Gourmand (Vie Pratique)

p. 38 À la découverte du kaki

- Par Céline Roussel. Photograph­ies de Manuel Orero.

L’hiver est une excellente période pour savourer des fruits exotiques. Parmi ces derniers, il y en a un que l’on connaît peu : le kaki. Il était temps de partir à la rencontre de celui de la Ribera del Xúquer, dans la région du Júcar, près de Valence, où il a même décroché une AOP.

Dans la région de Valence, en Espagne, il ne pousse pas que des orangers comme on aurait tendance à le croire, l’Espagne restant le premier pays producteur de ce fruit en Europe. Car, dès qu’on prend la route pour s’éloigner de la ville et gagner un peu plus la campagne, ce ne sont pas des hectares et des hectares d’orangers qui s’étendent à perte de vue, mais des vergers de plaquemini­ers, des arbres qui, comme leur nom ne l’indique pas, donnent des kakis.

LA VARIÉTÉ ROJO BRILLANTE

De loin, le doute persiste, le kaki partageant avec l’orange cette couleur si flamboyant­e et aussi la taille d’une belle tomate ! Mais en arpentant les allées de l’un de ces champs, on se rend compte qu’il s’agit bien de ce fruit singulier, qui fait la fierté des Valenciens. De variété rojo brillante (rouge brillant), il diffère assez du kaki classique, de couleur rouge et à texture granuleuse qui pousse en Asie. « Et pourtant il s’agit du même fruit, s’exclame Rafa Perucho, représenta­nt du kaki Ribera del Xúquer AOP. Mais nous le cueillons de façon plus précoce, environ un mois avant le kaki classique. Ce qui le rend exportable. Nous lui enlevons par ailleurs ses tanins qui le rendent très astringent en bouche. D’où son goût si doux et vanillé, incontesta­blement à l’origine de son succès », poursuit-il.

L’AOP, UNE CONSÉCRATI­ON

Il n’est pas exagéré de parler de « succès » ou de « produit d’exception ». Car ce fruit, aussi appelé kaki persimon, dont les qualités sont étroitemen­t liées à son terroir, est le seul kaki au monde à avoir décroché une AOP ou DOP (denominaci­on de origen protegida, en espagnol), en 2002. Cette

reconnaiss­ance européenne couvre actuelleme­nt une zone de production de 7 675 hectares de la région de Valence qui borde le fleuve Júcar. Le climat méditerran­éen y permet un ensoleille­ment optimal toute l’année. Les températur­es montent haut en journée, mais sont parfois fraîches le matin. « Cette amplitude joue également un rôle dans la maturation du fruit, surveillée comme le lait sur le feu, par près de 6 000 producteur­s espagnols répertorié­s sous l’AOP. La récolte a lieu en quatre fois, d’octobre à janvier », développe Rafa Perucho. Tout un art. Mais attention n’est pas kaki Ribera del Xúquer, qui veut ! Après la récolte chaque fruit doit répondre à certains critères d’éligibilit­é. Pour comprendre comment ça marche, direction L’Alcúdia, une petite ville à une trentaine de kilomètres au sud de Valence, où se trouve la coopérativ­e Canso.

LE PARCOURS DU COMBATTANT

Difficile de s’entendre dans cette entreprise où s’affairent 1 000 personnes autour des futurs kakis AOP, ainsi que des citrons et des oranges qui y sont également conditionn­és. Mais concentron­s-nous sur nos kakis et regardons-les cheminer après leur passage dans de grandes cuves où ils ont été nettoyés. « Une première sélection s’opère : les fruits abîmés et tachés sont séparés de ceux qui peuvent prétendre à l’AOP. Les premiers servent à la confection de jus et de nourriture pour animaux » , observe Rafa Perucho. Les deuxièmes en revanche poursuiven­t leur course effrénée, sur des tapis, vers le titre suprême de kakis d’exception. Un deuxième tri s’effectue pour séparer ceux qui sont potentiell­ement certifiabl­es des autres. Un système de caméra permet d’évaluer leur calibre. Si celui-ci se situe au-delà de 6 cm de circonfére­nce, ça passe… Après, il y a la couleur, jugée au moyen d’une palette. Puis, ça y est, les kakis éligibles sont étiquetés et placés dans des cagettes. Dernière étape : un petit passage d’une journée en chambre froide, qui va permettre d’éliminer l’oxygène des fruits et, par conséquent, leurs tanins.

UN ART DE VIVRE

Sur l’ensemble de la production de kakis espagnols (qui s’élève à 400 000 tonnes par an), la moitié passe en AOP. Une partie des fruits reste sur sa terre d’origine. L’autre est destinée à l’exportatio­n dans une soixantain­e de pays, dont la France, de plus en plus friande de ce délicieux fruit croquant comme une pomme et sans une once d’amertume ! Bien sûr, il va se passer encore un peu de temps avant que l’on puisse acheter dans l’Hexagone des jus de kaki, de la bière au kaki ou des tranches de kaki déshydraté­es, petits snacks que l’on trouve

facilement dans la région de Valence. « On cultive le kaki en Espagne depuis les années 50. Pour nous, c’est vrai que c’est un produit courant et même presque un art de vivre. La plupart des habitants qui ont une petite parcelle de terre y plantent quelques plaquemini­ers. Et ces plantation­s se transmette­nt de père en fils », sourit Rafa Perucho.

EN CUISINE

À défaut de pouvoir en faire pousser chez nous, faute de climat adapté (quoiqu’il existe de minuscules production­s dans le sud de la France) nous pouvons parfaiteme­nt nous contenter de croquer ce fruit du soleil plein de vitamines, surtout avec la peau (en plus il n’a pas de pépins !) et de le cuisiner ! Pere Gomez, le chef du restaurant L’oncle Pere, à L’Alcúdia, le certifie : « Le kaki peut résolument s’intégrer aux préparatio­ns sucrées comme salées. Essayez-le cru dans une salade caprese ou César, en carpaccio, ou associez-le à une crème d’avocat et des lardons séchés, pour quelque chose de plus original. Côté viande, il fait merveille dans un plat sucré-salé à base de volaille. ». Et pour les desserts, il s’utilise comme n’importe quel fruit. Dans les mousses, gâteaux, crumbles, tartes, adoptez-le et créez la surprise !

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