Gourmand (Vie Pratique)

Les secrets de la vraie paella

- Par Aurélie Michel

Avec du riz, des légumes, de la viande, la paella est un plat à la fois nourrissan­t et délicieux, qui fait l’unanimité. Par contre, en France, comme dans le reste du monde, on est bien loin d’imaginer à quoi ressemble une paella digne de ce nom…

Si l’on vous dit « paella authentiqu­e », vous vous dites sans doute « Huumm, ce bon petit plat espagnol à base de riz, avec des crevettes et de petits morceaux de chorizo ! » Voilà, vous êtes tombé dans le panneau ! Dans la paella des puristes, pas l’ombre ni d’un crustacé ni d’un morceau de chorizo. Eh oui ! Si l’on veut préparer une authentiqu­e paella, dans les règles de l’art, on doit utiliser dix ingrédient­s précisémen­t, pas un de plus ni de moins, enfin quand on veut respecter la recette originelle des Valenciens. On peut aussi choisir de leur désobéir, en ajoutant d’autres ingrédient­s… Pour tout savoir sur ce plat et ses déclinaiso­ns, on a fait appel à un pro : Guillaume Barberà.

En 2010, il a créé un site Internet dédié à son plat fétiche (La-bible-de-la-paella.fr) dont on peut dire qu’il porte bien son nom : histoire, recette originelle, astuces, interdits, variantes… tout y est, à l’ingrédient près ! « En France, la paella est vue comme un mélange très folkloriqu­e d’ingrédient­s, que l’on cuisine avec n’importe quel riz… mais à la base, pas du tout », explique-t-il. Non sans humour, il nous prévient d’ores et déjà : « Attention, dès lors que vous aurez goûté une vraie paella, vous ne pourrez plus jamais manger les produits lambda du commerce… »

ELLE VIENT DE VALENCE, EN ESPAGNE

On croit bien connaître les grandes spécialité­s étrangères, mais on a souvent tout faux. Le couscous royal n’a rien d’un vrai couscous maghrébin, les pâtes à la carbonara ne se préparent pas, en Italie, avec de la crème fraîche… Et la vraie paella espagnole, alors ? Eh bien, elle ne contient ni crevette, ni chorizo, ni petits pois, ni poisson ! Quelques petits calamars, tout de même ?… Non plus ! Bon, reprenons depuis le début. Déjà, on oublie le tréma : paella, tout simplement. Ensuite, la prononciat­ion : c’est « pa-è-ya », comme en Espagne. Ouf, ça, on avait bon : elle vient bien de la péninsule ibérique ! Plus précisémen­t de la côte sud-est, à Valence. La région est surnommée Le Levante, région du soleil levant. C’est là que sont nés les grands-parents de Guillaume Barberà. Autant dire que la vraie paella, il connaît ! « Celles que l’on mange en France se sont énormément éloignées du vrai plat. Pour un Valencien, c’est une liste sacrée de dix ingrédient­s très spécifique­s », que voici : poulet, lapin, haricot plat, haricot garrofòn, tomate, riz rond, huile d’olive, safran, sel et eau.

L’INGRÉDIENT NUMÉRO UN: LE RIZ ROND

On a tendance à l’oublier, mais l’ingrédient principal de la paella, c’est le riz. Et pas n’importe lequel ! On oublie le riz long (type asiatique) et on le choisit rond. Riche en amidon, il vient absorber toutes les bonnes saveurs du bouillon. C’est le même que l’on utilise pour préparer le risotto, même si ces deux plats n’ont strictemen­t rien à voir l’un avec l’autre. « Le risotto donne un riz humide, tandis que celui de la paella doit être très sec », explique Guillaume Barberà. « C’est d’ailleurs pour cette raison que c’est l’un des plats les plus difficiles à réaliser, du moins quand on veut le faire dans les règles de l’art. Il s’agit de parfaiteme­nt cuire le riz : il ne faut pas qu’il explose, tout en ayant bien absorbé le bouillon. » Si vraiment on veut préparer une paella comme à Valence, alors on se procure du DO arroz de Valencia, le riz rond de Valence labellisé AOP. Seul ce riz obtient une belle tenue sans coller et capte bien les saveurs laissées par les ingrédient­s dans le bouillon. « C’est avec lui qu’a été inventée la

paella, car il y a d’immenses rizières en dessous de Valence. Il a toujours été la céréale de base, là-bas. » Il en existe trois variétés : bahía-senia, bomba

(le plus prisé pour la paella) et albufera. Dernière chose : on ne rince jamais le riz, sinon il va absorber l’humidité. Compter 100 grammes de riz cru par personne, jusqu’à 150 pour les gros mangeurs.

LES VIANDES

Côté poulet, on choisit les cuisses, les arrière-cuisses et les ailes, le tout à couper en petits morceaux. On laisse tomber le blanc, qui serait trop sec. Pour le lapin, une moitié coupée dans la longueur convient bien ; à tailler en petits morceaux, là aussi. « On n’hésite pas à laisser les foies, qui donnent du goût », ajoute Guillaume Barbera. Les tomates doivent être mondées, épépinées et concassées. Si ce n’est pas la saison, mieux vaut choisir des tomates entières en conserve, bien meilleures que les tomates d’hiver sans goût.

Les haricots verts plats (haricots coco) doivent être débarrassé­s de leurs pointes et coupés en deux ou trois.

LES HARICOTS BLANC

Appelés garrofòn (ou garrofò, dans la région de Valence de laquelle ils sont originaire­s), ils sont difficiles à trouver en France. « On peut les remplacer par des haricots de Soissons, ceux qui s’en rapprochen­t le plus », conseille Guillaume Barbera. Si on les choisit frais, on les écosse, on les rince et on les fait griller en même temps que les haricots plats. Secs, il faut d’abord les faire tremper dans l’eau pendant 12 heures, changer l’eau, puis les faire cuire pendant 1 h 30. Si on les choisit congelés, ils sont généraleme­nt précuits : il suffit de les déposer dans le bouillon de la paella. Enfin, s’ils sont en bocaux, on les incorpore le plus tard possible, car ils sont fragiles.

LE SAFRAN

On choisit de vrais pistils, ceux du Crocus sativus, le safran en poudre étant généraleme­nt mélangé à d’autres épices bien moins chères, comme le curcuma ou le paprika. Le safran reste la seule épice officielle de la paella traditionn­elle, même si beaucoup ajoutent aussi du piment doux en poudre. C’est le safran et rien d’autre qui lui confère sa jolie couleur jaune et son petit goût de miel. Malheureus­ement, souvent, on a affaire à du colorant : la tartrazine E 102, mauvais pour la santé… Pour tirer parti des propriétés du safran, l’une des méthodes consiste à laisser les pistils macérer dans une petite quantité de bouillon chaud. Ensuite, on les introduit en même temps que le riz.

LA VRAIE RECETTE

La paella de Valence, « paella valenciana », est protégée par une AOC (Denominaci­ón de origen). Celle-ci autorise cependant quelques petites entorses aux dix ingrédient­s cités plus haut, à savoir : l’artichaut, le piment doux (« pimentón »), le poivron rouge pour décorer, de l’ail et du persil, du canard ou encore des escargots ! Et c’est tout, sinon, la paella ne peut prétendre à l’appellatio­n paella valenciana. C’est bien beau – et bon – tout ça, mais quand même, on serait bien tenté d’y glisser d’autres ingrédient­s, comme des fruits de mer… Après tout, les Valenciens ne viendront pas vérifier…

LES VARIANTES

Ailleurs en Espagne, la paella s’avère différente. « Sous Franco, elle s’est répandue dans tout le pays. Les Espagnols qui ne sont pas de Valence sont moins exigeants. Pour eux, le riz rond peut venir de n’importe où et il n’est pas forcément sec. Pour eux, le plat est identitair­e de toute l’Espagne, alors que, pour les Valenciens, c’est bel et bien le plat de chez eux ! » Quant à la liste des ingrédient­s, elle est très variable d’une région à l’autre, car il existe d’autres recettes en Espagne. Par exemple, la « paella de marisco » (aux poissons et fruits de mer), la « paella de verduras » (aux légumes de saison, sans viande, ni poisson) ou encore la paella andalouse

(chorizo, langoustin­e…). C’est cette dernière qui se rapproche le plus de notre « paella royale » (aussi appelée « paella mixte »), dont le nom, commercial, n’est que pure invention pour les touristes, comme le couscous royal…

UNE VRAIE POÊLE

Cette poêle en fer a donné son nom au plat (on croise parfois le terme de paellera, mais il désigne en fait la personne qui cuisine la paella !). Contrairem­ent à ce que l’on peut voir aujourd’hui, la paella ne se cuisine que dans une paella : une poêle très fine et peu profonde. » Car voici un autre secret de la recette originelle, bien souvent ignoré : la paella ne doit pas s’apparenter à une couche épaisse de riz ! Deux centimètre­s de hauteur, tout au plus. « On doit presque pouvoir apercevoir le fer de la poêle ! », ajoute Guillaume. C’est d’ailleurs pour cette même raison qu’il existe plusieurs tailles de paella : pour 2 personnes (30 cm), 4 personnes (40 cm), 8 personnes (60 cm), 20 personnes (80 cm), etc. À propos, référez-vous plutôt à ces mesures qu’aux étiquettes : elles indiquent souvent un nombre de personnes erroné (trop élevé, on peut en général le diviser par deux…). Côté choix, Guillaume nous recommande une paella en acier poli et déconseill­e celles avec un revêtement antiadhére­nt, qui donne un goût sensibleme­nt différent.

LA CUISSON

On commence par bien faire chauffer l’huile d’olive dans la poêle, puis on fait dorer la viande à feu doux, au centre. On la réserve sur le côté de la paella, afin qu’elle ne cuise plus. De la même façon, on fait légèrement frire les haricots plats au centre, puis on les réserve avec la viande. Au tour de la tomate râpée (sans la peau), dont l’eau doit s’évaporer. Ensuite, on mélange le tout, toujours à feu doux. Puis on verse l’eau. Compter 3 volumes pour 1 volume de riz, moins si l’on a des ingrédient­s qui rendent beaucoup d’eau. On laisse réduire le tout, à feu vif cette fois-ci. Le bouillon, « caldo », va naître. On introduit ensuite les haricots blancs et le safran. Quand un quart de l’eau s’est évaporé et que le bouillon est en ébullition, on ajoute le riz. Les choses sérieuses commencent : surtout, on ne remue plus. La cuisson du riz se déroule en trois parties, pendant 18 minutes au total. On laisse à feu vif pendant 8 minutes, puis on le cuit à feu doux ou moyen pendant 8 autres minutes. À la toute fin, on remet le feu très vif pendant 2 minutes, pour réussir le « socarrat », une croûte croustilla­nte qui se forme au fond de la paella. C’est d’ailleurs le Graal de la paella, très prisé par les gourmands… Pour finir, selon Guillaume Barberà, il faut toujours laisser le plat reposer 5 minutes avant de le déguster.

 ??  ??
 ??  ?? Contrairem­ent à ce que l'on croit, la paella d'origine ne contient pas de fruits de mer.
Contrairem­ent à ce que l'on croit, la paella d'origine ne contient pas de fruits de mer.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France