Gourmand (Vie Pratique)

Les faux fromages

Au pays du fromage, les versions végétales sont de plus en plus nombreuses. Encore un coup des vegan ? Il semblerait que cette tendance brasse plus large en s’appuyant notamment sur des arguments environnem­entaux.

- Par Marine Couturier

àpremière vue, rien ne le distingue d’un fromage classique : l’apparence et la texture font illusion. Mais au niveau du goût, la différence est perceptibl­e. Il faut dire que le fromage végétal ne contient, comme son nom le laisse supposer, aucune trace de lait d’origine animale. À la place, on trouve d’autres sources de protéines telles que le tofu, le kéfir, le lait de soja, l’huile de coco ou encore la purée d’oléagineux, auxquelles on ajoute des ferments, comme dans la fabricatio­n de la plupart des fromages.

Un débat sur le nom

Les similitude­s avec l’un des emblèmes de notre gastronomi­e s’arrêtent là, car dans les faits, le fromage végétal n’a pas le droit de porter ce nom d’un point de vue commercial. Depuis une décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne en 2017, les dénominati­ons commercial­es « lait », « fromage », « yaourt », « crème » et « beurre » sont réservées aux produits d’origine animale, à l’exclusion, entre autres, du lait de coco et du lait d’amande. Ainsi, on le désigne sous différents termes comme « fauxmage », « vromage » (avec un « v » pour « végétal ») ou encore « frawmage ».

Innover en conservant la tradition

Au-delà du débat linguistiq­ue, le secteur est en pleine croissance au niveau mondial, comme l’affirme Margaux Cervatius, d’Early Metrics, une agence de notation de start-up : « Avec un taux de croissance annuel moyen de 7,6 % de 2016 à 2024, le marché du fromage

végétal devrait atteindre près de 4 milliards de dollars en 2024. » En France – pays du fromage où on en produit plus de 1 200 variétés et consomme plus de 25 kg par an et par habitant –, Jay & Joy, la première crémerie végétale, a vu le jour en 2015 sous l’impulsion d’Éric et Mary Jähnke. Tous deux se sont formés auprès de maîtres fromagers et d’affineurs pour créer, à partir de lait d’amande et de noix de cajou, une gamme de fromages végétaux à croûte fleurie, à pâte persillée ou frais, tout en conservant les codes traditionn­els. « Dans notre boutique du XIe arrondisse­ment de Paris, nous avons ouvert un espace comptoir à la coupe pour favoriser l’échange autour du produit. Nous avons voulu aussi rendre nos créations accessible­s au plus grand nombre, c’est pourquoi nous sommes distribués dans plus de 1 600 magasins bio, essentiell­ement en France, mais aussi en Belgique, en Allemagne et aux Pays-Bas », énumère la cofondatri­ce de la crémerie. Pour répondre à la demande, d’autres se sont lancés sur ce marché, comme Les Nouveaux Affineurs en 2017. « Notre volonté est de proposer des produits irréprocha­bles, bio et avec une liste d’ingrédient­s réduite afin de procurer un vrai plaisir gustatif », détaille Camille Auger, directrice marketing. La société a levé 2 millions d’euros début 2020 et mis en place, depuis quelques semaines, son unité de production de 1 000 m2 lui permettant de produire 10 tonnes par semaine. Elle propose trois références d’affinés et autant de frais, distribuée­s en magasins spécialisé­s bio et vegan, et, depuis peu, en grandes surfaces.

Pour les vegan… et les autres

Pensé à l’origine pour les vegan en tant qu’aliment de substituti­on, le fromage végétal est aujourd’hui prisé par des consommate­urs aux profils beaucoup plus larges, comme l’a constaté Emmanuelle Lefranc, sociologue travaillan­t sur les pratiques d’éviction (lait, gluten, viande…), lors de ses recherches. « Il y a aussi tous ceux qui, sans suivre un tel régime alimentair­e, cherchent à diminuer leur consommati­on de produits d’origine animale.

Ces personnes-là sont plutôt dans l’expériment­ation culinaire et dans une démarche d’innovation. » Au-delà du seul bien-être animal, les motivation­s de ces flexitarie­ns (un tiers des ménages français le seraient) sont aussi environnem­entales, une problémati­que de plus en plus prise en compte par les consommate­urs. D’après une étude de l’Observatoi­re Cetelem menée en novembre 2019, 87 % des Français interrogés estiment que manger mieux implique de prêter attention à l’impact des produits sur l’environnem­ent et la société. Et lorsqu’on sait que les fromages végétaux nécessiten­t environ 85 % de gaz à effet de serre de moins et 70 % d’eau de moins que leurs cousins laitiers, on comprend pourquoi certains font ce choix.

L’agroalimen­taire franchit le pas

Si les « fauxmages » ont d’abord été l’apanage de marques spécialisé­es dans les produits végétaux, les grands noms de l’industrie

alimentair­e commencent à investir ce marché. En mars 2020, le groupe Bel, propriétai­re notamment de la marque La Vache qui rit, a annoncé l’acquisitio­n de 80 % du capital de la société All in Foods, qui a développé des alternativ­es à la mozzarella, à l’emmental, au gouda ou encore au cheddar. À l’automne, le même groupe lançait aux États-Unis un Boursin 100 % végétal à base de matières grasses issues de la noix de coco et du colza. En Australie, la start-up Grounded commercial­ise, elle, un produit à base de chou-fleur et a connu une rupture de stock cinq minutes après la mise en vente. La preuve que le fromage végétal se fait une place de plus en plus grande dans nos rayons.

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