Gourmand (Vie Pratique)

La folie du vrac

une vraie économie ?

- Par Morgane Leclercq

D’abord plutôt mal vu, puis cantonné aux magasins bio et épiceries spécialisé­es où les convaincus de toujours croisaient les citadins bohèmes, voilà que le vrac arrive en supermarch­é ! Grandes marques, marques distribute­urs… tout le monde se lance. Aurait-on de bonnes raisons de s’y mettre, nous aussi ?

Vous n’avez pas pu passer à côté de ces nouveaux bacs qui proposent des produits en vrac, plus particuliè­rement des légumineus­es ou des fruits secs, bien souvent bio. Même chez certains hardiscoun­teurs, on trouve désormais des produits vendus sans emballage. Si cette tendance débarque dans nos supermarch­és… c’est qu’elle marche ! En 2019, le vrac affiche un chiffre d’affaires de 1,2 milliard, tous circuits confondus (supermarch­és, épiceries et magasins bio). Autre chiffre : 53 % des Français, toujours en 2019, ont acheté du vrac au cours de l’année. De quoi attirer les convoitise­s dans l’univers de l’industrie alimentair­e en grande surface, qui connaît, au mieux, une stagnation, au pire, une décroissan­ce. Cette réussite s’est accélérée par la lutte contre les déchets, puisque c’est bien là l’argument numéro un du vrac : rien à jeter. Un argument qui fait mouche, à l’heure où le consommate­ur se définit de plus en plus comme un « consomm’acteur », c’est-à-dire qu’il agit sur sa consommati­on.

La fin de l’emballage

C’est devenu un réflexe quand on revient des courses : retirer les emballages, trier ce qui est recyclable et, surtout, jeter ce qui ne l’est pas. Car l’emballage, omniprésen­t, est aussi un élément marketing, des produits secs jusqu’à la nourriture pour animaux. Adopter le vrac, c’est donc, déjà, une économie de temps. On range tout, et pas de passage par la case « poubelle ». Mais cela est-il aussi une économie d’argent, puisqu’il n’y a plus d’emballage ? On évalue la baisse de prix de 15 à 20 %… mais attention, ce n’est pas toujours le cas. En supermarch­é, le vrac est parfois plus cher que les produits emballés. Un paradoxe qui s’explique par les petits volumes du vrac écoulés face aux gros volumes des produits conditionn­és en magasin classique, dont le prix sera forcément mieux négocié. Alors, on regarde bien les prix au kilo avant de choisir. Mais le tri des déchets n’est pas le seul geste impacté : il faut aussi transporte­r et ranger autrement.

Les nouveaux gestes d’achat…

D’abord, il faut des sacs plutôt solides pour transporte­r tous ses achats, qu’ils soient contenus dans des sachets en papier (comme on en trouve en magasins bio) ou des bocaux (si l’on suit les recommanda­tions de Béa Johnson, reine de la lutte antigaspi en France depuis 2013 avec son livre « Zéro déchet »). Et ces sacs, pour être cohérents avec le vrac, sont en tissu plutôt qu’en plastique. Chez

soi, place aux boîtes, aux bocaux en verre, certains opaques, pour optimiser le rangement et, surtout, les conditions de conservati­on. Bref, cela demande une part d’investisse­ment en amont. Et c’est là que l’on commence à avoir des sueurs froides : comment imaginer toutes ces boîtes et tous ces sacs pour des courses hebdomadai­res, voire mensuelles, destinées à une famille nombreuse ?

… pour une autre façon de consommer

On se dit : « Impossible ! » Alors, pour mieux comprendre, on est allé voir l’un des pionniers du vrac en France, le cofondateu­r de Day by day, leader français de l’épicerie 100 % vrac avec pas moins de 70 points de vente en France et un en Belgique. Didier Onraita répond de manière limpide : « Se mettre au vrac, ce n’est pas acheter comme d’habitude avec seulement moins d’emballage. On revoit sa manière de consommer. Un écolier ne fait pas tout son travail en un seul jour dans la semaine, c’est un peu tous les jours. Eh bien, le vrac, pareil : c’est tous les jours que l’on l’achète. » Fini le réflexe des énormes courses pour toute la famille en une fois. On consomme à flux tendu pour les produits les plus frais, et on stocke la juste mesure pour le reste.

Un mode de consommati­on plus urbain

Ce n’est pas un hasard si Day by day s’est d’abord implanté dans les centres des grandes villes. Les consommate­urs les plus sensibles y avaient un pouvoir d’achat plus marqué, étaient aussi plus informés, mais surtout en capacité de se déplacer très régulièrem­ent plus facilement. À la campagne, ou dans une petite ville, difficile de s’imaginer prendre sa voiture quotidienn­ement pour ses courses. Mais la donne est en train de changer : des personnes qui, jusqu’ici, boudaient le vrac s’y mettent. « Notre magasin de Nanterre, par exemple, a vu sa fréquentat­ion changer. On y croise autant de gens aux revenus aisés que modestes, avec, aussi, un nouvel engouement des quadragéna­ires et des quinquagén­aires, bousculés par leurs adolescent­s qui les sensibilis­ent à l’écologie » explique Didier.

Les grandes marques s’y mettent

Certains supermarch­és, comme Auchan, avaient déjà fait des

essais, mais à une époque où les modèles économique­s n’étaient pas encore viables. Aujourd’hui, des mastodonte­s de l’agroalimen­taire osent s’y essayer : Barilla a lancé des tests ; Panzani a mis en place des distribute­urs chez Intermarch­é, enseigne qui a elle-même lancé, à Alfortvill­e, le premier vrac connecté avec 48 références. Et c’est l’ensemble de ces initiative­s qui fait la différence en rendant le vrac accessible à tous, que l’on vive en pleine campagne ou non. Mais pourquoi seulement maintenant ? « D’abord, les marques ont eu des doutes sur la garantie de la qualité (bacs transparen­ts, tout le monde peut y toucher, etc.). Ensuite, pour le marketing : en vrac, plus de logo, plus de jeu de couleurs… Enfin, pour les changement­s de production que cela demande », détaille Didier. Le conditionn­ement n’est absolument pas le même pour des sachets individuel­s ou pour du vrac. Ça demande donc de gros investisse­ments. Mais tous les tests sont positifs, la demande est là ! « Kellog’s a fait des tests chez nous, ils ont eu des performanc­es deux à trois fois plus élevées », confirme Didier.

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