérieure à la pression “collecteur” car la dépression dans le collecteur est maximum, le papillon des gaz étant quasi fermé. Les deux capsules manométriques (2) sont dilatées, entraînant un mouvement du noyau (5) vers la droite qui se retrouve partiellement hors de la bobine (3). La membrane (9) est alors contre la butée de charge partielle (8). Electriquement, cela se traduit par une inductance faible, donc une impulsion électrique brève reçue par le boîtier de commande. Celui-ci déterminera le temps d’ouverture qui, dans ce cas, sera court. Ce qui est valable pour le ralenti l’est également pour les faibles charges : c’est le capteur de papillon des gaz qui permet au boîtier de commande de faire la différence entre ces deux situations.
En charge partielle :
La pression atmosphérique est supérieure à celle “collecteur”. La membrane se place contre la butée de charge partielle. Ce sont les deux capsules légèrement comprimées qui régissent la position du noyau. Ce dernier se déplace vers la gauche quand on passe de la faible charge vers la charge partielle. Une plus grande partie du noyau se trouve dans la bobine ; cela se traduit par une augmentation de l’inductance et donc un temps d’injection moyen.
En pleine charge :
Les pressions atmosphériques et “collecteur” sont quasiment équivalentes car le papillon des gaz est grand ouvert. Les deux capsules sont comprimées. Le ressort pousse la membrane contre la butée de pleine charge. Ce déplacement supplémentaire à celui des capsules indique au boîtier de commande l’état de pleine charge. Le noyau prend sa position maximum dans la bobine ; cela se traduit par une forte inductance. Ce signal associé à celui de capteur de papillon des gaz va engendrer un temps d’injection maximum.
POINT DE DéBUT D’INJECTION
Le moment où l’on va ouvrir les injecteurs est fonction de la position du vilebrequin. Pour obtenir cette information, l’allumeur spécifique comporte, dans sa partie inférieure, sous le dispositif d’avance centrifuge, deux contacts de déclenchement décalés de 180° l’un par rapport à l’autre. Ils sont commandés par une came située sur l’arbre de l’allumeur et envoient au boîtier de commande un signal pour déclencher le début de l’injection. La mesure du temps entre deux impulsions permet de déterminer le régime moteur. On observe, sur le diagramme d’injection cidessous, que les injecteurs sont commandés deux à deux. Pour le cylindre 1, le début d’injection a lieu un demi-tour avant la soupape d’admission. Pour le cylindre 3, ce sera un tour. C’est le système des deux interrupteurs qui implique cette solution. Pour les 6 cylindres, les injecteurs sont pilotés par groupe de trois. Pour avoir une commande séparée, il aurait fallu un interrupteur par injecteur, mais il n’y a pas la place dans l’allumeur.
COUPURE DE L’ARRIVÉE D’ESSENCE EN DÉCÉLÉRATION
Cette fonction illustre les avantages que l’injection électronique peut avoir. Lorsque l’on relâche la pédale d’accélérateur, le phénomène de frein moteur se produit. Le papillon des gaz est fermé et, pour un régime moteur supérieur à 1 850 tr/mn, l’injection d’essence est interrompue. Les informations nécessaires sont transmises au boîtier de commande par les contacts de déclenchement de l’allumeur (régime moteur) et par l’interrupteur de papillon. L’alimentation en essence reprend pour un régime moteur de 1 200 tr/mn et également dès que le conducteur accélère. Quand le moteur est froid, les valeurs Iimites sont augmentées d’environ 300 tr/mn.
Née quelques années avant la K-Jetronic, la carrière de la D-Jetronic s’avérera assez courte, les constructeurs préférant finalement la solution mécanique, sans doute parce que sa maintenance déroutait moins les réseaux SAV. Dans le prochain volet, nous aborderons la Bosch L-Jetronic et ses évolutions : c’est elle qui va permettre à l’injection électronique de s’installer définitivement. ■