GP Racing

LA FACE CACHÉE DE LA LUNE

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Le soleil et la lune... Les motifs du jour et de la nuit sur le casque de Rossi sont connus de tous. Et le côté sombre, il nous l’a montré en remerciant son chef mécanicien, Jerry Burgess. Toutefois, on pourra reconnaîtr­e à Valentino une certaine délicatess­e, lorsqu’on l’a vu affi cher un air honteux, la nouvelle ayant fi ltré de son entourage, avant même qu’il n’ait eu le temps d’avertir l’intéressé. Lui, son complice de toujours, celui qui l’avait mené sept fois au titre de champion du monde, après en avoir fait de même à cinq reprises avec Mick Doohan, et une fois aux côtés de Wayne Gardner avant lui. Un geste aussi élégant que d’abandonner sa grand- mère sur une aire d’autoroute, en somme... C’est en tout cas comme ça que tout le monde l’a pris. Burgess est une fi gure respectée, la plus établie des institutio­ns sur la voie des stands, à la réussite inégalée. Une icône, si vous préférez. Et quand on pratique l’iconoclasm­e, il n’existe que deux manières d’appréhende­r la chose. La plupart choisit la plus évidente. Prétextant qu’il s’agissait là d’un acte désespéré, d’un délire personnel, l’éviction d’un homme qui se noie. Impossible d’accuser la moto – vu les résultats que Jorge en obtient. Impossible d’accuser le pilote. S’il avait, ne serait- ce qu’une seule fois douté de lui- même, Rossi ne serait pas Rossi. Ça ne peut donc qu’être la faute de la grand- mère. Il fallait s’en séparer. Pour réaliser de meilleurs chronos. Derrière son sourire toujours charmant, son attitude décontract­ée, le nonuple champion du monde s’est montré aussi impitoyabl­e que sur la piste. « Dans les journaux, on parle souv ent, dit Burgess, de ces sportifs qui changent de coach ou de personnes proches en fi n de carrière. » On lui a demandé combien de fois cette méthode avait payé. Une question restée sans réponse. Rossi a toujours été bon lorsqu’il s’agissait de prouver que quelqu’un avait tort. Ce qu’il a fait cette année encore. Malheureus­ement, ce sont les optimistes qu’il a déçus, en ne décrochant qu’une quatrième place fi nale au classement général et en devant bien souvent se battre pour la garder. En général, ce sont les rabat- joie qui trinquent. La manoeuvre du géant Honda pour vaincre Yamaha, l’outsider, fi n 2003, étant un bon exemple ( pour Burgess, autant que pour Rossi, Honda les ayant empêché de monter sur la Yam’ avant le début d’année). Un événement vieux de 10 ans déjà... Et il y a 10 ans, Marquez en avait 11... Cela dit, une fois la « trahison » de Rossi digérée, quelques éléments de son histoire nous amènent à atténuer ce jugement un peu abrupt. Depuis sa jambe cassée en 2010, il n’a pas eu la tâche facile. Ce championna­t est donc revenu à son coéquipier Lorenzo. Le coup de grâce. « C’est lui ou c’est moi » , avait- il dit à Yamaha. C’était lui. Personne ne pouvait prévoir le désastre chez Ducati. Encore moins Rossi et son bras droit Burgess, qui, comme on s’en souvient tous, avait prédit qu’il n’aurait besoin que d’une courte période pour régler les problèmes hérités d’un Stoner enclin aux chutes. Ce dernier est certaineme­nt revenu pour s’en prendre méchamment à ses chevilles. En étroite collaborat­ion avec l’usine, l’entreprise a connu un revirement qui aura duré deux ans. Ni Burgess, ni Rossi ne sont parvenus à y changer quoi que ce soit. La seule compensati­on qu’ils aient pu trouver, c’est que la Ducati a continué d’évoluer dans la mauvaise direction après leur départ. On espérait beaucoup de son retour chez Yamaha, sur « ma Yamaha M1 » , mais il a retrouvé une moto qui avait subtilemen­t changé par rapport à cet âge d’or où c’était l’usine tout entière qui gravitait autour de lui. Maintenant, elle correspond au pilotage plus lisse, moins agressif de Lorenzo. Rossi, comme vous l’avez peut- être remarqué, a un style plus offensif, et son freinage plus viril l’a mis en diffi culté, notamment à cause de l’arrivée, la saison dernière, d’un pneu avant plus tendre, approuvé par la majorité des pilotes – exceptés les deux coéquipier­s du team offi ciel Honda en 2012, Stoner et Pedrosa. En fait, Rossi a déclaré assez tardivemen­t, qu’il était contre dès le départ, « mais de toute façon, à ce moment- là, on était déjà dans la m*** e » . Un avant trop mou et des entrées en virage compliquée­s resteront un problème sur toute la saison. Ils ont trafi qué, bidouillé, amélioré mais sans jamais rien régler. Et pendant ce temps, c’est Lorenzo qui défi ait les Honda. C’est probableme­nt les pneumatiqu­es plus que n’importe quel autre changement de la moto qui a vraiment été problémati­que pour Valentino, et ça explique tout. Pendant ses jours de gloire, on lui fournissai­t un pneu spécifi que au tracé de la course, préparé pour lui le samedi soir par Michelin et livré directemen­t sur le circuit. Dix ans plus tard, les pneus sont les mêmes pour tous. Ce n’est plus le pneu qui s’adapte au pilote, mais le pilote qui doit s’adapter au pneu. L’adaptation, c’est la clé. Et c’est quelque chose qui devient plus diffi cile à faire, une fois la vingtaine passée. Rossi aura 35 ans l’année prochaine, et il est bien placé pour devenir un vieux notable de la course. Peut- être pourrait- il se reconverti­r en pilote de développem­ent pour une éventuelle Yamaha de course, calquée sur un modèle de Honda RCV 1000 R. Ou en team manager. Ou juste un ambassadeu­r, à l’occasion. Comme ça, il pourrait promouvoir, main dans la main avec la MotoGP, son énorme opération de merchandis­ing qui marche du feu de Dieu. On peut aussi imaginer, à l’instar de David Beckham, la signature d’un contrat avec une marque de prêt- àporter qui le ferait poser en sous- vêtements. Le problème, c’est que Rossi ne peut pas s’arrêter d’être un pilote. Ni de croire qu’il ne remontera pas sur la plus haute marche du podium. Burgess était un sacrifi ce nécessaire pour pouvoir continuer à y croire.

UN GESTE AUSSI ÉLÉGANT QUE D’ABANDONNER SA GRAND-MÈRE SUR UNE AIRE D’AUTOROUTE

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